Introduction de Facebook : petites cachotteries entre amis

Par Delphine Cuny  |   |  856  mots
David Ebersman, le directeur financier de Facebook, est pointé du doigt pour avoir décidé d'accroître de 25% l'opération. Copyright AFP.
Les banquiers introducteurs, Morgan Stanley en tête, sont critiqués pour avoir communiqué des infos à quelques investisseurs privilégiés. Plusieurs plaintes en justice ont été déposées contre Facebook et ses banques et des enquêtes se profilent.

L'introduction chaotique de Facebook est-elle en train de se transformer en l'un des plus gros scandales de Wall Street des dernières années ? On est très loin d'Enron ou de l'affaire Madoff, mais l'opération pourrait être entachée de sérieuses irrégularités. Au bout de quatre jours de cotation, au cours desquelles l'action du réseau social a perdu plus de 15% et une douzaine de milliards de dollars de capitalisation, plusieurs plaintes ont déjà été déposées contre les banques introductrices et certains responsables de la société. Il est avant tout reproché aux trois principales banques, Morgan Stanley, Goldman Sachs et JP Morgan Chase, d'avoir communiqué des informations sur les perspectives de Facebook à certains de leurs clients seulement, en plein processus d'introduction. Plusieurs témoignages attestent que ces banques ont organisé des conférences téléphoniques avec de gros investisseurs pour les informer de l'abaissement des prévisions de chiffre d'affaires de Facebook auquel leurs analystes maison venaient de procéder.

De gros clients informés de taux de croissance moindres
L'agence Reuters s'est procuré le détail des révisions d'estimations des quatre principales banques, les trois citées plus haut et Bank of America. Les baisses ne sont pas spectaculaires, sans être négligeables : le chiffre d'affaires attendu en 2012 a été diminué d'environ 200 millions à 4,8 milliards de dollars, soit une croissance annuelle de 30,4% au lieu de 36,7%, et le bénéfice par action de 2013 réduit de 3% à 6%. De quoi sans aucun doute tempérer l'enthousiasme de certains investisseurs au vu des multiples de valorisation très élevés ressortant de la fourchette de prix (100 fois les bénéfices de 2012, 65 fois ceux de 2013). Les autres investisseurs n'étaient donc pas sur un pied d'égalité pour juger de la qualité du dossier Facebook et de la valeur à lui attribuer. Le régulateur du Massachussetts a assigné à comparaître Morgan Stanley, qui affirme bien sûr avoir respecté les règles en vigueur. Un certain flou semble demeurer sur les communications orales des analystes aux clients. Le président de l'association professionnelle des courtiers, la FINRA, considère qu'il y a effectivement « peut-être un sujet d'inquiétude règlementaire » pour la FINRA elle-même et pour la SEC, l'autorité de marchés américaine. La présidente de la SEC, Mary Schapiro, a indiqué que l'agence étudierait certains « problèmes » entourant l'introduction, sans préciser. Toutefois, des analystes d'autres banques, qui ne faisaient pas partie du syndicat en charge du placement, ont aussi révisé leurs prévisions dès que Facebook a publié le 9 mai une forme d'avertissement sur le ralentissement de sa croissance dû à l'essor des usages sur mobile, encore peu monétisé.

Au moins trois « class actions » déjà déposées par des cabinets d'avocats
Selon Reuters, ce serait un des dirigeants de Facebook qui aurait conseillé aux analystes d'abaisser leurs prévisions. Inexpérience, imprudence, maladresse ? Le directeur financier, David Ebersman, 42 ans, est clairement pointé du doigt. Ancien analyste chez Oppenheimer, il a travaillé 15 ans chez la biotech Genentech dont il devint le directeur financier très apprécié à Wall Street, avant d'être recruté en 2009 par Facebook qui cherchait un profil ayant l'expérience d'une entreprise cotée. Ebersman est surtout tenu pour responsable de la décision désastreuse d'augmenter de 25% le nombre d'actions cédées sur le marché, trois jours avant l'IPO, ce qui, vu la taille de l'opération, a tué dans l'?uf tout bond de l'action le premier jour. Au moins trois plaintes ont déjà été déposées. Le redoutable cabinet d'avocats californien Robbins Geller Rudman & Dowd, qui a gagné 7,2 milliards de dollars de dommages dans l'affaire Enron, en a déposé une en nom collectif (« class action ») au tribunal fédéral du sud de New York mercredi. Le cabinet Lieff Cabraser Heimann & Bernstein, basé à San Francisco, a aussi lancé un appel à tous les investisseurs ayant acheté des actions du réseau social s'estimant lésés : la class action, déposée au même tribunal, vise Facebook, certains de ses dirigeants et de ses administrateurs et les banquiers introducteurs, pour « infraction aux lois boursières » et pour avoir été « négligents » dans la préparation du prospectus et dans les déclarations sur le business et les perspectives. Une autre plainte avait été déposée dès mardi, devant un tribunal de Californie, par le cabinet Glancy Binkow & Goldberg, qui s'adresse à tous les actionnaires ayant acheté des titres jusqu'au 22 mai inclus. L'ampleur du préjudice dépendra de l'évolution du cours de Facebook. Mercredi, il est enfin reparti à la hausse, passant l'intégralité de la séance dans le vert (+2,5% à 31,80 dollars à 2h30 de la clôture). A rebours de la tendance du marché, l'analyste du courtier Needham a conseillé l'achat de l'action Facebook en fixant un objectif de 40 dollars. Le titre « FB » reste cependant en repli de 16% par rapport au prix d'introduction de 38 dollars et de près de 30% pour les quelques malchanceux qui ont acheté à 45 dollars, le pic brièvement atteint vendredi à l'ouverture...