Matthieu Pigasse (Lazard) : "Aucune économie n'a jamais renoué avec la croissance par des politiques d'austérité."

Par Christine Lejoux  |   |  951  mots
Les élections municipales en France sont "un coup de semonce à tous les politiques, de droite comme de gauche", estime Matthieu Pigasse, directeur général de Lazard en France. REUTERS.
Dans un entretien à l'agence Reuters, Matthieu Pigasse, le patron de la banque Lazard en France, estime que le pays doit s'inspirer de la politique de relance menée par l'Italie.

Alors que le résultat, dimanche, des élections municipales pourrait conduire rapidement à un remaniement gouvernemental, Matthieu Pigasse, directeur général de la banque d'affaires Lazard en France, plaide, dans un entretien avec l'agence Reuters, pour une politique industrielle volontariste, qui permettrait à la France de rattraper son retard dans les secteurs d'avenir comme le numérique.

Dans un ouvrage récent, "Éloge de l'anormalité" - une allusion transparente au président "normal" que serait François Hollande -, le banquier de gauche se livre à un véritable réquisitoire contre les politiques d'austérité menées en Europe depuis la crise financière de 2008, dénonçant également le manque d'ambition réformatrice de la gauche au pouvoir et l'absence de courage de la classe politique française.

Priorité à une réforme en profondeur de l'Etat

Pour Matthieu Pigasse, également actionnaire du quotidien Le Monde et propriétaire du magazine culturel Les Inrockuptibles, l'heure est grave et des décisions urgentes doivent être prises, face à une France repliée sur elle-même, plongée dans une triple crise politique, économique et sociale, qui se traduit par une montée de l'extrémisme politique et par un développement du fanatisme religieux et du communautarisme. "Ces élections sont l'expression d'une colère, face à la gravité de la situation et à la violence de la montée du chômage et des inégalités. C'est aussi l'expression d'un rejet et d'une frustration, face à la perception que le politique est incapable d'agir ou de réagir", déclare-t-il à Reuters.

"C'est un coup de semonce à tous les politiques, de droite comme de gauche. C'est un 'wake-up call'", ajoute-t-il. "Nous sommes à un moment de danger pour la démocratie." Selon lui, la priorité doit être donnée à une réforme en profondeur de l'Etat -, réforme qui passerait notamment par une réduction du millefeuille administratif et par la disparition des départements -, à une poursuite de l'intégration européenne - marquée par la mutualisation des dettes et une solidarité budgétaire - et à une réhabilitation de l'entreprise, en favorisant le risque plutôt que la rente.

S'inspirer de la politique de relance de l'Italie

Selon lui, la France devrait s'inspirer des premières réformes lancées par le nouveau Président du conseil italien, Matteo Renzi, qui a annoncé un vaste plan de relance de plusieurs dizaines de milliards d'euros, s'affranchissant ainsi des critères européens en matière de déficits publics.

"Nous continuons de mener en Europe des politiques d'austérité dont nous savons qu'elles sont mortifères. Nous le voyons à nos portes. En Grèce, la politique d'austérité a conduit à la dislocation de la société grecque, à l'explosion d'un chômage insupportable, à un effondrement du pouvoir d'achat et à une explosion des inégalités, de la pauvreté et de la précarité"

, ajoute le directeur général de Lazard France, qui a conseillé le gouvernement grec au plus fort de la crise européenne de la dette souveraine.

"En Italie, vous avez un Premier ministre, Matteo Renzi, qui a décidé d'un coup de renverser la table, de casser les dogmes qui prévalaient jusqu'à maintenant, et qui s'est libéré des contraintes", observe-t-il. "A rebours de ce qu'exigent les politiques européennes, il a lancé un plan de relance de près de 90 milliards d'euros. Il a ce courage incroyable d'agir, au lieu de rester hébété comme un lapin pris dans les phares d'une voiture."

Un grand programme de soutien à l'innovation

Même s'il juge que le pacte de responsabilité annoncé en janvier dernier par François Hollande va dans la bonne direction, Matthieu Pigasse en dénonce le flou sur les modalités de la réduction des dépenses publiques et des allégements de cotisation des entreprises, ainsi que sa lenteur d'exécution. "Aucune économie n'a jamais renoué avec la croissance par des politiques d'austérité. Il faut adresser un signal de relance, en abaissant les charges des entreprises, par l'impôt sur les sociétés, et en redistribuant du pouvoir d'achat aux ménages", insiste le patron de Lazard en France.

"Il faut aussi lancer un grand programme de soutien de l'innovation", estime Matthieu Pigasse. "Pour le financer, outre une baisse ciblée des dépenses publiques improductives, il faut céder des titres de participations publiques cotées. Il faut le faire sans tabou", dit encore celui qui fut à Bercy conseiller technique au cabinet de Dominique Strauss-Kahn et directeur adjoint du cabinet de Laurent Fabius.

"Il n'y a pas aujourd'hui de différence dans l'exercice du contrôle entre détenir 80%, 67% ou même 51% du capital d'une entreprise. Il existe donc des marges de manoeuvre dans de nombreuses entreprises publiques pour réduire le poids de l'Etat sans qu'il perde en influence."

"Se priver du gaz de schiste, une hérésie"

L'Etat a cédé l'an dernier une participation de quelque 3% dans Safran et 9,5% d'Aéroports de Paris. Mais pour le patron de Lazard, le gouvernement doit aller plus loin. "Il faut frapper vite et fort. Il est possible de céder jusqu'à 20 milliards et de les destiner en totalité à l'innovation."

Selon lui, la France a aussi tort de refuser l'exploration du gaz de schiste vivement dénoncée par les défenseurs de l'environnement. Ces derniers ont finalement obtenu gain de cause en octobre dernier après la validation du Conseil constitutionnel de la loi interdisant l'exploration et l'exploitation du gaz de schiste par la technique de la fracturation hydraulique en France. "Je pense que c'est une erreur historique, c'est une hérésie de se priver de cette ressource", s'agace Matthieu Pigasse.