Le singulier consensus français sur la Grèce

Par Romaric Godin, à Francfort, avec Robert Jules  |   |  654  mots
La Tribune Infographie / SSAULNIER
Ce mardi, le parlement français devrait sans surprise voter le nouveau plan d'aide à la Grèce. Une absence de débat qui tranche avec la polémique suscitée en Allemagne dans l'opinion publique.

Alors que ce mardi le parlement français devrait approuver dans l'indifférence générale le deuxième plan de soutien à Athènes, la cour constitutionnelle allemande rendra un avis mercredi sur les plans précédents. Certes, cet avis devrait être positif, mais les conditions posées par Karlsruhe relanceront sans doute le débat ? très vif dans la République fédérale ? sur l'encadrement et l'intérêt de l'aide à la Grèce et aux autres pays en difficulté. Entre les deux rives du Rhin, le contraste est frappant : chez nous, le débat est quasiment absent, là-bas il est omniprésent. Comment expliquer cette nouvelle fracture franco-allemande ?

Commençons par les situations économiques qui sont très différentes. Redevenue selon l'expression à la mode outre-Rhin « la locomotive européenne de la croissance », bénéficiant d'une situation budgétaire saine, l'Allemagne perçoit de plus en plus l'Europe comme un poids et de moins en moins comme une chance. Si elle exporte plus des deux tiers de ses biens vers l'Union européenne, cette part se réduit chaque année au profit des marchés émergents, en particulier asiatiques. Le différentiel de croissance économique entre l'Allemagne et le reste de la zone euro est la traduction dans faits de ce « découplage ». Dès lors, les avantages de l'euro sont moins évidents à percevoir. À l'inverse, la France, minée par une croissance faible et par ses déficits publics, ne peut se permettre de subir un éclatement de la zone euro ou de laisser distendre son lien à l'Allemagne, mesuré par l'écart des taux des obligations respectives. La monnaie unique lui garantit non seulement son « triple A », mais la met à l'abri du scénario des années 1970 où se conjuguait plans de rigueur, dévaluation et chômage.

Vient ensuite une explication plus politique. L'Allemagne parlementaire n'est pas régie par la seule volonté d'Angela Merkel. Cette dernière doit prendre en compte ses partenaires de coalition. Or, les Libéraux, à l'agonie dans les sondages, ont décidé de jouer une ligne dure sur la question de l'aide à la Grèce. De même, les Bavarois de la CSU, toujours prompts à se révolter contre la CDU d'Angela Merkel, sont de farouches opposants à toute solution fédéraliste. Même au sein de la CDU, les plans de sauvetage de l'euro font débat. Dans une Allemagne où la politique se fait plus au Bundestag (le parlement) qu'à la chancellerie, cela créé facilement les conditions d'un débat dans l'opinion.

À l'inverse, la majorité présidentielle française ne remet pratiquement jamais en cause les choix internationaux du président. Et le PS, soucieux d'éviter tout vrai débat sur l'Europe depuis le choc du « non » au référendum de 2005, se garde bien de sortir du bois sur le sujet.

La fourmi allemande

Enfin il faut prendre en compte les éternelles divergences culturelles. En Allemagne, la question de la dette est sérieuse. Dans sa vie quotidienne, la fourmi allemande hésite à recourir au crédit. Le choc inflationniste des années 1920 a laissé des traces. Dans les sondages, les Allemands, contrairement aux Français, font de la consolidation budgétaire une priorité, bien avant le pouvoir d'achat et les baisses d'impôts. Il sont donc prompt à blâmer les cigales grecques, sentiment relayé dans la presse tant par le populaire « Bild Zeitung » que la sérieuse « Frankfurter Allgemeine Zeitung ».

N'oublions pas que les Allemands ont consenti des efforts pour redresser la situation de leur pays au début des années 2000. Ils se souviennent de la sévérité des réformes de l'ère Schröder et du douloureux dispositif Harz IV sur l'âge de la retraite ou les salaires. D'où l'incompréhension lorsqu'ils constatent le rejet des Grecs ou des Français des plans de rigueur imposés par leurs gouvernements.