Free : la concurrence vue par le patron de la Concurrence

Par Sandrine Cassini  |   |  648  mots
Bruno Lasserre, président de l'Autorité de la concurrence Copyright Rea
Bruno Lasserre, le président de l'Autorité de la concurrence, décrypte l'impact de la concurrence sur l'économie en période de crise. Revenant sur les destructions d'emplois dans les télécoms, il suggère d'en analyser les effets long terme.

Faut-il privilégier l?entreprise ou le consommateur ? Tout en prenant soin de ne pas citer les actuels protagonistes, Bruno Lasserre, le président de l'Autorité de la concurrence, a dit ce qu?il pensait de la polémique actuelle qui fait rage dans les télécoms opposant Free aux opérateurs traditionnels. Ces derniers, qui ont trouvé dans le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg un soutien inattendu, n?ont eu de cesse de dénoncer l?arrivée du nouvel opérateur sur le marché de la téléphonie mobile, l?accusant de les condamner à détruire de l?emploi.

Le revirement de Montebourg est "humain"

« Avant l?élection, Arnaud Montebourg avait eu l?occasion de me dire que l?Autorité n?était pas assez virulente. Puis lors d?un dîner, lui, qui est un excellent avocat, avait défendu avec brio le bilan de l?Autorité, mieux que je ne l?aurais fait moi-même. Depuis le discours a changé. L?opposition est toujours sensible aux consommateurs, car ce sont les futurs électeurs. Après, quand on est élu, on est confronté aux entreprises, qui rencontrent des difficultés, qui licencient. C?est humain. », a indiqué Bruno Lasserre, expliquant le revirement d?Arnaud Montebourg sur le sujet Free.

Le chapeau trop grand de la concurrence
Quelles conclusions faut-il tirer des plans de suppressions de postes menés par les opérateurs télécoms ? Bruno Lasserre a considéré que « l?on faisait porter un chapeau trop grand à concurrence ». Plus généralement, « la crise nécessite que l?on protège les plus faibles, comme les petites entreprises ou les consommateurs, qui n?ont pas de pouvoir de négociation. Si nous relâchons la pression, ce sont eux qui risquent d?être impactés. On oppose souvent producteur et consommateur, en se demandant si l?on n?a pas trop privilégié le pouvoir d?achat. Il ne faut pas regarder les cycles courts mais mesurer sur le long terme les effets des mesures limitant la concurrence. Les lois Royer/Raffarin limitant la concurrence dans la distribution ont détruit 10% d?emplois. Aux Etats-Unis, une étude de 2003 a fait le bilan de mesures de protection prises par Bush père destinées à protéger les grands conglomérats de la sidérurgie. L?étude a montré que ces mesures avaient protégé entre 3 et 4.000 emplois dans ces groupes sur la période. Mais qu?entre 12.000 et 43.000 emplois dans l?économie avaient été détruit dans le reste de l?économie du fait par exemple des hausses de prix ».

Sans faire de "génuflexion", la concurrence a favorisé l?innovation
Bruno Lasserre, historiquement favorable à l?arrivée d?un nouvel opérateur mobile, qui avait aussi préparé à la fin des années 90 la loi sur l?ouverture des télécoms à la concurrence est revenu sur l?évolution du secteur. « Sur le long terme, la concurrence dans les télécoms a favorisé l?innovation. Quand on voit que la panne d?Orange a mobilisé deux ministres, on réalise bien que le secteur est crucial avec un enjeu national. Le gâteau a crû, et s?est réparti différemment », a indiqué le président, qui a aussi demandé de ne pas oublier que « la concurrence ne peut pas tout. Ce n?est pas un veau d?or, devant lequel il faut faire des génuflexions. C?est un levier, qui à l?avantage de ne rien coûter par rapport à d?autres leviers comme la fiscalité, mais ce n'est pas l?alpha et l?omega de l?économie ». En 2005, l?Autorité avait infligé aux trois opérateurs mobiles une amende de 534 millions d?euros pour entente. Jusqu?à l?arrivée de Free, même si les pratiques ont changé, les positions de chacun sont restées figées.