Pourquoi les Français sont champions du monde... de la dépression

Par Sylvain Rolland  |   |  749  mots
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Une étude sponsorisée par l'OMS, publiée lundi dans une revue américaine, indique que les Français sont les plus pessimistes, juste devant les Etats-Unis. Pour se remonter le moral, précisons que seuls 18 pays ont été épluchés.

Les Français sont champions du monde... de la dépression.  Selon une étude publiée lundi par la très sérieuse revue américaine BMC Medicine et sponsorisée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) , 21% des Français avouent avoir vécu une période de dépression à un moment de leur vie. C'est le taux le plus élevé au monde.

Les Etats-Unis, avec 19.2%, décrochent une solide deuxième position, suivis par le Brésil (18,4%), les Pays-Bas (17.9%) et la Nouvelle-Zélande (17.8%). Cette enquête, menée auprès de 89.000 personnes dans 18 pays entre 2000 et 2005 (mais publiée seulement maintenant), révèle également que 15% des personnes vivant dans un pays riche disent avoir traversé une période dépressive, contre seulement 11% dans les pays en développement.

La dépression serait-elle alors le "privilège" des riches ? C'est à croire. "Le taux élevé de dépression dans les pays riches peut refléter des différences dans la perception de ce qu'est une bonne vie. Dans les pays comme les Etats-Unis ou la France, les attentes de la population n'ont pas de limite tandis que les habitants d'autres pays se satisfont d'avoir de la viande sur la table", explique à Bloomberg Ronald Kessler, un professeur de la Harvard Medical School de Boston, pour commenter ces résultats.

Néanmoins, ce classement est à prendre avec des pincettes : la Finlande, pays connu pour ses taux de suicide et ses dépressions, ne figure pas dans les 18 pays étudiés, dont 10 sont des pays développés et 8 des pays en développement.

Les Français, spécialistes de la sinistrose

De plus, avait-on vraiment besoin d'une nouvelle confirmation de la célèbre "sinistrose française" ? Depuis des années, la France truste le haut du classement de toutes les études européennes sur le pessimisme. En janvier, lors de l'étude annuelle de BVA Gallup international, devinez quel pays abordait avec le plus d'angoisse l'année 2011 ?

La France. 61% des sondés déclaraient que 2011 serait une année de difficultés économiques, largement plus que les Britanniques (52%), les Espagnols (48%) ou les Italiens (41%). Dans tous les domaines, la sinistrose est une spécialité française, au même titre que le cassoulet, la Tour Eiffel ou la Sécurité sociale. Fin avril, le baromètre de conjoncture agricole, réalisé par le syndicat FNSEA en France et en Allemagne, montrait que la perception des agriculteurs de leur santé économique était bien plus mauvaise dans l'Hexagone (38% déclaraient subir des difficultés importantes) qu'outre-Rhin (7%).

Pour le psychiatre Serge Hefez, qui s'exprimait dans Le Parisien en janvier dernier, cette tendance française à voir le verre à moitié vide s'explique en grande partie par la culture de l'Etat providence, qui rend difficile à admettre la déliquescence d'un mode de vie avantageux. Avec un chômage à 9,5% de la population active en mai 2011, une dette publique abyssale (82.9% du PIB fin 2010) ou la fin de certains acquis sociaux comme la retraite à 60 ans, pas étonnant que les Français dépriment. "Beaucoup plus que dans les autres pays développés, la notion d'Etat-providence est très importante chez nous. [...] Mais plus ça va, plus les Français ressentent une perte du sentiment de protection de cet Etat-providence et une disparition de certaines valeurs qui font la France, comme l'égalité", explique le psychiatre.

Les économistes Yann Algan et Pierre Cahuc, dans un essai publié en 2007*, estiment que si les Français sont plus pessimistes que leurs voisins, c'est parce qu'ils vivent dans une "société de défiance". Etudes à l'appui, ils étayent que "le mélange de corporatisme et d'étatisme du modèle social français suscite la défiance et l'incivisme plus que dans les autres pays européens".  Ce qui expliquerait une tendance au pessimisme plus importante.

Reste qu'après de long mois de stagnation à un bas niveau, le moral des ménages français a enfin remonté -légèrement- en juillet. L'indice INSEE qui mesure la confiance des ménages a regagné trois points, à 86 points, retrouvant ainsi son niveau de fin 2010. Il reste toutefois très bas par rapport à sa moyenne de longue période (100 points), qu'il n'a plus retrouvé depuis l'été 2007. Mais si les Français ne semblent pas affectés par les inquiétudes dans la zone euro, ils sont nettement plus nombreux à s'attendre à une hausse du chômage (+ 10 points). Chassez le naturel, il revient au galop.

 *("La société de défiance", éditions de la Rue d'Ulm, 2007)