Des smartphones subventionnés chez Free Mobile : trahison des idéaux ou relance de la guerre des prix ?

Par Delphine Cuny  |   |  940  mots
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Pourfendeur des contrats avec engagement de ses concurrents, Free lance une opération sur le site vente-privee qui reprend pourtant les mêmes mécanismes. Celle-ci préfigure sans doute l'offre subventionnée promise par Free. Certains analystes prédisent une nouvelle vague de la guerre des prix.

Les dirigeants de Free Mobile avaient prévenu qu'ils s'attaqueraient au marché des téléphones mobiles subventionnés, qu'ils n'avaient pu atteindre avec leurs forfaits sans engagement. Voilà leur première réponse, sous la forme d'une opération de promotion sur le site vente-privée de Jacques-Antoine Granjon, ami de Xavier Niel. L'iPhone 5 est proposé à 199 euros avec un forfait à 39,99 euros par mois à condition de s'engager pour 24 mois (voir les conditions mises en ligne par le site spécialisé Univers Freebox).

Le dernier modèle d'Apple est présenté au même prix chez d'autres opérateurs mais avec des forfaits plus coûteux : Origami Jet à 79,90 euros chez Orange par exemple. Avec un abonnement au même prix, le téléphone est vendu deux fois plus cher (399 euros avec un Origami Play) et l'accès Internet est plafonné à 2 Go, contre 6Go chez Free Mobile. C'est l'autre nouveauté de l'opération de Free : le « fair use », la quantité de données au-delà de laquelle le débit est réduit, est doublé par rapport au forfait actuel du quatrième opérateur (3Go pour 19,99 euros). Ce nouvel abonnement est aussi proposé sans mobile et sans engagement sur le site de soldes en ligne.

« Discount de 15% à 50% sur la concurrence »
Des offres « très agressives avec un discount de 15% à 50% sur les offres de la concurrence » estiment les analystes d'Odddo qui ont sorti leur calculette pour comparer le « coût total de possession » (« total cost of ownership » ou TCO) c'est-à-dire le prix d'acquisition du terminal ajouté à celui du forfait mensuel multiplié par 24 mois. Ce coût revient à 1.158 euros dans l'exemple de l'iPhone 5 sur 24 mois, contre 1.120 euros en payant le téléphone comptant sur le site de Free Mobile avec un abonnement à 19,99 euros (3Go) ou 1.598 euros avec le forfait en promotion à 39,99 euros (pour 6Go), soit une subvention de 440 euros sur toute la durée.

« Pour seulement 40 euros, soit 1,5 euro par mois, Free offre 3Go de data supplémentaires et surtout le coût du crédit à la consommation » considèrent les analystes qui tablent sur 200 à 500.000 nouveaux abonnés pouvant être conquis par cette opération, « faisant sauter l'obstacle administratif du crédit conso qui rebutait les clients. » Le modèle plus ancien, l'iPhone 4, et le Nexus 4 de Google (conçu par LG) sont proposés à 1 euro, le Galaxy Note 2 de Samsung à 69 euros et le Galaxy S4 à 179 euros.

Les subventions avec engagement, des offres pour les « pigeons » ?
Sur la Toile, les réactions sont beaucoup plus mitigées, y compris chez les plus fervents supporters de Free, chantres du sans engagement. Ces derniers reprochent au nouvel entrant, venu dynamiter le marché il y a dix-huit mois, de trahir ses idéaux de liberté et de de recourir aux mêmes méthodes que ses concurrents, après les avoir vertement critiquées : Free avait même attaqué en justice SFR sur certains forfaits avec subvention du mobile, qu'il considérait comme du « crédit déguisé » ; il a été débouté par le Tribunal de commerce de Paris en janvier (et même condamné pour dénigrement).

L'OCDE vient de publier une étude internationale montrant que les abonnements mobiles avec subvention sont rarement une bonne affaire. « Vous avez voulu des offres avec subventions chez Free Mobile ? Vous les avez. Pigeon un jour, pigeon toujours » ironise ainsi un abonné sur Twitter. Bien que déçus, certains fans de la première heure se consolent avec la réduction de 4 euros accordée aux clients ADSL ayant la Freebox ou avec la perspective (non confirmée à ce jour) d'une généralisation du plafond de 6 Go à tous les abonnés Free Mobile, y compris ceux à 19,99 euros, à la rentrée. Au moment du lancement en grande pompe des offres 4G de Bouygues Telecom...

La plupart des experts s'attendent en effet à ce que les futures offres subventionnées de Free soient plus ou moins calées sur cette promotion. « Free avait promis des solutions innovantes, originales, pour attaquer ce marché, cela prouve qu'il n'a pas trouvé. Comme l'an dernier, l'innovation n'est que tarifaire » observe un analyste.

Plus de subventions à la concurrence ou nouvelle vague de guerre des prix ?
Financièrement, l'opération sera-t-elle profitable pour Free ? L'impact sur l'excédent brut d'exploitation serait de l'ordre de 260 à 320 euros par nouvel abonné, ce qui devrait tout de même permettre à Free de conserver son objectif d'atteindre l'équilibre dans le mobile cette année avec 500 à 700.000 abonnés à une offre subventionnée, d'après les estimations d'Oddo. Selon Stéphane Beyazian, de Raymond James Euro Equities, « le calcul ne semble pas rentable pour Free sur un terminal très haut de gamme comme l'iPhone 5, si l'abonné ne reste que deux ans. Mais Free effectue un jeu d'hypothèses sur la masse. Il lui faudra peut-être augmenter le prix du forfait, à 45 euros par mois par exemple, pour ce type de smartphone. »

Quid de la concurrence, qui n'a cessé de marteler la nécessité de recréer de la valeur après 18 mois de chute des prix ? Oddo croit à un effort accru sur les subventions, ce qui réduirait la marge de man?uvre des opérateurs "historiques", notamment Orange, dans leur programme de baisse des coûts. « Les autres opérateurs sont condamnés à réagir, car c'est leur c?ur de métier qui est attaqué. Soit en augmentant la subvention, soit en baissant les prix des forfaits, ce qui semble plus probable, pour éviter de créer un effet de bulle sur le marché des subventions, risqué en temps de crise » parie un bon connaisseur du secteur, qui redoute « une nouvelle vague de la baisse des prix. »