Pourquoi l'immobilier en Allemagne est moins cher

Par Mathias Thépot  |   |  1079  mots
A Berlin, les logements se louent en moyenne à 8,3 euros du mètre carré.
Le faible niveau des prix des logements en Allemagne bénéficie à son économie tout entière. La culture de l'immobilier y est, il est vrai, atypique.

L'Allemagne fait figure d'exception européenne par sa maîtrise des prix des logements. Durant la première décennie du 21e siècle, les prix de l'immobilier outre-Rhin ont en effet crû de moins de 10%, contre plus de 100% en France et au Royaume-Uni. Résultat, le coût du logement n'a que faiblement pesé dans le budget des ménages allemands, ce qui a notamment facilité la mise en œuvre par Berlin d'une politique de forte modération salariale, avec notamment les fameuses réformes Hartz. Autrement dit, les prix de l'immobilier bas ont, à leur manière, participé à accroître la compétitivité de l'Allemagne.

Cet état de fait interpelle forcément en France, où la forte croissance des prix de l'immobilier a été désignée par des experts économistes et autres hauts fonctionnaires comme l'une des causes des maux de l'économie française. Que ce soit à cause de la pression sur les salaires nominaux qui en découle, de l'augmentation des prix des loyers pour les entreprises, de l'éloignement des salariés de leur lieu de travail, ou même de l'impossibilité pour les ménages de dégager des marges de manœuvre financières pour consommer ou épargner autre chose que de l'immobilier.

Plusieurs bassins d'emplois

Il est donc intéressant de comprendre comment l'Allemagne a pu maintenir le prix de ses logements à un niveau abordable dans les zones dites tendues. D'abord, l'une des raisons est la structure de son économie: elle ne dépend pas d'un bassin d'emploi, comme en Angleterre avec Londres ou, dans une moindre mesure, en France avec Paris, mais d'au moins sept grandes métropoles, toutes peuplées de plus de 1,2 million d'habitants (Munich, Francfort, Stuttgart, Hambourg, Cologne, Düsseldorf et Berlin). De quoi répartir la pression de la demande de logements sur tout le territoire.

Ensuite, le faible niveau des prix s'explique par la culture locative dominante en Allemagne dans les grandes villes. Celle-ci aussi détend la pression sur les prix à l'achat. Au total, à peine plus de 50 % des Allemands sont propriétaires, selon les chiffres d'Eurostat. Sur le Vieux Continent, seule la Suisse possède une part de ménages propriétaires plus faible. Encore plus explicite, dans les sept plus grandes villes, la part des ménages locataires varie entre 67 % à Stuttgart et... 84 % à Berlin (!), selon les chiffres du groupe immobilier CBRE.

L'exemple le plus criant de cette culture de la location en Allemagne est certainement l'interdiction d'y donner congé à un locataire qui paie son loyer. Seule la reprise pour occupation personnelle du propriétaire est autorisée, mais elle est très encadrée.

Les prix des loyers sont plus faibles qu'en France

Les prix des loyers sont restés très modérés : un logement se loue aujourd'hui en moyenne à 14,2 euros du mètre carré à Munich, 12 euros à Francfort, 10,7 euros à Stuttgart, 10,5 euros à Hambourg, 9,8 euros à Cologne et 8,33 euros à Berlin.

A titre de comparaison, en France, si Paris est hors catégorie (24,8 euros du mètre carré à la location en moyenne, selon l'Observatoire Clameur), à Lille (13,2 euros), à Nice (15,3 euros), à Lyon (12,8) et à Montpellier (13,8 euros), les loyers sont nettement plus élevés que dans la plupart des grandes villes allemandes.

Pour comprendre cette maîtrise des prix des loyers outre-Rhin, il faut remonter à l'après-guerre, où la reconstruction immobilière du pays s'est faite par le biais de l'équivalent des logements locatifs sociaux. L'Etat allemand avait la main mise sur le marché du logement à l'ouest, et encore plus, à l'est.

Cette tendance s'est ensuite inversée à l'ouest à partir des années 1960, mais « la qualité des biens étant la même à la location qu'à l'accession, et le niveau des loyers étant dérisoire pendant des décennies, l'Allemagne a développé une mentalité de locataires, favorisée également par une grande stabilité des prix de l'immobilier », explique-t-on chez Aden Immo, un spécialiste de l'immobilier berlinois. En outre, en parallèle, « l'Etat allemand n'a rien entrepris pour développer une "Allemagne de propriétaires" : il n'y a eu ni politique volontariste concernant l'accession à la propriété, ni de clientélisme en direction de potentiels propriétaires lors des élections », ajoute-t-on.

Un frémissement récent sur les prix ..

A l'avenir, le faible dynamisme démographique allemand risque également de limiter structurellement la hausse des prix. Par ailleurs, le foncier ne manquant pas en Allemagne, il y aura toujours des possibilités pour construire, même si les ménages allemands sont attachés aux grands espaces.

Toutefois, ces trois dernières années ont vu les prix à l'achat et à la location bondir dans les grandes villes allemandes, parfois de plus de 10 % par an. Un effet rattrapage passager ou une tendance structurelle ? Difficile à dire...

Du reste, les marchés immobiliers des grandes métropoles sont tendus : les taux de vacance sont très faibles, ils oscillent entre 0,4 et 1,8 % ; et ces marchés immobiliers sont en situation de sous-offre. Selon CBRE, il a globalement manqué 200.000 nouvelles constructions de logements dans les sept grandes métropoles allemandes entre 2004 et 2013 pour subvenir aux nouveaux besoins en logements de la population.

Des loyers encadrés

Face au manque d'offre et à la hausse des loyers, le gouvernement fédéral a immédiatement réagi : il a instauré un encadrement de la hausse des loyers à la relocation qui s'applique pour l'instant à Berlin et à Hambourg. « Il faut savoir que, même si les loyers restent faibles, certains Berlinois qui louent depuis vingt ans ont vu leur loyer bondir ces cinq à huit dernières années. Cela a été compliqué à vivre pour eux », explique Marcus Cieleback, directeur de la recherche à Patrizia AG, une société allemande spécialisée dans l'investissement immobilier.

Concrètement, les loyers à la relocation ne pourront excéder 10 % d'un loyer « miroir » de référence déterminé en fonction du bien et du quartier. Ne seront pas assujettis à cette loi qui s'appliquera durant 5 ans seulement, « les propriétaires qui louent leur bien pour la première fois après octobre 2014 et ceux qui ont réalisé des travaux substantiels », explique Michael Schlatterer, responsable de l'immobilier résidentiel à Berlin et en Allemagne chez CBRE. Les loyers supérieurs de 10 % au loyer miroir seront pour leur part bloqués à la relocation.

Une mesure de soutien aux locataires qui prouve bien que l'Allemagne ne plaisante pas avec les risques d'excès sur son marché de l'immobilier. Et qu'elle souhaite enrayer à la source les effets potentiels néfastes de la spéculation immobilière sur son économie.