Réseaux sociaux : l'ascension fulgurante de Gab, refuge de l'extrême droite américaine

Par Sylvain Rolland  |   |  909  mots
Le réseau social Gab, fondé en 2016, par un startuppeur pro-Trump, gagne de nombreux utilisateurs et des soutiens financiers depuis les événements de Charlottesville.
Chassés par les réseaux sociaux traditionnels comme Facebook et Reddit depuis les violences de Charlottesville, les internautes de l'extrême droite américaine se réfugient sur d'autres plateformes, notamment Gab, "le réseau social de la libre pensée". Le site annonce une levée de fonds d'1 million de dollars en financement participatif, dont 500.000 dollars récoltés dans les cinq derniers jours.

La nature a horreur du vide. Et puisque les géants de la Silicon Valley, notamment les réseaux sociaux Facebook et Reddit, ne veulent plus laisser les partisans de l'alt-right, l'extrême droite américaine, répandre impunément la haine sur leurs plateformes, ceux-ci migrent naturellement vers de nouveaux services.

Ainsi, depuis les violences néonazies de Charlottesville, plusieurs sites du "web parallèle", jusqu'alors méconnus du grand public, se retrouvent sous les feux des projecteurs et attirent de nombreux nouveaux membres. Le forum 4Chan, véritable fourre-tout du web réputé pour son absence de modération, en fait partie. Mais c'est Gab.ai, qui se définit comme "le réseau social de la libre pensée pour tous", qui en profite le plus.

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Alternative à la "bien-pensance" de Facebook et Twitter

Fondé le 25 août 2016, en pleine campagne présidentielle américaine, par le texan Andrew Torban, Gab.ai se veut une alternative aux réseaux sociaux Facebook et Twitter. Le bouillant entrepreneur pro-Trump, qui sera renvoyé en novembre 2016 du prestigieux incubateur Y Combinator pour harcèlement, fustige le "monopole social" de la "gauche" et ses "purges" contre les points de vue "conservateurs". En tant que "conservateur Républicain chrétien", il lance alors Gab.ai avec l'espoir de fédérer tous les défenseurs de la "libre pensée".

Dans ses conditions d'utilisation, le site indique que "la seule forme valide de censure est le choix de l'individu de se restreindre", et que sa "mission" est de "placer les gens et la libre pensée d'abord". Si la charte se veut ouverte à tous et se réserve le droit de supprimer tout contenu jugé inapproprié, la plateforme devient en réalité le repaire des internautes de l'alt-right américaine, une droite alternative qui rejette le conservatisme classique pour promouvoir le nationalisme et la suprématie blanche.

500.000 dollars levés en 5 jours après Charlottesville

Gab explose très vite, même s'il reste en version bêta jusqu'en mai 2017. A chaque polémique concernant la censure de certains contenus par Facebook et Twitter, le réseau social fait le plein de nouveaux membres. En janvier 2017, moins de cinq mois après sa création, il revendique 215.000 utilisateurs. En avril, le site lance une offre "premium", Gab Pro, à 5,99 dollars par mois, qui donne accès, entre autres, à des tchats privés où les messages s'effacent au bout de 24 heures, ainsi qu'à la GabTV, un service de streaming de vidéos alimenté par des contenus "libérés de la censure". Le 24 juillet, l'entreprise annonce 2.200 utilisateurs "Pro", et 2.500 le 15 août.

Pour financer son expansion, le site fait appel à sa très active communauté. Une campagne de financement participatif est lancée début juillet. Le 1er août, Gab a déjà récolté 350.000 dollars. Le 17 août, quelques jours après les violences de Charlottesville et les sanctions de la Silicon Valley envers les sites d'extrême droite, Andrew Torban se félicite d'avoir atteint 1 million de dollars, dont la moitié a afflué... en seulement cinq jours.

Ce succès s'explique en partie par la décision de Google de supprimer Gab de son Play Store, sa bibliothèque de téléchargements d'applications. Cette action a attiré la lumière sur le site et a renforcé son positionnement de victime de la "bien-pensance" dominante, déclenchant une vague de nouvelles adhésions et de soutiens financiers.

Théories du complot, antisémitisme, haine contre les médias, les "Démoncrates" et la Silicon Valley

Le site est conçu pour favoriser l'expression "libre" de ses membres, invités à partager leurs opinions autant sur des sujets d'actualité (la Corée du Nord, les attentats de Barcelone, l'éclipse solaire...) que plus triviaux (les bières préférées de la communauté, les livres à lire...).

Mais peu importe le sujet, les messages s'enchaînent sur quelques thèmes phares : défense de Donald Trump, haine des médias, des "Démoncrates" (jeu de mots entre démon et démocrate), des musulmans, de la Silicon Valley... Les théories du complot, de la part de "l'establishment", du "lobby juif", des agences fédérales comme le FBI et la NSA, ou encore des musulmans, y sont largement relayées, à grand renfort de liens vers des sites conspirationnistes ou la fachosphère...

La page dédiée au présentations des nouveaux membres confirme l'attrait de Gab pour les internautes d'extrême droite. « Je suis fatigué de tout ce fascisme sur les réseaux sociaux et j'ai besoin d'un réseau social où la pensée est libre, les gens ouverts d'esprits, avec davantage de bon sens qu'un libéral décérébré », écrit Carl.

« La Silicon Valley tente de purger les dissidents sur Internet. Je refuse d'être censuré par des putains de SJW ["Social justice warrior", terme péjoratif désignant un cyber-militant défendant des causes progressistes comme le féminisme ou le multiculturalisme, NDLR], j'ai rejoint Gab juste pour leur faire un doigt d'honneur », écrit un autre nouveau membre, qui dénonce « l'effet Streisand » à l'œuvre sur Internet.

De nombreux utilisateurs de Gab pensent ainsi que la déclaration de guerre de la Silicon Valley à l'alt-right américaine constitue en fait une aubaine historique pour se structurer et gagner en notoriété.