"On fabrique de l'appauvrissement quand on fait grève toute une journée"

Par Propos recueillis par Agnès Laurent, François Lenglet, et Isabelle Moreau  |   |  2385  mots
L'assemblée générale du Medef, l'organisation patronale française, s'ouvre ce jeudi. Sa présidente dénonce la journée de protestation sociale du 29 janvier dernier.

La Tribune - Votre assemblée générale s'ouvre dans un contexte de tensions sociales. Que répondez-vous aux syndicats qui vous reprochent votre silence depuis les grèves et les manifestations du 29 janvier ?

Laurence Parisot - A vrai dire, je suis consternée quand je vois une photo des manifestations à la une du Wall Street Journal et du Financial Times. Je sais que tous les investisseurs qui pouvaient être en train de se demander s'ils iraient en France ou ailleurs, donneront ce jour-là dans leurs délibérations un point négatif à la France.  La crise est comme une tempête et je pense qu'il est de peu d'efficacité de protester contre la tempête. On fabrique de l'appauvrissement quand on fait grève pendant toute une journée. Cela coûte cher et ruine la réputation de la France.
Dans la journée de protestation du 29 janvier, il y a quelque chose de pervers. Car la réalité c'est que nous sommes tous d'accord pour réagir le plus vite possible à la crise. Nous ne refusons pas de voir la dimension sociale de la situation, bien au contraire! Le Medef l'a prouvé en étant hyper réactif sur le chômage partiel. En allant plus loin que jamais sur l'indemnisation du chômage. En faisant un effort considérable dans la négociation sur la formation professionnelle. Etre dans la protestation et la dénonciation n'est pas à la hauteur de l'enjeu, même si cela fait plaisir à certains...

- La mobilisation a été très forte...

- C'est compréhensible. J'ai été frappée de voir que même les grands habitués de Davos, ceux qui connaissent toutes les clés de l'économie et de la finance, ont du mal à y voir clair et à penser l'après. On peut comprendre qu'a fortiori un salarié qui n'est pas censé lire des cours d'économie tous les matins soit vraiment stupéfait et par conséquent très angoissé par la situation.

- Le président de la république intervient ce soir à la télévision. Etait-ce nécessaire ?

- Cette intervention est la bienvenue parce qu'il a une capacité pédagogique tout à fait exceptionnelle. Les Français ont besoin d'entendre de sa bouche l'enchaînement des facteurs qui explique la situation et les pistes possibles pour l'avenir.

- L'intitulé de votre assemblée générale est justement "Vivement l'avenir!". Quel message voulez-vous faire passer ?
 

- L'intitulé est plus exactement "Vivement l'avenir, Ready for the future". Les deux expressions, étant chacune la traduction libre de l'autre. Elles reflètent l'une en français l'autre en anglais, deux approches qui se complètent, le pragmatisme anglo-saxon et la vision française plus idéaliste. Aujourd'hui, même s'il n'est pas question de nier que la crise est grave, nous voulons montrer que nous avons toujours bon espoir, et que nous nous préparons pour la suite. Notre assemblée générale montrera aussi que nous sommes unis face à la crise, que ce n'est pas le moment de désigner des boucs émissaires, ni de jouer la politique du pire. Enfin, et c'est notre projet "Ambition 2010", nous posons des bases solides pour construire un patronat différent, le patronat du XXIème en phase avec son temps.

- C'est-à-dire ?

- Nous voulons d'abord un patronat plus divers. Je dirais même "diversel", pour reprendre l'expression d'auteurs créoles comme Patrick Chamoiseau et Edouard Glissant. Un patronat aux origines sociales et géographiques variées. Un patronat ouvert aux juniors comme aux seniors. Nous sommes fiers d'être l'un des rares en Occident qui mette autour de la même table à la fois banquier, industriel, commerçant, patron du CAC 40 et patron de PME. Ce qui n'empêche que le Medef doit aussi se réformer. Traditionnellement le fonctionnement interne du patronat s'ordonnait plus en référence à l'administration, ou aux cabinets ministériels qu'à l'entreprise elle-même. Nous ne serons certes jamais complètement une entreprise, mais il faut absolument en intégrer les codes, les modalités d'actions. A cette condition le chef d'entreprise pourra se reconnaître dans la représentation patronale. Et c'est cela, le patronat du XXIème siècle.

- Quelles méthodes propres à l'entreprise souhaitez-vous, par exemple, introduire au Medef ?

- Nous devons être capables d'évaluer nos services, et de considérer nos adhérents, non pas comme des usagers, mais comme une entreprise considère ses clients. Nous avons donc multiplié les enquêtes auprès d'eux pour savoir ce qui leur convenait ou pas. Nous avons identifié trois demandes très fortes:  que l'économique soit au moins aussi important que le social, que nous utilisions plus le web, que nous ayons une plus grande réactivité dans certains domaines. Nous allons donc travailler dans ces directions.

- Quelles modifications concrètes allez-vous apporter à l'institution Medef ?

- Resserrer les liens entre les fédérations et les territoires, et augmenter les adhésions! Nous venons d'accueillir une fédération importante, l'Union française de l'électricité. Et nous nous en réjouissons. Par ailleurs, le Medef rajeunit et tant mieux. Un Medef territorial vient d'élire un président de 29 ans!

- Le Medef a connu des mois troublés avec le départ successif de deux directeurs généraux. Doit-on s'attendre à d'autres décisions marquantes ?

- Ce sont des mois de reconstruction. Mes prédécesseurs ne s'étaient jamais beaucoup occupés du management interne de la maison. Je vais en effet annoncer d'autres décisions marquantes. Contrairement à la pratique précédente, nous créons une Direction des adhérents, qui s'occupera à la fois des Medef territoriaux et des fédérations professionnelles. Le directeur en est Vincent Le Roux. Nous constituons aussi une Direction des études et une Direction des mandats.

- Ne craignez-vous pas qu'avec la crise, l'entreprise soit moins bien acceptée en France qu'elle ne l'a été ces dernières années ?

- Jamais l'entreprise n'a été autant intégrée qu'aujourd'hui dans la vie de la société. Quand les historiens se pencheront sur le patronat du XXème siècle, et sur celui du XXIème que nous nous employons à construire, ils constateront bien des différences. Par exemple, l'exigence de transparence et l'éthique sont devenues centrales. Je vous rappelle que, l'année dernière, pour la première fois, le Medef a publié ses comptes; que nous avons aussi élaboré le code de conduite Afep-Medef sur la rémunération des dirigeants. Alors qu'a priori, construire ce texte et susciter l'adhésion des sociétés du SBF 120, cela apparaissait comme une mission impossible. Ce sont en fait de grands succès.

- Sur la question des bonus, c'est quand même la parole présidentielle qui a changé les pratiques...

- Je ne crois pas. On va bientôt entrer dans la saison de la publication des résultats. Et le code Afep-Medef devrait s'appliquer naturellement. Il est normal qu'il n'y ait pas de bonus si les résultats ne sont pas bons. En revanche, s'ils le sont, il est juste que les bonus soient versés.

- Barack Obama a décidé de fixer à 500 000 dollars la rémunération annuelle maximale des dirigeants bénéficiant d'aides publiques. Est-ce une bonne chose ?

- C'est un grand risque. C'est le risque que partent des hommes ou des femmes qui sont peut-être pour partie responsables du drame économique actuel. Mais qui sont aussi les plus compétents pour mettre en place les solutions. C'est aussi le risque de créer un équivalent de nationalisations dont l'histoire a prouvé qu'elles provoquaient toujours à moyen terme des formes de déclin économique.

-Nicolas Sarkozy a, à plusieurs reprises, menacé de légiférer sur ce sujet. Tout danger est-il écarté ?

- Le législateur est certes souverain. Mais je veux souligner qu'en matière de «corporate governance» le code Afep-Medef est certainement le plus avancé au monde. Grâce à lui, notre pays peut à la fois se montrer à la pointe de la modernité et ne pas être pénalisé dans la compétition internationale par un système qui ferait fuir les meilleurs talents. Souvenez-vous au moment de l'affaire Zacharias en 2006 j'ai été la première à mettre en garde les patrons et à dire: «Attention à ne pas nous mettre en rupture avec la société dans laquelle nous vivons».

- Vous aviez même expliqué qu'il fallait rester compréhensible par l'opinion publique. N'y a-t-il pas un risque de se mettre sous sa coupe ?

- La vérité est qu'il faut être en dialogue permanent avec l'opinion publique. Ainsi, je pense qu'aujourd'hui, il faut absolument faire la pédagogie de la crise et je désapprouve ceux qui livrent des explications sommaires, voire fausses. Il est important que le patronat du XXIème siècle soit capable de prendre la parole clairement et de dialoguer avec l'opinion publique: il faut l'écouter, parce que parfois elle a raison. Et expliquer les choses parce que parfois, n'ayant pas toutes les clés, elle porte un jugement rapide.

- Partout dans le monde, on observe un interventionnisme croissant des Etats. Etes-vous inquiète ?

- Les gouvernements européens et occidentaux qui n'ont pas su définir les règles d'une économie devenue mondiale, ont une responsabilité immense dans la crise. Aujourd'hui, les politiques doivent tout mettre en ?uvre pour rétablir le plus rapidement possible le fonctionnement normal du système financier. Mais nous serions très inquiets si le gouvernement devenait pour autant chef d'entreprise lui-même. Il faut laisser la liberté à l'entreprise de fonctionner. C'est à cette condition qu'elle est créative et efficace.

- Comment jugez-vous le plan de relance du gouvernement ?

- Le plan du président de la république part de l'offre et de l'investissement et c'est en effet ce qu'il faut faire pour relancer l'économie. Mais la caractéristique de cette crise est qu'elle est mondiale. La vraie réponse sera donc mondiale ou ne sera pas. A l'échelle nationale, on peut ajuster, atténuer, éviter d'aggraver, mais l'enjeu est d'abord mondial. L'événement majeur des semaines à venir sera le sommet de Londres, le 2 avril, qui rassemblera les chefs d'Etat du G20. S'ils se situent dans la continuité du sommet de Washington de novembre, s'ils font des avancées, même sans décider de tout, ce sera rassurant sur la capacité du monde à penser vite la sortie de crise.

- Faut-il aussi amplifier les mesures prises en France ?

- Il faut pour le moment continuer de se concentrer sur l'investissement. Si deuxième étape il y avait, elle devrait permettre prioritairement aux entreprises une baisse de leurs coûts de production. Nous revendiquons la baisse la plus rapide possible de la taxe professionnelle et la suppression pure et simple de la cotisation dite «taxe sur le chiffre d'affaires» que vous payez même si l'entreprise perd de l'argent ! Reste le volet social. Certains vont se retrouver en difficulté, il faut qu'ils passent le moins mal possible ce cap et l'on doit s'assurer que l'on dispose de tous les systèmes qui le leur permettront.

- A quoi pensez-vous en particulier ?

- Tout simplement à ce que nous avons mis sur la table dans la nouvelle convention d'assurance-chômage. Jamais le patronat n'était allé aussi loin en faveur des demandeurs d'emploi. Autant vous dire que je reste totalement perplexe quand je vois la plupart des organisations syndicales refuser un tel texte...

- Au final, vous avez réussi à convaincre la CGC de ne pas s'opposer au texte. Et la convention a toutes les chances d'être agréée par le gouvernement...

- Ce serait une bonne chose. Il faut savoir que cette convention rend plus facile l'accès à l'assurance chômage ; que cela va coûter entre 700 et 800 millions d'euros, voire plus; que cette somme que nous mettons sur la table fait partie du plan de relance. En contrepartie, pour aider les entreprises et les salariés, nous avons voulu maintenir la règle d'une baisse de cotisations en cas d'excédents significatifs du régime. Nous en avons acté le principe et c'est important, même si nous avons malheureusement l'intime conviction qu'on ne pourra pas l'appliquer pendant la durée de cette convention, compte tenu de la crise économique.

- Quels thèmes le Medef est-il prêt à inscrire à l'agenda social 2009 ?

- La question de l'agenda social ne se pose pas aujourd'hui de la même façon qu'il y a un mois. Nous étions alors prêts à discuter de la modernisation du paritarisme et du licenciement économique, sujets que nous avions laissés de côté lors des négociations sur le marché du travail. Je ne suis pas sûre qu'aujourd'hui, on puisse ouvrir véritablement un nouvel agenda social. Il est absolument indispensable que nous nous concentrions sur l'énorme travail que représente la mise en ?uvre des très nombreux accords passés ces douze derniers mois.

- Que faut-il faire pour dépoussiérer le système très décrié du 1% logement ?

- Je ne sais pas s'il est poussiéreux, mais il a besoin de plus de transparence. Certains collecteurs locaux sont efficaces, proches des entreprises et servent les salariés. D'autres ont un fonctionnement que la Cour des comptes a qualifié de trouble, pour ne pas dire plus. Au point qu'elle fait en sorte que les dossiers soient remis sur le bureau du procureur de la république. C'est très bien. A partir de là, que faut-il décider ? De se donner les moyens d'être plus fort encore en termes de contrôle et plus transparent en termes de gouvernance, tout en ne s'éloignant pas des territoires qui produisent un travail très intéressant et utile. Jérôme Bédier, que j'ai mandaté à l'UESL, est chargé de mener cette réforme avec les organisations syndicales.

- Vous envisagez d'être à nouveau candidate en 2010. Vous attendez-vous à une bataille aussi ardue qu'en 2005 ?

- Je ne sais pas, il est encore un peu tôt pour y penser. Mais je vous confirme en tout cas que je serai candidate à ma propre succession.