Taxe Gafa : Bruno Le Maire prêt à mettre de l'eau dans son vin face à Trump

Par Sylvain Rolland  |   |  832  mots
Bruno Le Maire se dit prêt au "compromis" avec Donald Trump. Il est plus que temps : la réunion de la dernière chance pour sauver la réforme de l'OCDE, qui doit mieux taxer les activités numériques des entreprises, se tiendra mercredi prochain, pendant le forum économique de Davos. (Crédits : Gonzalo Fuentes)
Pour éviter une guerre commerciale entre l'Union européenne et les Etats-Unis, le ministre de l'Economie et des Finances se dit prêt à "faire des concessions" sur la taxe Gafa française face à Donald Trump. L'objectif : faire rentrer les Américains dans le rang à l'OCDE, où se négocie une réforme internationale de la fiscalité du numérique. Verdict mercredi prochain à Davos.

Après le bras de fer, le pas de côté. Pour pousser les Etats-Unis à accepter l'accord sur la réforme de la fiscalité internationale négocié dans le cadre de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), Bruno Le Maire se dit prêt au "compromis" avec Donald Trump. Il est plus que temps : la réunion de la dernière chance pour sauver la réforme de l'OCDE, qui doit mieux taxer les activités numériques des entreprises, se tiendra mercredi prochain, pendant le forum économique de Davos. Angel Gurria, le secrétaire général de l'OCDE, y annoncera, en compagnie de Bruno Le Maire et de son homologue américain Steven Mnuchin, si oui ou non, il y a un accord politique sur les grandes lignes cette réforme majeure.

Accord de la dernière chance à Davos ou guerre commerciale UE-USA

A quelques jours de l'échéance, la tension est au plus haut. Si les Etats-Unis donnent leur feu vert, l'accord sera approuvé fin janvier par les membres de l'OCDE. A partir de là, l'organisation aura le champ libre pour travailler sur le détail de la réforme (le taux de taxation des surprofits, les modalités de contrôle et d'arbitrage...), qu'elle présentera en juin prochain, pour aboutir à un texte final en novembre 2020, et une application par les pays à partir de 2021.

En revanche, s'il n'y a pas d'accord, la guerre commerciale entre les Etats-Unis et l'Union européenne est imminente. "S'il n'y a pas d'accord à Davos avec les Etats-Unis, alors la réforme de l'OCDE est impossible donc il n'y aucune raison que la France recule sur sa taxe nationale", a avancé Bruno Le Maire.

Mais si la France maintient et applique sa taxe Gafa, les Etats-Unis ont déjà annoncé qu'ils lanceront des sanctions commerciales à hauteur de 2,4 milliards d'euros sur le vin et d'autres produits français à l'export... ce qui déclenchera la guerre commerciale. "En cas de sanctions, l'Union européenne ripostera", a assuré le ministre de l'Economie et des Finances, qui indique avoir reçu l'assurance que Bruxelles engagerait à son tour des sanctions commerciales contre les Etats-Unis.

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La solution : un recul français sur la taxe Gafa contre un recul américain sur le principe d'optionalité de la taxe de l'OCDE

Mais Donald Trump a déjà prouvé avec la Chine que la guerre commerciale ne l'effraie pas -elle tend même à améliorer sa popularité auprès de son électorat. Les Etats-Unis sont donc très fermes : leur engagement avec l'OCDE depuis janvier 2019 signifie pour eux que la France doit supprimer la taxe Gafa, jugée -non sans fondement- "discriminatoire", et attendre la nouvelle fiscalité internationale.

Face au refus de Bruno Le Maire et d'Emmanuel Macron, les Etats-Unis n'ont pas hésité, fin novembre, à carrément menacer de faire capoter l'accord à l'OCDE. Le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, a sorti de son chapeau une nouvelle exigence : la taxe de l'OCDE devra être optionnelle, les entreprises seraient libres de recourir à l'ancien mode de taxation ou au nouveau. Une condition immédiatement jugé "inacceptable" par l'OCDE et par la France. "L'optionalité est un "no starter", on ne peut pas taxer les entreprises à la carte. L'enjeu ici, c'est de bâtir une nouvelle fiscalité pour le XXIè siècle", a affirmé le ministre.

Pour sortir du bourbier diplomatique, les positions doivent forcément bouger. Tout l'art du poker menteur est donc de ne pas perdre la face. Côté français, Bruno Le Maire a présenté cette semaine à l'administration Trump "un certain nombre de propositions de compromis" sur sa taxe Gafa. Le ministre a refusé de les dévoiler, mais il s'agirait pour la France de maintenir officiellement sa mesure controversée, mais de faire en sorte de la rendre indolore, donc la vider de sa substance pour la rendre acceptable par Donald Trump.

De leur côté, les Etats-Unis renonceraient au principe d'optionalité de la future taxe de l'OCDE. Il ne serait d'ailleurs déjà "plus sur la table" d'après Bruno Le Maire. Et si les Etats-Unis acceptent les concessions de la France sur la taxe Gafa, alors il n'y aurait plus de raison de surtaxer les produits français à l'export, ce qui éloignerait la perspective de la guerre commerciale.

D'après une source proche du dossier, ce scénario est plausible car il permettrait à la France de déguiser son échec diplomatique en ramenant les Etats-Unis "à la raison" à l'OCDE. Mais dans le fond, les concessions françaises sur la taxe Gafa seraient un "vrai recul", tandis que l'abandon du principe d'optionalité par les Etats-Unis ne serait qu'un "compromis de façade". Un cas typique de "l'art de la négociation" cher à Donald Trump, où il lance une exigence qu'il sait inacceptable pour déplacer les enjeux de la négociation et, au final, ne pas concéder grand-chose.