Télécoms : qui profiterait d'un retour à trois opérateurs ?

Par Pierre Manière  |   |  1012  mots
UFC-Que choisir juge qu'en cas de mariage Orange-Bouygues Telecom, « les risques d’un amoindrissement de la concurrence et de hausses tarifaires sont ainsi particulièrement marquées ».
Un mariage entre Bouygues Telecom et Orange serait synonyme du grand retour à trois opérateurs dans l’Hexagone. Mais quels en seraient les impacts sur la concurrence, les prix et les investissements ? La Tribune fait le point.

C'est fait. Mardi, Orange et Bouygues ont officialisé leurs discussions concernant la cession de la filiale télécoms du géant des BTP à l'opérateur historique. Un tel mariage ouvre donc la voie à un grand retour à trois opérateurs dans l'Hexagone. Une perspective que les marchés ont applaudi. Mardi, Numericable-SFR a flambé de plus de 12% en Bourse. Idem pour Iliad (Free), qui prenait 2,74%. Il en va de même pour Orange (+0,7%) et Bouygues (+0,4%). Pourtant, un retour à trois acteurs constitue-t-il vraiment un mieux ? Et notamment pour les consommateurs ? Pas si sûr.

1. La pression concurrentielle sera-t-elle maintenue ?

C'est un des principaux point à régler. Bruno Lasserre, à la tête de l'Autorité de la concurrence, expliquait mi-décembre sur France Info que quoi qu'il arrive, il veillerait à ce que le secteur demeure « dynamique » :

« Soyons clairs : pour la concurrence, quatre opérateurs, c'est mieux que trois. Qui pourrait dire le contraire ? Et qui pourrait nier le rôle de Free qui a sérieusement animé un marché insuffisamment concurrentiel au départ ? [Pour se faire une place, l'opérateur de Xavier Niel a cassé les prix en arrivant dans le mobile en 2012, Ndlr] »

Pour autant, Bruno Lasserre n'a pas fermé la porte à une consolidation, soulignant que la concurrence n'est pas « uniquement une affaire de nombre » :

« Tout dépend des configurations : si au sein des trois opérateurs, il y en a un qui, parce qu'il est animé d'une stratégie de conquête, va remuer en quelque sorte les choses, va préférer conquérir de nouveaux clients plutôt que d'exploiter la base de clients déjà installée, la concurrence peut rester vive et vigoureuse. »

Pour ce faire, dans le cadre de l'actuelle consolidation, « il faut désormais armer Iliad (Free) », dont le réseau mobile est encore en plein déploiement, résume Agathe Martin, analyste chez Exane-BNP Paribas. Comment ? Pour l'essentiel « en lui vendant une large part des antennes de Bouygues Telecom ainsi que du spectre [des fréquences, vitales pour la transmission de données en 3G et 4G, Ndlr] », rappelle-t-elle. Reste à savoir combien Iliad, qui sait que rien ne se fera sans lui, sera prêt à débourser pour reprendre ces actifs...

2. Les prix vont-t-il augmenter ?

C'est la question qui fait jaser. Rien ne garantit, pour l'heure, qu'un retour à trois opérateurs ne se soldera pas in fine par une hausse des prix. Et si celle-ci n'intervient pas dans l'immédiat, qui sait ce qui se passera sur le moyen-long terme ? C'est d'ailleurs la crainte affichée mardi par l'UFC-Que choisir. Dans un communiqué intitulé « Attention danger ! », l'association de défense des consommateurs juge que « les risques d'un amoindrissement de la concurrence et de hausses tarifaires sont ainsi particulièrement marquées ».

Dans le petit monde des télécoms, que ce soit chez Orange ou chez Numericable-SFR (lorsque l'opérateur de Patrick Drahi s'intéressait à Bouygues Telecom au printemps dernier), on ne parle pas d'« augmentation des prix », dont la perspective pourrait mettre à mal tout projet de consolidation. Mais plutôt d'une « stabilisation ». L'argumentaire est bien rôdé : un retour à trois opérateurs permettrait de mettre un terme à la guerre des prix - dans l'Internet fixe comme dans le mobile - qui sévit depuis l'arrivée de Free. Cela permettrait aux opérateurs de disposer de davantage de marge financière à consacrer au très haut débit, c'est-à-dire aux déploiements de la 4G et de la fibre.

A ce sujet, Stéphane Richard a affirmé mardi sur RTL qu'un rapprochement entre Orange et Bouygues Telecom « ne se traduirait pas par une augmentation des prix ». A ses yeux, une fusion permettrait surtout « d'optimiser [ses] investissements et d'aller plus vite pour apporter la meilleure connectivité possible à tous les Français ».

Au-delà des mots, un mariage mettrait déjà un terme à la politique de conquête de Bouygues Telecom dans l'Internet fixe, avec son offre triple-play ADSL à prix cassé (19,99 euros). Ainsi, « cela permettrait aux autres opérateurs de lever le pied sur les promotions aujourd'hui nécessaires pour contrer cette agressivité », estime Agathe Martin. De son côté, un autre analyste pour une grande banque, qui veut garder l'anonymat, n'écarte pas le scénario d'une remontée des prix. « C'est dur de se prononcer, dit-il. Cela dépendra, par exemple, de la capacité d'Orange à garder les clients de Bouygues Telecom qu'il rachètera. »

3. Une fusion favoriserait-elle les investissements ?

Pas forcément. Pour Agathe Martin, « si Free récupère une partie du réseau mobile de Bouygues Telecom, ils auront moins d'investissements à faire dans le mobile, et pourront concentrer leurs efforts dans la fibre ». Un avis que ne partage pas notre autre analyste, pour qui le groupe de Xavier Niel n'a pas besoin de la fusion pour mettre les bouchées doubles sur ce créneau : « Compte tenu de sa génération de cash dans le fixe et de son bilan sain, Free peut en l'état d'ores et déjà accélérer les investissements dans la fibre... »

Pour Numericable-SFR, Agathe Martin juge que la fusion pourrait permettre au groupe « de perdre moins de clients [sur un an, l'opérateur de Patrick Drahi en a perdu plus d'1,3 millions, Ndlr], et donc d'espérer une stabilisation plus rapide de leurs revenus ». En termes d'investissements, « cela leur permettra de rattraper plus facilement leurs concurrents dans la 4G et de poursuivre tranquillement leurs ambitions dans la fibre ». De son côté, notre autre analyste juge qu'un mariage Orange-Bouygues Telecom ne devrait pas avoir d'impact sur la politique d'investissements du groupe :

« La force de Drahi, c'est d'avoir une stratégie de long terme : il sort une box, fait de la convergence fixe-mobile, puis mise sur les contenus en lançant un service de SVOD ou en achetant des droits du foot. »

Concernant Orange, il ne voit pas non plus en quoi la fusion pousserait l'opérateur historique à investir davantage dans la fibre. D'autant que ce n'était clairement pas, jusqu'alors, une priorité de Bouygues Telecom, qui concentrait ses efforts sur son réseau mobile.