Polémique au CNNum, Marie Ekeland priée d'éjecter la militante "antiraciste" Rokhaya Diallo

Par Sylvain Rolland  |   |  1009  mots
Marie Ekeland, la nouvelle présidente du Conseil national du numérique.(CNNum).
La présence de l'écrivaine et journaliste Rokhaya Diallo, connue pour ses positions controversées sur le "racisme d’État", et du rappeur et entrepreneur Axiom parmi les experts du nouveau Conseil national du numérique (CNNum), crée la polémique. Marie Ekeland, la nouvelle présidente, doit revoir sa copie.

Voilà qui devrait raviver les critiques sur l'indépendance réelle du Conseil national du numérique (CNNum) vis-à-vis du gouvernement. Après s'être glorifié d'avoir laissé -"ce qui est inédit"- la nouvelle présidente de la commission consultative, Marie Ekeland, choisir en toute indépendance les 29 autres experts qui la composent, le secrétaire d'État au Numérique, Mounir Mahjoubi, lui a demandé mercredi 13 décembre au soir de revoir sa copie :

"Eu égard à l'ampleur des enjeux qui sont les siens, le Conseil National du Numérique a besoin de sérénité pour travailler, et les derniers échanges sur la composition du Conseil soulignent que ces conditions ne sont pas pleinement réunies. J'ai donc demandé à la Présidente du CNNum de proposer une nouvelle composition du Conseil", a-t-il expliqué dans un communiqué de presse.

La militante antiraciste Rokhaya Diallo éjectée, le rappeur Axiom attaqué

En cause, une polémique sur deux des 29 choix de Marie Ekeland : la militante féministe et antiraciste Rokhaya Diallo, et le rappeur Hicham Kochman, dit "Axiom". C'est surtout la première qui pose problème à Matignon et à l'Élysée. L'écrivaine et journaliste, également chroniqueuse dans l'émission de Cyril Hanouna Touche pas à mon poste, est connue pour ses positions à contre-courant sur le "racisme d'État". Elle a également dénoncé un "racisme ancré à gauche" concernant notamment le voile islamique, dans une interview donnée en novembre au média Regards.

Sa nomination a ému au gouvernement, dans l'opposition, sur Twitter, dans l'écosystème numérique, et même, selon nos informations, parmi certains autres membres du nouveau CNNum, qui ont fait part de leurs inquiétudes à Marie Ekeland. La députée Valérie Boyer, nouvelle secrétaire générale adjointe de LR, a écrit mardi 12 décembre une lettre au Premier ministre Édouard Philippe, relevant des "contradictions" de la part du gouvernement. "Vous mettez en avant Rokhaya Diallo qui parle de "femmes racisées" et le rappeur Axiom qui associe les Français à des "porcs' ", écrit-elle. Ce dernier s'est défendu et a annoncé avoir saisi son avocat pour donner "la suite judiciaire qu'il mérite" au courrier de Valérie Boyer. D'après nos informations, le gouvernement a uniquement demandé le remplacement de Rokhaya Diallo. Si d'autres personnes venaient à être remplacées par Marie Ekeland, par exemple le rappeur Axiom, "ce ne serait pas du fait du gouvernement", indique-t-on.

Rokhaya Diallo a aussi confirmé sur Twitter que sa nomination n'était "plus à l'ordre du jour". Et dénoncé l'hypocrisie du gouvernement:

Indépendance de façade du CNNum ?

La polémique sur l'indépendance du CNNum vis-à-vis du gouvernement agite le milieu du numérique français depuis plusieurs années. En cause : le processus de nomination des membres, qui, par décret, revient à l'exécutif, et aussi ses positions, très marquées à gauche. Sous François Hollande, le CNNum alors dirigé par Benoît Thieulin puis Mounir Mahjoubi, était régulièrement accusé par la droite et par des fédérations professionnelles comme Tech in France d'être "le bras armé" du gouvernement. Ses positions, comme sur la défense du chiffrement, la promotion du logiciel libre ou la volonté de réguler le secteur du numérique, ont alimenté le débat sur la représentativité réelle du CNNum, censé incarner toutes les sensibilités -y compris libérales- du milieu du numérique français.

Pour l'ancien président Benoît Thieulin, qui figure parmi les 30 nouveaux membres, cette attaque est infondée. "L'indépendance du CNNum ne se juge qu'au travers de ses prises de positions. De mon temps je crois qu'on l'a suffisamment prouvé", indique-il à La Tribune en faisant référence, entre autres, à la vive opposition sur la loi Renseignement de 2015. Même récemment, le CNNum n'a pas hésité à voler dans les plumes du gouvernement.

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Le secrétariat d'État au Numérique n'avait pas de problème avec Rokhaya Diallo

En revanche, la polémique actuelle souligne que, si les membres du CNNum peuvent travailler en toute indépendance, leur nomination reste conditionnée au bon vouloir du gouvernement, alors que Mounir Mahjoubi avait affirmé le contraire:

"Nous avons souhaité, par souci de bonne gouvernance et afin que le débat démocratique puisse avoir lieu, que le Conseil puisse agir en indépendance, compte tenu de l'importance des sujets à traiter. Dans ce contexte, la présidente du Conseil a pu, ce qui est inédit, composer son équipe, en intégrant des points de vue dont certains peuvent être différents de ceux du gouvernement", a souligné le secrétariat d'État au Numérique.

En réalité, les 30 noms ont bien été soumis à un "circuit de validation" en haut lieu. "La composition n'a jamais été faite autrement que par le gouvernement en accord avec le président du CNNum. Rien ne change vraiment en l'occurrence", ajoute Benoît Thieulin. En revanche, le secrétariat d'État au Numérique n'avait pas émis d'objection à la présence de Rokhaya Diallo:

"Nous n'avions pas de problème avec elle, nous n'étions pas remontés aussi loin dans son historique, indique-t-on dans l'entourage de Mounir Mahjoubi. Mais, compte tenu de l'importance des enjeux autour du numérique et des nombreux messages d'inquiétude remontés à Marie Ekeland et au gouvernement, il faut que le CNNum puisse travailler dans la sérénité et que son message ne soit pas brouillé par la présence d'une personnalité polémique."

La nouvelle composition du CNNum sera annoncée la semaine prochaine.