Présidentielle 2017 : qui est Charlotte Marchandise, la candidate des internautes ?

Par Sylvain Rolland  |   |  2640  mots
Charlotte Marchandise, 42 ans, candidate de laprimaire.org, lors du Forum Smart City Paris 2015.
A 42 ans, Charlotte Marchandise vient de gagner la primaire citoyenne organisée en ligne par la Civic Tech laprimaire.org. L’objectif ? Renouveler le personnel politique, imposer un candidat nouveau, hors des partis, face aux ténors que sont François Fillon, Marine Le Pen et les autres. Mais qui est Charlotte Marchandise et quelles idées porte-t-elle ? Entretien.

[Article du 4 janvier 2016, mis à jour le 6 janvier 2016 à 11:54]

Formatrice, militante associative, trilingue, entrepreneure... A 42 ans, Charlotte Marchandise est une illustre inconnue, une citoyenne « normale ». Pourtant, elle pourrait très vite devenir un visage familier. Car elle vient de gagner, après six mois d'une intense campagne, les primaires « citoyennes » organisées par la Civic Tech laprimaire.org. Après avoir dominé le premier tour, elle a également survolé le second, récoltant plus de 50% d'opinions « très favorables », parmi plus de 30.000 votants, lors d'un vote sur internet qui s'est tenu du 15 au 30 décembre.

Si elle réussit à obtenir les fameux 500 parrainages réglementaires, Charlotte Marchandise pourrait devenir la première candidate non issue des partis politiques à briguer l'investiture suprême. Et en découdre, sur les plateaux télévisés, avec François Fillon, Jean-Luc Mélenchon, Emmanuel Macron, Marine Le Pen et tous les autres ténors de la vie politique française.

Qui est-elle ? Quelles valeurs défend-elle ? Loin d'une candidature farfelue, celle de Charlotte Marchandise est mûrie et ambitionne de pousser d'autres citoyens à « changer le système ». Entretien.

LA TRIBUNE - Qui êtes-vous et quel est votre parcours ?

CHARLOTTE MARCHANDISE - Je suis une Rennaise de 42 ans, mère de deux enfants. J'ai fait beaucoup de choses. Pour des raisons personnelles et familiales, j'ai arrêté mes études après ma licence, puis je suis partie vivre aux Etats-Unis et en Espagne. J'ai toujours été militante dans le milieu associatif. J'ai monté un bar associatif en Espagne, j'ai cofondé une association pour accompagner les femmes pendant leur maternité, je me suis impliquée dans France Nature Environnement... Avec mon oncle, Jean-François Marchandise et Daniel Kaplan, j'ai participé à la co-création de la Fondation Internet Nouvelle génération (Fing) car la révolution numérique est porteuse de mutations sociétales énormes, fondamentales, qu'il faut savoir penser. Je travaille  notamment depuis des années sur les enjeux du big data et du quantified self sur la santé. Il y a quelques années, de retour à Rennes, j'ai repris des études en sciences sociales pour donner du sens à mes expériences de terrain.

J'ai été responsable web et marketing chez Liberty Surf, à Paris. Depuis dix ans, je suis formatrice indépendante en informatique et management. Enfin, j'ai été entrepreneure : j'ai cofondé un collège Montesori à Rennes, qui a fait faillite après deux ans. En 2014, j'ai été repérée par l'équipe du maire actuel de Rennes... Aujourd'hui, je suis formatrice indépendante et adjointe à la mairie de Rennes, sans étiquette, en charge de la Santé.

Pourquoi vous êtes-vous présentée à laprimaire.org ?

Je n'en avais aucune intention à l'origine. J'ai vu le site, j'ai trouvé l'initiative formidable, donc j'ai rencontré David Guez et Thibault Favre à Rennes lorsqu'ils cherchaient des candidats. Ils m'ont dit qu'il y avait 200 hommes et seulement 8 femmes. J'étais sidérée. Alors, même quand une initiative est ouverte aux femmes, elles n'y vont pas ? Je me suis donc inscrite pour qu'il y ait une femme de plus, et parce que j'avais des compétences en santé et en éducation à offrir. Quand je me suis retrouvée parmi les seize qualifiés pour le premier tour, j'ai voulu me désister, intégrer une autre équipe. Mais lorsque j'ai passé l'appel pour fédérer les talents, trois candidats se sont ralliés à moi. Alors j'ai décidé d'y aller à fond.

Et vous êtes arrivée en tête du premier tour, puis du second. Quelles sont vos convictions politiques ?

Je me définis comme une humaniste. Ma préoccupation, c'est l'usage : faire les choses avec et pour ceux qui vivent les conséquences des décisions politiques. Je ne conçois pas l'action publique autrement que de manière participative, en construisant un projet collectif. Pour cela, il faut de l'expertise et de l'expérience. Je suis une idéaliste, certes, mais une idéaliste réaliste. Je pense que nous n'avons pas d'autre choix que de proposer un idéal de société, d'expliquer aux gens comment on peut créer un futur qui soit désirable. Les politiques gestionnaires savent répondre à tout, c'est pratique sur un plateau télé, mais ce n'est pas ce que les citoyens veulent. Je ne sais pas tout, et je le revendique.

Quel doit être le rôle d'un président de la République selon vous ?

Je pense que le rôle d'un président est de proposer des valeurs, une vision de la France et du monde, une trajectoire commune sur le long terme. Définir un cap et les moyens d'y arriver. A partir de là, ceux qui partagent ces valeurs travaillent tous ensemble, et le président et le gouvernement tranchent. J'aimerais qu'on fasse davantage de prospective, qu'on parle de l'avenir, que la politique donne du sens au monde, notamment pour les jeunes.

Où vous situez-vous sur l'échiquier politique ?

J'ai beaucoup de mal à me situer, car aucun parti ne me correspond. Mais il y a des choses intelligentes à prendre dans beaucoup. Se définir sur une « ligne », c'est précisément ce que je ne veux pas faire. Je n'aime pas les clivages gauche-droite, car ils sont improductifs et paralysent le débat en y injectant des postures. Est-ce que l'écologie et le revenu de base sont des idées d'extrême-gauche ? Je ne pense pas. Est-ce que vouloir libérer le travail, l'entrepreneuriat, c'est être de droite ? Non plus. Il faut faire une politique du XXIe siècle, en actant l'évolution du monde et en affirmant des valeurs fortes.

Les miennes se situent entre l'extrême-gauche et le centre droit. L'humanisme, croire en l'entrepreneuriat, vouloir libérer le travail tout en étant attaché au service public, être convaincu de la nécessité d'accélérer dans la transition écologique, énergétique et économique, ce sont des idées partagées par beaucoup, mais prisonnières des partis. Je crois en un pragmatisme au-delà du dogme. La légalisation du cannabis, c'est économiquement plus sensé car cela ferait rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat et permettrait de contrôler sa qualité et sa diffusion. C'est aussi plus intelligent en termes de santé publique. Je connais beaucoup d'élus de droite qui sont d'accord avec cela, mais ils ne le disent pas à cause de leur parti. Quand je vois des députés de gauche qui votent la loi Travail ou l'état d'urgence contre leurs convictions, ou des élus de droite qui votent contre le mariage pour tous juste pour respecter la ligne du parti, cela me sidère.

Beaucoup d'électeurs de laprimaire.org ont voté par dégoût du système politique actuel. Partagez-vous le sentiment du « tous pourris » ?

Le système actuel crée de la défiance car il est plein de failles, mais il n'est pas pourri. En revanche, il y a une vraie urgence démocratique. Quand, selon une récente étude, 99% des moins de 25 ans pensent que les politiques sont corrompus, il est temps de s'en alarmer sérieusement et de changer le système. En arriver à un tel degré de défiance m'effraie. Il faut une politique plus fluide, plus transparente, moins idéologue, participative, et rendre des comptes.

L'éthique et la co-construction avec les citoyens sont les réponses au fantasme du « tous pourris ». Je le constate à l'échelle locale. J'ai été élue en 2014 à Rennes sur une liste « société civile ». On est venu me chercher pour mes compétences sur les questions de santé. Je craignais le copinage, la logique des partis mais, finalement, je suis devenue adjointe en charge de la santé. Sur le terrain, mon étiquette « société civile », hors des partis, me permet de parler avec tout le monde et de faire avancer des dossiers. Il y a de très belles choses qui se passent à l'échelle locale. Le clivage gauche-droite n'est pas une fatalité. Au Parlement européen, les alliances entre partis au coup par coup, en fonction des sujets, sont monnaie courante. Voilà un modèle qui m'intéresse.

Imaginons, vous gagnez l'élection présidentielle : quelles sont vos priorités ?

La priorité est de retrouver la confiance, il faut donc une réforme des institutions, une VIe République. Mais on ne peut pas écrire une Constitution avec les citoyens en deux mois, car il faut débattre et impliquer tous ceux qui veulent l'être. On prendra donc deux ans pour définir et voter une nouvelle Constitution.

Pendant ce temps-là, il faudra s'occuper des transitions écologique, énergétique et économique, qui sont intimement liées. Nous vivons une période trouble, caractérisée par une croissance atone, le chômage et le réchauffement climatique, mais c'est une chance pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, créer de nouveaux secteurs d'activités, non délocalisables.

Enfin, la troisième priorité est l'Europe démocratique. Il faut redonner du sens à l'Europe avec un projet axé sur la paix, une action diplomatique commune et forte, des valeurs de tolérance et d'ouverture.

Comment mettriez-vous en place ce programme ? En attendant de créer une nouvelle Constitution, il vous faudra composer avec le système politique tel qu'il est - donc la logique des partis. Avec qui travailleriez-vous ?

Pour le gouvernement, il y a trois types de ministres. Sur certains dossiers il faut des experts de terrain, par exemple un agriculteur sur l'agriculture, quelqu'un qui sache de quoi il parle et qui possède aussi les capacités de recul indispensables aux décisions justes. Sur d'autres dossiers, j'aurais recours à des experts scientifiques ou des chercheurs. Je vois bien par exemple quelqu'un comme l'économiste Gaël Giraud en tant que ministre de l'Economie.

Sur d'autres dossiers, par contre, il faut des politiciens. Quelqu'un comme Dominique de Villepin serait adapté pour les Affaires étrangères. Je voudrais composer un gouvernement de rassemblement avec tous ceux qui partagent le socle de valeurs et la vision pour la France que je propose. Voilà la nouvelle majorité législative.

[NDLR : suite à la révélation, par Mediapart, de l'éventuelle implication de Dominique de Villepin dans l'affaire de l'argent libyen versé à des pontes de l'ex-UMP, Charlotte Marchandise a rappelé La Tribune pour préciser qu'il n'est "pas question" de recourir à quelqu'un impliqué ou soupçonné dans une affaire, "même s'il le voulait"]

En ce qui concerne l'élaboration des lois, l'idée est de construire avec ceux qui savent. Des économistes, des travailleurs sociaux, des cercles de réflexion, des entrepreneurs pour les sujets économiques, suivre les recommandations des ONG sur les sujets environnementaux... Les experts et ceux qui bénéficient ou subissent les politiques savent mieux que moi. Mais pour que cela fonctionne et échapper aux lobbys, il faut une méthode. Il faut examiner les conséquences d'une politique sur toutes les autres, faire des évaluations financières, respecter la vision globale. Le président est là pour impulser la ligne et trancher, de manière transparente et éclairée. C'est une forme d'idéalisme, mais il faut tendre vers ça.

Venons-en à la campagne présidentielle. Avez-vous une équipe ?

Mon programme a été co-construit pendant plusieurs mois, il est consultable sur mon site. L'équipe se compose d'une dizaine de bénévoles, présents depuis le début. Maintenant que nous bénéficions du soutien du parti provisoire laprimaire.org, nous allons recruter huit salariés, avec des compétences diverses. Dans mon équipe, il y a des chefs d'entreprise, des anciens de Nouvelle Donne, des gens des milieux alternatifs. J'aimerais aussi ne pas être la seule qui parle dans les médias, faire émerger d'autres personnes pour arrêter de mettre en avant des personnalités au détriment des idées.

Comment comptez-vous obtenir les 500 parrainages nécessaires pour vous présenter ?

J'ai quelques accords de principe et j'ai déjà obtenu mon premier parrainage lundi. On espère que notre démarche va séduire des élus sans étiquette et convaincre quelques personnalités pour entraîner les autres, quelques maires emblématiques. Certaines femmes conseillères régionales et départementales, qui sont aussi maires, m'ont déjà fait part de leur volonté d'encourager les femmes issues de la société civile dans une logique de renouvellement.

Pensez-vous que vous réussirez à obtenir les 500 parrainages ? Craignez-vous que les partis vous mettent des bâtons dans les roues ?

Je n'en sais rien. Il y a une dynamique autour de laprimaire.org, donc pourquoi pas ? Les coups, les bâtons dans les roues, je ne les connais pas encore, donc on verra. On veut aussi faire une campagne transparente. Raconter au jour le jour, sur notre site, avec des textes, des photos et des vidéos, comment se déroule une campagne présidentielle.

Si vous êtes qualifiée, comment financerez-vous votre campagne ?

Le parti laprimaire.org a lancé une campagne de financement participatif. On a déjà récolté plus de 60.000 euros. Si chaque adhérent - et il y en a plus de 120.000 - donne cinq euros ou moins, alors on arrivera largement à notre objectif situé autour de 300.000-400.000 euros.

Allez-vous quitter votre emploi et vos fonctions pour vous consacrer à votre campagne ?

Je vais mettre en sommeil mon activité de formatrice indépendante. En ce qui concerne mon mandat municipal, je voulais arrêter complètement, mais les habitants m'ont demandé de rester, de n'y consacrer qu'un jour et demi, voire deux jours, par semaine. Je serai transparente. Si le fait que je poursuive mon mandat à Rennes gêne, alors j'arrêterai. Je constate aussi qu'on me pose cette question mais qu'on ne la pose jamais à Yannick Jadot ou à Jean-Luc Mélenchon. C'est intéressant.

Craignez-vous de vous retrouver, sur un plateau télé, face des professionnels de la politique qui, comme vous le disiez, ont réponse à tout et l'habitude de la communication ?

Je suis inquiète, bien sûr, je n'ai pas envie d'être mauvaise. Mais ce qui va faire la différence, c'est que justement, je ne parle pas comme eux. Je ne suis pas langue de bois. Oui, c'est impressionnant, ça fait peur. Je vais faire de mon mieux, rester moi-même et ne pas confondre qui je suis et ce que je représente. C'est très sérieux ce qu'on fait avec laprimaire.org, mais le débat politique a besoin d'un autre ton qui ressemble davantage à la réalité du quotidien.

Allez-vous vous préparer, vous « professionnaliser », avec du media training par exemple ?

Il va falloir trouver des gens qui m'aident à mieux communiquer, mais je ne veux surtout pas changer.

Quels sont vos objectifs au premier tour ? Croyez-vous en vos chances ?

Je crois que ce récit va faire réfléchir. Les gens vont se dire : « La politique, ce n'est pas seulement pour les autres. » Pour la première fois, il y aura quelqu'un hors des partis sur un plateau télé. Mon principal message pendant la campagne sera d'encourager les citoyens à s'impliquer. Faire en sorte que la prochaine Assemblée nationale, issue des élections législatives de juin 2017, ne soit pas composée à 75% d'hommes blancs de plus de 60 ans, pour la plupart fonctionnaires. Je vais dire : « Réappropriez-vous la politique. » Car on ne peut pas critiquer ceux qui y vont, interpeller les partis, puis refuser de s'impliquer.

Propos recueillis par Sylvain Rolland

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>> VOIR AUSSI La Tribune de... Charlotte Marchandise sur l'e-santé (Propos recueillis par Laurent Lequien et Martin Ruelle)

>> VOIR AUSSI L'intervention de Charlotte Marchandise le 24 novembre 2015 au Forum Smart City Paris intitulé "Peut-on bien vieillir dans la ville ?"