Suppression de 600 postes chez Nokia : la colère gronde

Par Pierre Manière  |   |  737  mots
Le secrétaire d'Etat à l'Economie Benjamin Griveaux, a rencontré les représentants syndicaux de Nokia ce jeudi.
Le géant finlandais des équipements télécoms a suscité l’émoi en annonçant qu’il voulait tailler dans ses effectifs français à hauteur de 597 collaborateurs en 2018 et 2019. Pour les syndicats, ce projet est « inacceptable ». D’autant que selon eux, Nokia n'a pas respecté ses engagements pris en 2016, lors du rachat d’Alcatel, où il avait promis de maintenir l’emploi de 4.200 salariés jusqu’à la fin 2017.

Les syndicats, c'est peu dire, sont remontés. Mercredi dernier, Nokia a annoncé qu'il souhaitait tailler dans ses effectifs dans l'Hexagone. Au total, le géant des télécoms veut supprimer 597 emplois en 2018 et en 2019. D'après un porte-parole du groupe, ces coupes concerneront les filiales Alcatel Lucent International et Nokia Solutions and Networks. Elles affecteront les fonctions centrales et support de ces filiales basées au campus de Paris-Saclay (Essonne) et à Lannion (Côtes-d'Armor), tandis que les fonctions recherche-développement ne seront « pas concernées », a-t-elle précisé. En outre, le porte-parole précise que ce projet dit « d'évolution », est justifié par l'objectif de la maison-mère de dégager 1,2 milliard d'euros d'économies d'ici la fin 2018.

Cette annonce a provoqué un tollé chez les syndicats. A la CGT, par exemple, la manœuvre est jugée inacceptable, d'autant que ces coupes viennent après « [la suppression] de 394 postes en 2016 », dénonce-t-elle dans un communiqué. Pour l'organisation syndicale, qui dénonce des « licenciements boursiers », la mesure est incompréhensible, surtout que « Nokia vient de distribuer 4,4 milliards d'euros aux actionnaires en dividendes et rachat de ses propres actions ». En outre, « le groupe a aussi perçu beaucoup d'argent public en France, 67 millions en crédit d'impôt recherche (CIR) et CICE l'an passé », rappelle le syndicat, voyant là un moyen pour le gouvernement d'aller possiblement au bras de fer.

« Duperie »

Pour tenter d'empêcher ces coupes d'effectifs, les représentants syndicaux arguent, en parallèle, que Nokia n'aurait pas respecté ses engagements, pris début 2016 avec l'Etat lors du rachat d'Alcatel, de maintenir les effectifs à hauteur de « 4.200 pendant deux ans ». A ses yeux, il s'agirait ni plus ni moins qu'une « duperie », car les effectifs actuels seraient de « 3.941 ». Sur ce point, les syndicats affirment que 500 embauches étaient prévues pour porter les effectifs de recherche-développement à 2.500, mais que seuls une centaine de recrutements ont jusqu'à présent été réalisés.

Ce jeudi, les syndicats de Nokia ont fait part de leur ras-le-bol au ministère de l'Economie. Ils affirment avoir trouvé une oreille attentive. « Il y a eu vraiment un dialogue et une écoute, s'est félicité Frédéric Aussedat, de la CFE-CGC. On a senti un soutien sur les engagements [...] signés avec Emmanuel Macron, et on sent qu'il a envie de taper du poing sur la table. » Bercy s'est toutefois gardé de prendre le moindre engagement pour l'instant, attendant notamment de rencontrer les responsables français de Nokia la semaine prochaine. Quoi qu'il en soit, Frédéric Aussedat estime que les nouvelles coupes d'effectifs ne semblent pas être remises en cause. Mais il espère que le fait que Nokia n'ait pas tenu ses engagements pourrait le retarder, voire l'atténuer.

Quel projet pour la France ?

Sur le fond, Bercy pourrait aussi demander à Nokia de repréciser son projet pour la France. En 2015, alors que Nokia bouclait le rachat d'Alcatel, Bercy avait notamment déclaré au JDD : « S'engager sur l'emploi seul ne sert à rien si Nokia n'ancre pas en France un centre de décision mondiale dans la recherche », en misant notamment sur la cybersécurité. Car aujourd'hui encore, les chercheurs français planchent essentiellement sur la 5G, la prochaine génération de téléphonie mobile. Mais sur ce créneau, ils sont en concurrence - avec risque de doublons - avec leurs homologues finlandais...

Côté résultats, Nokia continue de perdre de l'argent, même si sa situation financière s'améliore, du fait, notamment, de sa politique de dégraissage et de chasse aux coûts. Au deuxième trimestre, le géant des équipements télécoms a indiqué avoir réduit sa perte nette de 36% sur un an à 423 millions d'euros, pour un chiffre d'affaire stable. Reste que le marché des équipements télécoms demeure aussi difficile qu'extrêmement concurrentiel. Ces dernières années, il a été bousculé par le géant chinois Huawei, qui affiche une croissance insolente. Cette année, son chiffre d'affaires semestriel a crû de 15% à 283 milliards de yuans (soit 35,8 milliards d'euros). Surtout, Huawei a réussi en un temps record à se faire une place dans le difficile marché des smartphones à côté des Samsung et Apple. Une réussite qui ressemble à un pied-de-nez à Nokia, ex-numéro un mondial du mobile, qui peine à retrouver son lustre d'antan après avoir raté le virage des terminaux intelligents.

(avec AFP et Reuters)