L'ISF à visage humain

Par Mireille Weinberg  |   |  1669  mots
Un don peut ainsi permettre à un redevable qui dépasse légèrement le seuil d'entrée dans l'ISF (1,3 million d'euros), de repasser sous ce seuil et d'échapper à l'impôt, ou, selon le même mécanisme, de passer dans une tranche d'imposition inférieure.
« Payer l'ISF n'est jamais un plaisir, alors qu'aider son prochain est toujours une joie !» Cette jolie formule résume bien la situation : en faisant un don à un organisme d'intérêt général vous bénéficiez, en échange, d'une réduction d'ISF. Une manière d'affecter votre impôt à une cause qui vous tient à coeur.

Les règles relatives à l'ISF n'ont pas bougé d'un iota depuis 2012. Avec l'élection présidentielle de 2017, les choses pourraient changer. Mais, les signaux sont plutôt positifs pour les contribuables. Si elle avait voulu alourdir le poids de l'ISF, la majorité l'aurait déjà fait. Et du côté de l'opposition, les deux principaux candidats, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy, ont tous deux appelé de leurs voeux la suppression pure et simple de l'impôt sur la fortune.

L'investissement dans les PME plus prisé que le don

Les redevables peuvent donc dormir sur leurs deux oreilles et, en attendant de nouveaux développements, continuer à appliquer les recettes habituelles pour alléger le poids de l'impôt : plafonner leur ISF pour ceux, très fortunés, qui en ont la possibilité, réduire leur base imposable en s'appauvrissant (via des donations par exemple) ou en achetant des biens qui sont totalement ou partiellement exclus de l'assiette de l'ISF (les oeuvres d'art ou les forêts, par exemple) et enfin, utiliser les réductions d'impôts. Ces dernières sont consenties pour les investissements dans les PME ou les dons faits au profit de certains organismes d'intérêt général.

Pour l'heure, c'est l'investissement dans les PME qui rencontre les faveurs des assujettis à l'ISF. En 2013, ils étaient 47 098 ménages à utiliser la réduction PME, contre seulement 32172 à utiliser celle relative aux dons, selon Bercy (1), ce qui en termes de manque à gagner pour les recettes de l'État («dépenses fiscales»), représente 465 millions d'euros pour la réduction PME et 112 millions d'euros pour la réduction dons, toujours pour 2013. Par ailleurs, alors que la réduction pour les dons est beaucoup plus élevée au titre de l'ISF (75 % du don) qu'au titre de l'impôt sur le revenu (66 %), les assujettis préfèrent la faire jouer pour réduire leur impôt sur le revenu !

Selon une enquête Ipsos Public Affair réalisée l'an dernier pour Apprentis d'Auteuil, sur 300 foyers assujettis à l'ISF, 88 % déduisaient en effet leurs dons aux oeuvres de leur impôt sur le revenu, contre 36 % seulement de leur ISF. La méconnaissance du dispositif ne paraît pas en cause, puisque, dans la même enquête, 91 % des 300 ménages déclaraient connaître le dispositif... Il n'empêche, pour les fondations collectrices, cette réduction d'ISF en faveur des dons est de plus en plus centrale et nécessaire à l'accomplissement de leurs missions.

Plus de réduction d'ISF pour les dons

Dans ces conditions, pourquoi se priver ? D'autant que « Payer l'ISF n'est jamais un plaisir, alors qu'aider son prochain est toujours une joie», selon la jolie formule de la Fondation Raoul Follereau, connue pour ses actions contre la lèpre. « Plutôt que d'acquitter votre ISF sans savoir à quoi il va être utilisé, autant sélectionner vous-même, par le biais de votre don, la cause que vous souhaitez défendre», fait valoir Francis Charhon, directeur général de la Fondation de France.

La réduction d'ISF attachée aux dons réalisés est égale à 75 % de vos versements, dans la limite de 50000 euros. Toutes les personnes qui acquittent moins de 50000 euros d'ISF peuvent donc, par ce biais, gommer purement et simplement leur imposition. Cela correspond à une frange importante de la population assujettie, puisque pour avoir une facture d'ISF de 50000 euros, il faut déclarer un patrimoine taxable de... 6,150 millions d'euros ! Pour annuler ces 50000 euros d'ISF, il faudra faire un don de 66667 euros.

Si vous avez raté le coche, il n'est pas trop tard : il vous reste jusqu'à la veille de l'envoi de votre déclaration d'ISF, donc jusqu'en mai ou juin 2015 selon l'importance de votre patrimoine, pour faire un don, qui viendra immédiatement réduire l'impôt dû au titre de cette même année 2015. Attention, pour bénéficier de la réduction maximale de 50000 euros, votre versement doit être «pur» et exclusivement consacré aux dons. Si vous avez par exemple fait un don et un investissement dans les PME, c'est le plafond de ce second régime qui s'appliquera à l'ensemble, soit 45000 euros de réduction d'ISF au plus.

Cumuler plusieurs réductions d'impôts

Autre subtilité : un don peut bénéficier à la fois de la réduction d'impôt sur le revenu et d'ISF, mais par sur la même «part». Imaginons que vous donniez 100.000 euros. Sur 66?667 euros, vous allez opter pour la réduction d'ISF qui, prise en compte à 75%, conduira à un avantage de 50.000 euros. Les 25% restants, à savoir 16.667 euros (66.667 - 50.000 euros), ne bénéficieront d'aucun autre avantage.

En revanche, la partie non concernée par la réduction d'ISF, le solde de 33.333 euros (100.000 - 66.667), pourra, elle, profiter de la réduction au titre de l'impôt sur le revenu (66% de réduction d'impôt dans la limite de 20% de son revenu imposable, soit 22.000 euros). Au total, ce versement de 100.000 euros aura tout de même donné lieu à un avantage fiscal total de 72.000 euros, 50.000 euros au titre de l'ISF et 22.000 euros au titre de l'impôt sur le revenu.

Enfin, la forme de votre don est plus limitative quand il s'agit de la réduction d'ISF : sont admis les versements en numéraire et les seuls dons de titres cotés sur un marché réglementé (pour l'avantage à l'impôt sur le revenu, c'est plus large, vous pouvez donner des titres non cotés, par exemple). Attention, une règle spécifique aux portefeuilles titres, conduit à proscrire ce type de dons pour bénéficier de la réduction d'ISF.

« Mieux vaut en effet donner un compte-titres dans le cadre de la réduction à l'impôt sur le revenu, plutôt que dans celui de la réduction à l'ISF. Dans le premier cas, la plus-value sur titres potentiellement réalisée sera exonérée d'impôt, alors que dans le second, elle sera pleinement taxable, y compris aux prélèvements sociaux. Cela réduit sensiblement l'intérêt de l'opération, du moins lorsqu'il y a une importante plus-value latente», explique Maître Xavier Delsol, avocat et cofondateur du cabinet Delsol Avocats.

Donner au -delà de l'avantage fiscal

Animé par une réelle volonté philanthropique, vous pouvez bien sûr donner des sommes bien supérieures aux plafonds des réductions d'impôt.

« Si vous dépassez ces plafonds, l'avantage procuré au titre de l'ISF n'est pas reportable, alors qu'il l'est sur les cinq années qui suivent, dans le cadre de l'impôt sur le revenu», explique Max Thillaye du Boullay, conseiller en philanthropie chez Apprentis d'Auteuil.

Un versement important une année donnée peut donc vous faire bénéficier d'une réduction d'ISF cette année-là et d'une réduction d'impôt sur le revenu pendant six ans (l'année du versement et les cinq années suivantes).

Outre les réductions d'impôts, les dons ont aussi un autre avantage au regard de l'ISF : ils vous appauvrissent ! Les sommes données cette année par exemple, vont fatalement sortir de votre patrimoine et n'y figureront plus au 1er janvier prochain. Votre base imposable à l'ISF en sera réduite d'autant et cela diminuera mécaniquement le montant d'ISF dû en 2016. Un don peut ainsi permettre à un redevable qui dépasse légèrement le seuil d'entrée dans l'ISF (1,3 million d'euros), de repasser sous ce seuil et d'échapper à l'impôt, ou, selon le même mécanisme, de passer dans une tranche d'imposition inférieure.

Créer son propre véhicule philanthropique

Si vous souhaitez aller plus loin qu'un simple don et vous investir dans la cause qui vous tient à coeur, vous pouvez créer votre propre véhicule philanthropique. Les philanthropes qui sautent le pas sont rarement animés par un dessein fiscal. Ce qu'ils veulent, c'est avant tout soutenir une cause qui les touche, pour, un peu à la manière d'un Bill Gates ou d'un Warren Buffet, rendre à la société ce qu'elle leur a elle-même apporté. Il faut souvent chercher dans leur histoire personnelle, heureuse ou malheureuse, pour comprendre.

La perte d'un être cher suite à une maladie, par exemple, peut souvent conduire quelqu'un à soutenir la recherche médicale, quand les passionnés et grands collectionneurs d'art auront à coeur de laisser leurs trésors à la postérité pour en faire profiter le plus grand nombre. Quel que soit le véhicule philanthropique choisi (voir le tableau cidessous), fonds de dotation, fondation reconnue d'utilité publique ou fondation sous égide, la dotation initiale est irrévocable et définitivement abandonnée à la cause.

Cet «apport» bénéficie des mêmes avantages que les dons classiques : réduction à l'impôt sur le revenu et à l'ISF (à l'exception des fonds de dotation qui ne bénéficient pas, sauf cas particuliers, de la réduction à l'ISF). Et comme il appauvrit le bienfaiteur, celui-ci voit mécaniquement baisser son patrimoine taxable à l'ISF.

«Créé en 2008, le fonds de dotation est l'outil le plus souple, le plus simple et le plus rapide à mettre en place. Alors que la dotation initiale est de 15000 euros au minimum, elle est d'au moins 1,5 million pour une fondation reconnue d'utilité publique.

Cette dernière est cependant à privilégier si vous souhaitez que votre fondation vous survive : le ministère de l'Intérieur et le Conseil d'État veilleront pour éviter toute dénaturation de son objet», fait valoir Philippe-Henri Dutheil, avocat en droit des fondations chez EY Société d'Avocats.

La fondation sous égide, quant à elle, « est une bonne alternative à la création d'une fondation reconnue d'utilité publique. Elle permet au (x) fondateur (s) d'en garder plus facilement le contrôle - ce qui est plus difficile dans une fondation d'utilité publique, où ils ne doivent en principe pas être majoritaires et ne peuvent pas dépasser le tiers des droits de vote -, mais elle est surtout beaucoup moins gourmande en termes de dotation initiale», conclut Xavier Delsol.

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1 - Annexe au projet de loi de finances pour 2015, Évaluation des voies et moyens, tome II. Dépenses fiscales.