Présidentielle : le mystère des estimations de vote au premier tour

Par Sandrine Cassini  |   |  907  mots
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Pour la commission des sondages, les chiffres qui ont circulé dimanche sur Internet étaient bidons. Pourtant, dans les QG de campagne, les proches des candidats disposaient d'estimation dans le courant de l'après-midi. Un jeu de poker menteur qui ne date pas du 22 avril, mais que l'émergence des réseaux sociaux a révélé au grand jour. Explications.

Dans le petit monde des sondages, c'est la guerre des nerfs. Mises en garde, précautions et autres menaces brandies en fin de semaine dernière par la Commission des sondages, et par la Commission nationale de Contrôle de campagne pour empêcher la diffusion d'estimations des résultats du premier tour avant 20 heures auront été vaines.

Dès dimanche, en milieu d'après-midi, les sites suisses et belges, comme la RTBF ou la Tribune de Genève ont publié des estimations d'instituts d'études. Les chiffres ont été relayés sur Twitter. Ainsi @résultats2012 a fait le détail heure par heure des chiffres disponibles, justifiant sa démarche par le slogan suivant « Démontrer l'absurdité de la loi encadrant les résultats électoraux ». Atlantico.fr a envoyé par mail aux membres du site qui le demandaient les sondages à sa disposition. « Plusieurs dizaines de milliers de personnes en ont fait la demande», indique le fondateur du site Jean-Sébastien Ferjou.

Des chiffres qui seraient pure rumeur

D'où viennent ces sondages qui circulent le dimanche en milieu d'après-midi bien avant la fermeture des premiers bureaux de vote à 18 heures? « Ils sont faux. Ceux de l'IFOP et d'Opinion Way dataient au mieux de vendredi. En 2007, c'était pareil. Le Pen était donné devant Bayrou, c'était de l'intox », s'emporte le porte-parole de la Commission des sondages. Sur Twitter, tous les instituts, comme CSA ou OpinionWay, démentaient dimanche tous les chiffres publiés. Vendredi, la Commission des sondages avait publié un communiqué expliquant que les sept plus gros instituts ne réaliseraient pas de sondages « sorties des urnes », ces tests de l'opinion où l'on interroge le citoyen sur son vote à la sortie des bureaux, et tous les chiffres qui paraîtraient seraient pure rumeur. Une promesse pas très difficile à tenir pour les instituts qui ont abandonné ce procédé, jugé onéreux et peu fiable.

Pourtant, Atlantico, et les médias belges et suisses assurent avoir soigneusement vérifié leur source . « Nous n'avons rien eu en direct de la part des instituts. Mais nous avons travaillé avec des sources fiables, notamment dans les QG de campagne », indique Grégoire Neppey, rédacteur en chef de Newsnet, l'agence qui alimente en Suisse la Tribune de Genève, Le Matin et 24 heures.

Les QG de campagne n'attendent pas

Selon nos informations, les QG de campagne des candidats n'attendent pas le dépouillement des premiers bureaux pour connaître la tendance, et préparer les discours de la soirée. « Nous recevons toute la journée des sondages « jour de vote », des enquêtes réalisées surtout en ligne par les instituts et affinées tout au long de la journée. D'ailleurs, on voit que les chiffres ont été relativement fiables l'après-midi, notamment lorsque l'on a bien vu la montée du FN. Mais on ne paye pas pour cela », indique le chargé de sondage d'un parti politique. Ces estimations sont envoyées à quelques proches des candidats, mais aussi « à quelques grands clients privilégiés » des instituts, qui génèrent le gros du chiffres d'affaires et auquel il est bienvenu d'envoyer ces informations privilégiées, indique cet habitué.

Des sondages "Jour du vote"

Ainsi, l'institut CSA admet avoir réalisé toute la journée du dimanche des sondages au téléphone et sur Internet « jour de vote », en précisant que le but n'est pas de faire d'estimation. « Il s'agit d'avoir des données qualitatives pour savoir quand est-ce que les gens ont voté, quand ils ont pris leur décision », témoigne la porte-parole de l'institut. Evidemment, la question du candidat choisi est également posée.

Si les données collectées ne sont pas toujours convaincantes, notamment sur le vote Le Pen, c'est qu'elles sont basées sur du déclaratif. Il faut donc attendre les premiers chiffres issus du dépouillement des urnes pour avoir une idée précise de la situation. « A 18 heures, nous réalisons la première estimation à partir des 100 premiers bulletins issus de 200 bureaux représentatifs représentant une mini-France électorale », indique la porte-parole du CSA. Les chiffres sont ensuite affinés au fur et à mesure de la soirée. C'est cette enquête - la plus lourde à réaliser - qui est ensuite vendue à prix d'or aux télévisions.

Hypocrisie autour des premiers dépouillements

A 18h40 environ, ces résultats provisoires sont communiqués sous embargo aux rédactions et aux états majors politiques. Comme en 2007, l'embargo n'a pas tenu. Les rédactions belges et suisses les ont communiqués. L'AFP, doublée il y a 5 ans par les agences concurrentes Reuters ou AP qui avaient brisé l'embargo, a décidé de mettre à la disposition de ses clients en France, et à l'étranger, (en l'occurrence les médias) les informations à sa disposition, sans pour autant les proposer au grand public. Atlantico a publié les chiffres à 19 heures 40. « Il faut arrêter l'hypocrisie. La commission des sondages défend-elle la rupture d'égalité ou les instituts ? », justifie Jean-Sébastien Ferjou. Evidemment, les télés n'ont pas intérêt à voir les chiffres acquis très cher publiés avant 20 heures. Le procureur de Paris a décidé de poursuivre les sites francophones et l'AFP. Pourtant, cet embargo bien français n'a pas forcément lieu d'être ailleurs. « Chez nous, on suit le dépouillement en direct », complète Grégoire Neppey.