« Avec les contrats à 15 euros, tout le monde est perdant »

Par Propos recueillis par Ivan Best  |   |  645  mots
Philippe Dabat, directeur général délégué du groupe de protection sociale AG2R
[ #Complémentaires santé ] Philippe Dabat dénonce la guerre des prix qui sévit dans le domaine de la complémentaire santé collective. Selon lui, les contrats à 15 euros, c'est une « mauvaise intitiative » qui générera bien des mécontentements.

LA TRIBUNE - Comment faites-vous face à la concurrence très forte sur le marché de l'assurance santé collective ?

PHILIPPE DABAT - La grande surprise, depuis le début de l'année, c'est l'intensité des négociations concernant les accords de branche. On en comptait d'ordinaire une dizaine par an, il y en aura au moins 70 cette année. L'ANI a provoqué un nombre de négociations beaucoup plus important qu'imaginé. Ce mouvement va structurer le marché.

Les chefs d'entreprise doivent y être attentifs. Tout employeur se préoccupant de la complémentaire santé doit d'abord s'interroger sur la branche à laquelle il appartient, et se renseigner sur les négociations qui y sont en cours ou conclues, ainsi que sur l'éventuelle extension de l'accord à toutes les entreprises. S'il souscrit auprès d'un assureur un contrat ne respectant pas cet accord, il sera en sutuation de risque vis-à-vis de ses salariés.

Comment ces accords vont-ils se traduire pour votre activité ?

Quatre cent mille entreprises sont actuellement sans mutuelle Je ne serais pas étonné que près de la moitié d'entre elles soient concernées par des accords de branche. Dans la plupart des cas, des assureurs sont corecommandés. Néanmoins, le chef d'entreprise reste libre du choix de son assureur. Les accords de branche déjà signés prévoient quasiment tous des garanties supérieures au panier de base ANI, avec souvent des garanties équivalentes à celles souscrites dans des entreprises de taille plus importante, de plus de 1000 salariés. C'est un véritable avantage pour le salarié, à des prix très intéressants pour les petites entreprises.

Assiste-t-on à une bataille des prix ?

Elle a lieu, effectivement. On trouve des contrats ANI, pour le panier de soins minimum, à 15 euros par mois et par salarié, c'est une aberration. N'importe quel actuaire vous confirmera que le prix moyen de ce contrat ANI devrait être entre 28 et 30 euros.

Avec quelles conséquences ?

Ces contrats à 15 euros sont une mauvaise initiative. Pour l'assureur d'abord, qui perd

13 euros par mois et par salarié. Soit 780 euros de pertes par an et par entreprise sur la base de cinq salariés. Du coup, dès 2017 et par la suite, il sera contraint de majorer rapidement ses prix, créant inévitablement de l'insatisfaction et du turnover puisque les clients iront voir ailleurs. Un contrat en santé collective dure sept ans en moyenne. Même en augmentant les tarifs, comment voulez-vous amortir un contrat vendu avec ce niveau de pertes en l'espace de sept ans ? Le résultat est donc un client mécontent, et une perte sèche.

Les assureurs qui jouent les bas prix ne vont-ils pas équilibrer leurs comptes en vendant d'autres produits au chef d'entreprise devenu leur client ?

Je n'y crois pas. Le client étant vite insatisfait, il ne souscrira pas d'autres produits. Et quand bien même il le ferait, il est très difficile de récupérer 800 euros par an perdus sur d'autres ventes.

Et pour le chef d'entreprise ?

Certes, il ne paiera que 7,50 euros par mois et par salarié. Mais le salarié, qui avait déjà une mutuelle souscrite individuellement le couvrant beaucoup mieux, sera mécontent. Il demandera de meilleures garanties à son patron qui l'incitera à souscrire une « surcomplémentaire ». Celle-ci sera onéreuse, l'assureur cherchant bien sûr à récupérer une partie des pertes liées au contrat de base. C'est la double peine pour le salarié : son patron ne paie quasiment rien, et toute l'économie réalisée par son employeur, il doit l'assumer à travers une surcomplémentaire dont le tarif augmentera année après année. Du coup, le salarié demandera sans doute une hausse de salaire pour compenser. Ce qui, pour l'employeur, est beaucoup plus onéreux que la souscription d'une bonne mutuelle, notamment compte tenu de l'exonération de charges sociales. Tout le monde est perdant...