Pourquoi les prix des logements baissent si peu ?

Par Mathias Thépot  |   |  885  mots
Est-ce grave si les prix de l'immobilier baissent si peu en France ?
Les arguments souvent avancés par les professionnels de l'immobilier pour justifier la faible baisse des prix sont en partie erronés, selon un des plus éminents spécialistes du marché du logement en France.

Les prix de l'immobilier baissent peu en France depuis leur pic de 2011. Toujours à des niveaux très élevés par rapport aux revenus dans les zones tendues, ils sont en baisse de 2,2 % en 2014, après des reculs d'1,7 % en 2013 et en 2012, selon le baromètre Notaire-Insee.

Or ils avaient crû de plus de 70 % par rapport aux revenus disponibles des ménages entre 2000 et 2011, si l'on en croit les graphiques de l'économiste Jacques Friggit, membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable. Selon lui, ces deux phénomènes - la faible régression des prix depuis 2011 et la hausse importante des prix entre lors de la première décennie du XXIe siècle - sont dus à des « facteurs similaires » qui font du marché immobilier français une exception.

Les prix élevés ne découlent pas à la crise de la construction

Il s'inscrit en faux contre certains arguments souvent avancés par les professionnels de l'immobilier qui souhaitent obtenir des avantages de l'Etat afin de pouvoir développer leur activité. Par exemple, selon Jacques Friggit, le problème de prix élevés en France ne tient pas significativement à « l'insuffisance de construction » de logements.

En effet, il avance que si 350.000 logements supplémentaires avaient été construits en 10 ans, « le prix des logements n'en serait plus faible que de 1 % à 2%, ce qui est très peu par rapport à la hausse de 70 % ». De même, il juge obsolète l'argument d'une forte hausse de la demande par l'accroissement du nombre de ménages à cause des phénomènes de décohabitations (séparations, divorces etc.) et à la démographie croissante. Un phénomène qui préexistait déjà avant la folle hausse des prix par rapport aux revenus.

Les aides publiques n'auraient pas eu d'effet significatif sur les prix

Les acquéreurs étrangers ne seraient pas non plus à l'origine de la hausse globale des prix au regard de leur faible nombre : « ils n'ont représenté qu'environ 1 % des transactions entre 2000 et 2010 », indique l'économiste. Pas davantage que la cherté du foncier, qui n'est pas la cause mais plutôt la conséquence de la hausse des prix des logements, car « le prix des terrains à bâtir est déterminé en fonction de celui des logements du voisinage », explique Jacques Friggit.

Souvent invoqué par certains experts, l'effet inflationniste des aides publiques au logement serait également un facteur à l'importance surévaluée. « Ces aides représentaient en effet la même proportion (1,7 %) du produit intérieur brut en 2007 qu'en 2000. De plus, elles sont surtout ciblées sur les locataires ; or les loyers ont peu augmenté par rapport au revenu par ménages », ajoute l'économiste.

L'environnement financiers, responsable numéro 1

D'ailleurs - et c'est un autre contre-argument du membre du Conseil général de l'environnement et du développement durable -, le fait que la hausse des prix de l'immobilier soit totalement déconnectée de la hausse des loyers depuis le début des années 2000, prouve que le seul déséquilibre entre offre et demande de logements est loin d'être la seule force responsable de la hausse des prix de l'immobilier.

En réalité, le niveau élevé des prix proviendrait uniquement de l'environnement financier, notamment caractérisé par une baisse tendancielle des taux de crédits depuis le début du 21e siècle, ainsi que par l'allongement des durées de prêts. Et ce, sans oublier que le secteur de l'immobilier a en parallèle bénéficié de la baisse des rendements des produits financier concurrents, au premier rang desquels les obligations, ainsi que de la forte volatilité d'autres, comme les actions.

Ainsi, l'investissement locatif dans l'immobilier des zones urbaines, où les fortes tensions limitent le risque de correction du marché, a amplifié la hausse des prix. Ainsi l'envolée des prix s'est accompagnée « d'un doublement, en proportion de leurs revenus, de la dette immobilière des ménages français », explique Jacques Friggit.

L'exception française

Valables pour beaucoup de pays occidentaux jusqu'en 2007, ces caractéristiques n'ont plus prévalu dans les pays les plus exposés à l'immobilier après la crise financière de 2008.

En France, en revanche, la structure du marché de l'immobilier a empêché la correction trop brutale des prix et les a maintenu à un niveau élevé. Concrètement le marché français tire d'une part sa spécificité de la politique de prêteurs de ses banques qui prennent beaucoup en compte les revenus des ménages, afin de se protéger au maximum contre les risques de non-remboursement des crédits immobiliers.

Et d'autre part, contrairement à ce qu'il s'est passé dans d'autres pays voisins comme l'Espagne et l'Irlande, « les promoteurs immobiliers français sont restés très prudents dans leur décision d'investissement », explique Jacques Friggit. Et au pire de la crise, ils ont pu vendre une partie de leur production au secteur du logement social, soutenu par les pouvoirs publics qui ont ainsi joué un rôle d'amortisseur.

De quoi louer la résilience du modèle français en période de crise. Dont acte. Mais que dire alors de la situation actuelle où le mal-logement se maintient à un niveau élevé et où le poids du logement dans le budget des ménages reste prohibitif ?