Si Macron l'emporte, quelle politique pour les télécoms ?

Par Pierre Manière  |   |  1024  mots
Emmanuel Macron, le candidat d'En Marche!
Si le candidat d’En Marche! devait damer le pion à Marine Le Pen, le 7 mai prochain, il sera attendu au tournant sur plusieurs dossiers chauds dans les télécoms : la privatisation d’Orange, la poursuite de la couverture du territoire en Internet fixe à très haut débit et la consolidation du secteur. Sachant que ces trois sujets sont, en fait, intimement liés.

Dans le petit monde des télécoms, la présidentielle est suivie avec attention. Dans ce secteur, aussi concurrentiel que gourmand en investissements, l'Etat joue aujourd'hui un rôle majeur. Et beaucoup s'interrogent sur la ligne d'Emmanuel Macron. S'il devait arriver au Château, il aura en effet à se prononcer sur plusieurs dossiers structurants pour l'avenir du secteur. La Tribune fait le point.

1. Faut-il privatiser Orange ?

Véritable serpent de mer, la privatisation totale d'Orange - dont l'Etat est toujours le premier actionnaire avec 23% du capital - va forcément faire l'objet de débats, surtout dans un contexte où l'argent manque dans les caisses publiques. A ce sujet, Emmanuel Macron a ce mois-ci expliqué au site Electron Libre que la participation de l'Etat au capital d'Orange pourrait « évoluer ».

« Orange n'est ni une entreprise du secteur nucléaire ou de la défense ni une entreprise assurant un service public en monopole », a-t-il justifié.

Avec deux bémols toutefois. Le premier concerne le « rôle de stabilisation de l'actionnariat [de l'Etat] dans un contexte où le secteur connaît des évolutions importantes », a expliqué le leader d'En Marche!. Il faut dire que si l'Etat devait se désengager d'Orange, cela pourrait aiguiser l'appétit d'autres acteurs, qui pourraient profiter de l'occasion pour en prendre le contrôle. Parmi les grands groupes intéressés, deux noms reviennent régulièrement. Il y a d'abord Bouygues, qui pourrait ainsi organiser un mariage avec Bouygues Telecom. Ce faisant, le groupe de Martin Bouygues se relancerait dans le secteur, alors que sa filiale télécoms a notamment pris du retard dans le créneau, stratégique, de l'Internet fixe à très haut débit. Mais il y a aussi le Vivendi de Vincent Bolloré. Depuis longtemps, l'homme d'affaires breton est perçu comme un acheteur potentiel d'Orange. D'autant que plusieurs possibilités de synergies et de convergences avec ses filiales médias pourraient être mises en place. En France, Vivendi est la maison-mère de Canal+. Tandis qu'en Italie, Vivendi contrôle l'opérateur historique Telecom Italia, et est le deuxième actionnaire du groupe de télévision Mediaset.

Le second bémol, lui, est lié au plan France Très haut débit, qui vise à déployer la fibre dans tout l'Hexagone à horizon 2022. De fait, l'Etat, en tant que premier actionnaire de l'opérateur historique, pèse largement sur ce grand chantier, crucial pour le développement économique du pays. Ce qui serait bien moins vrai s'il laissait les rênes d'Orange au privé.

2. Assurer la pérennité du plan France Très haut débit

C'est le gigantesque chantier du moment, celui qui vise à apporter l'Internet fixe à très haut débit à tous les Français d'ici à cinq ans. Initié en en 2011, sous le gouvernement de Nicolas Sarkozy, il a été repris sans grand chambardement par François Hollande. D'un coût avoisinant les 20 milliards d'euros, ce plan France Très haut débit est jugé prioritaire dans un monde où disposer d'un bon accès au Net n'est plus un luxe, mais une nécessité. S'il parvient à l'Elysée, Emmanuel Macron devra en assurer la pérennité. Or, certains volets du plan sont aujourd'hui critiqués. Il y a notamment le cas des zones moins denses, situées en périphérie des grandes agglomérations. Ici, certaines collectivités affirment que les grands opérateurs privés ne tiendront pas leurs engagements de déploiement de la fibre, ce qui pourrait accoucher d'une nouvelle fracture numérique. Sur ce point, il appartiendra à l'exécutif de se prononcer. Et ce, en prenant toutefois garde de ne pas tout remettre à plat. Car, ici, les investissements sont si lourds que tous les acteurs, publics et privés, souhaitent plus que tout que le cadre réglementaire demeure stable.

3. Favoriser - ou pas - une consolidation du secteur

C'était le feuilleton de l'année dernière. Et il y a fort à parier qu'il reprendra après les législatives. Aux yeux de la plupart des grands opérateurs, un retour à trois acteurs, synonyme d'une plus grande part du gâteau des télécoms pour les groupes restants, leur permettrait d'un coup de doper leurs résultats économiques et financiers. Récemment, lors de la présentation de leurs résultats 2016, Orange et Bouygues Telecom, qui ont échoué à se marier au printemps dernier, ont affirmé de manière plus ou moins ambiguë qu'ils n'avaient pas balayé cette perspective. Stéphane Richard, le Pdg de l'opérateur historique, a indiqué que le sujet « pourrait revenir ».

Pourquoi ? « Parce que les raisons qui ont poussé les opérateurs à discuter ensemble d'une consolidation existent encore », a souligné le leader du numéro un des télécoms. Parmi elles, il a cité « le besoin crucial d'investir dans les réseaux du futur, c'est-à-dire la fibre, la 4G et la 5G ». Interrogé à ce sujet, Martin Bouygues, le président de la maison-mère de Bouygues Telecom, a répondu de manière plus floue. Il a ainsi assuré que « [ses] perspectives, c'est [ses] clients, [ses] collaborateurs et [ses] actionnaires ; et ce, dans ce sens-là. »

Si le scénario d'un mariage entre Orange et Bouygues Telecom refait surface, l'Etat aura à nouveau son mot à dire. Pour rappel, lors de la précédente tentative, Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, a largement participé à faire capoter l'opération en fixant des conditions jugées inacceptables par Martin Bouygues. Outre ses préoccupations patrimoniales, l'exécutif devra aussi veiller à ce qu'un éventuel rapprochement ne plombe pas le plan Très haut débit. Un point qui inquiète déjà l'Arcep, le régulateur du secteur. En mars dernier, Sébastien Soriano, son président, a estimé qu'une fusion pourrait nuire aux investissements, « alors que c'est le moment d'investir dans la fibre », a-t-il souligné. Le patron de l'Arcep n'a pas oublié les conséquences du rachat de SFR par Numericable en 2014. Il faut dire qu'à l'époque, après l'opération, le nouvel ensemble avait un temps suspendu ses investissements.