Alors, heureux les Français ?

Par Sophie Péters  |   |  1124  mots
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L'édition 2011 du portrait social de la France dressé par l'Insee interroge le sentiment de satisfaction dans la vie des Français. Au final, un score honorable de bien-être, mais de forts éléments de déstabilisation au premier rang desquels figurent les difficultés matérielles, la santé et le travail.

"Fatigués psychiquement" : souvenez-vous c'était le verdict rendu en février 2010 par le médiateur de la république Jean-Paul Delevoye dans son rapport sur l'état de la France et des Français. Il y observait une société en grande "tension nerveuse". Le portrait social de la France que vient de faire paraître l'Insee permet de nuancer ce propos. Contre toute attente, en cherchant à savoir quel était le niveau de satisfaction des Français dans la vie, l'Insee a récolté un score de 7,3 sur une échelle de 0 à 10. Suite aux recommandations du rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi de 2009, l'Institut a introduit dans le coeur des questionnaires du dispositif statistique sur les ressources et conditions de vie, la mesure du ressenti des individus. On y découvre que 92% des répondants déclarent un niveau de satisfaction supérieur ou égal à 5. Les réponses sont également très concentrées puisque 60% des personnes attribuent une note entre 7 et 9. Alors heureux les Français ?

Si la satisfaction dans la vie tend à s'accroître avec le niveau de vie, passant de 6 en moyenne pour les 10% de personnes les plus modestes, à 7,8 en moyenne pour les 10% les plus aisés, cette satisfaction n'est pas linéaire en fonction du niveau de vie. Plus le revenu est élevé, moins la satisfaction augmente. Ce qui tendrait à prouver que si le lien entre bien-être et revenu est réel, avec la hausse du niveau de vie, ce lien s'atténue, les aspirations des personnes n'étant plus les mêmes et l'utilité marginale du revenu moindre.

Les difficultés matérielles pèsent le plus sur la satisfaction dans la vie

Une certitude toutefois : ce qui pèse le plus sur le moral ce sont avant tout les difficultés matérielles. Ne pas pouvoir faire face aux dépenses sans découvert bancaire, l'impossibilité de payer à temps ses factures de gaz ou d'électricité, ne pas avoir les moyens de s'acheter certains biens de consommation courante ou de s'offrir des vacances, ne pas disposer du confort d'un logement ou de place suffisante, autant de soucis qui diminuent d'autant le sentiment de satisfaction dans la vie. L'enquête a ainsi recensé 27 indicateurs élémentaires de difficultés dans l'existence. Les personnes qui en supportent dix ou davantage (7%) déclarent un niveau de satisfaction de 5,1. A l'opposé, les 21% ne déclarant aucune des difficultés recensées obtiennent un score de 7,9. Celles qui pâtissent de cinq difficultés (5%) ont un niveau de moyen de satisfaction dans la vie de 7 et lorsque l'on monte à 8 privations (3%) la note perd un point pour s'établir à 6.

La crise du milieu de vie donne un coup au moral mais pas le lieu de vie

La courbe de satisfaction étudiée à l'aune de l'âge des individus est également édifiante. Dessinant un U, elle est élevée dans la jeunesse, baisse autour de 40 ans pour remonter vers 49 ans jusqu'à 70 ans. L'Insee constate donc un décalage entre les moyens (ressources financières) et leur résultat en matière de bien être ressenti. Par exemple, le niveau de vie est maximal peu avant 60 ans, après que les enfants soient partis et avant le passage à la retraite, mais pas la satisfaction dans la vie qui atteint un pic après. Par contre, que l'on vive en campagne ou en ville influe peu sur le sentiment de félicité : score de satisfaction de 7,4 sur 10 dans les communes rurales en moyenne contre 7,1 dans les grandes agglomérations de province, Paris se situant entre les deux à 7,3.

Santé et emploi, deux aiguillons du bien-être

Si les difficultés matérielles sont les plus préoccupantes, la santé et le travail arrivent juste derrière, comme les deux facteurs pesant le plus le moral des Français. Parmi les actifs, ceux qui ont des difficultés dans leur travail, ont une appréciation globale de leur vie significativement plus basse que les autres. Même chose pour les CDD versus les CDI.

Quant au chômage, il joue aussi bien évidemment très fortement à la baisse sur le sentiment de bien être indépendamment de la perte de revenu, les personnes en recherche d'emploi déclarant en moyenne un niveau de satisfaction de 6,1 et celles qui ont un emploi de 7,5. Mais concernant ces dernières, ce sont avant tout les conditions de travail difficiles qui influent fortement sur leur niveau de contentement. L'Insee est formel : la reconnaissance sociale passe par le travail. Suis-je reconnu à ma juste valeur, suis-je considéré ? Puis-je employer pleinement mes connaissances ? Ces questions comptent beaucoup plus que des éléments comme "obtenir une promotion" ou "entretenir de bonnes relations avec ses collègues". S'agissant du bien-être au travail, le plus essentiel tient donc en deux items : "un travail reconnu à sa juste valeur" et le fait "d'employer pleinement ses compétences". Pour les actifs, l'effet des conditions de travail difficiles sur la satisfaction est du même ordre de grandeur que le rapport de bien être entre actifs et chômeurs. Préoccupant également, les personnes qui se sentent sur-qualifiées par rapport à leur emploi et celles qui éprouvent des difficultés à concilier leur vie professionnelle et leur vie familiale sont nettement moins satisfaites de leur vie que les autres. Le diplôme ne constitue pas le rempart habituel contre le découragement.

Impact affectif des aléas de la vie privé

Si le décès dans une famille pèse bien évidemment sur le bien être, l'impact d'un divorce n'est pas non plus anodin. Les personnes qui appartiennent à un ménage ayant connu un divorce (ou une séparation) dans l'année, donc les divorcés mais aussi éventuellement les enfants ou proche de plus de 15 ans restés dans un ménage enquêté, déclarent un niveau de satisfaction de 6,4 contre 7,3 pour ceux qui n'ont pas connu cette situation. Et s'agissant de la naissance d'un enfant, si on a coutume de la marquer du sceau de "l'heureux évènement", l'Insee souligne qu'il ne va pas de soi que la satisfaction liée au fait d'avoir un enfant l'emporte sur les contrariétés ou les soucis (matériels ou physiques comme le manque de sommeil) qu'elle engendre. Reste que le réseau familial et amical est une des composantes essentielles de la qualité de vie. Souvent taxés d'individualistes forcenés avec la réputation d'être moins chaleureux que leurs voisins méditerranéens, les Français entretiennent des liens familiaux assez étroits : 51% voient au moins une fois par semaine un membre de leur famille qui ne vit pas sous leur toit et 47% leurs amis. 14% voient même quotidiennement leurs familles, 12% leurs amis. Un lot de consolation largement non négligeable.