La TVA sociale crée-t-elle des emplois ? Gauche et droite s'affrontent sur la question

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  849  mots
Le sénateur UMP Philippe Marini estime que la création de 100.00 emplois est possible. Nicole Bricq (PS) conteste ce chiffre, jugeant que dans certains scénarios la TVA sociale "pourrait même détruire des emplois". Copyright Reuters
La commission des Finances du Sénat a refusé d'examiner le projet de loi de finances rectificative instituant une "TVA sociale", jugeant ce texte inopportun. Gauche et droite s'affrontent sur la réalité des créations d'emplois que pourrait entraîner un transfert des cotisations patronales vers la TVA. Faut-il mieux privilégier la compétitivité ou l'emploi ?

La commission des Finances du Sénat a rejeté mardi soir le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2012 et sa mesure phare, la TVA sociale. Pis, la commission, au grand dam de son président Philippe Marini (UMP), a même adopté une "question préalable" conduisant le Sénat à décider "qu'il n'y pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, voté par l'Assemblée nationale en première lecture". Une position qui devrait, ce mercredi, être ratifiée en séance par le Sénat à majorité de gauche. Si tel était le cas, le texte reviendrait immédiatement à l'Assemblée nationale pour être définitivement adopté.

Philippe Marini a immédiatement réagi : "Je regrette cette position d'échappatoire, ce refus d'entrer dans le débat. Je n'ai jamais cessé de prôner la TVA sociale, la voir aujourd'hui proposée, c'est un vrai succès". La rapporteure générale socialiste de la commission des finances, Nicole Bricq, sénatrice de Seine et Marne, lui a aussitôt répondu : "Votre diagnostic est faux, c'est une mesure nocive, qui n'améliorera pas la compétitivité et peut détruire l'emploi".

Débat sur le nombre d'emplois créés

Devant la presse, les deux ténors de la commission des finances du Sénat se sont surtout affrontés sur la question du nombre d'emplois créés ou détruits par l'instauration de la TVA sociale. Philippe Marini estime, pour sa part, que la création de 100.000 emplois est possible. La ministre du Budget, Valérie Pécresse, avait avancé une fourchette allant de "75.000 à 120.000 emplois". A l'inverse, dans son rapport sur le texte, Nicole Bricq conteste ce chiffre en s'appuyant sur des simulations faites à partir des chiffres de la Direction du Trésor de Bercy. Au contraire, elle estime que dans certains scénarios la TVA sociale "pourrait même détruire des emplois".

Une TVA créatrice ou destructrice d'emploi ?

De fait, ainsi que le précise le rapport sénatorial, les économistes s'entendent pour estimer qu'avec l'instauration d'une TVA sociale, deux phénomènes antagonistes sont à l'?uvre :

- d'un côté, la baisse des cotisations patronales (13 milliards d'euros dédiés à la politique familiale) crée de l'emploi parce que la diminution du coût du travail incite les entreprises à embaucher, soit immédiatement, soit une fois que l'amélioration de leur compétitivité-prix a accru leur activité. Les économistes considèrent ainsi que si le coût du travail baisse de 1% pour tous les salaires (ce qui n'est pas le cas, d'ailleurs, avec le dispositif arrêté par le gouvernement), le nombre d'emplois augmente d'environ 0,5% à court-moyen terme.

- d'un autre, l'augmentation de TVA peut détruire de l'emploi en raison de son effet dépressif sur l'activité. Selon les estimations usuelles, une augmentation de la TVA d'un montant donné réduit le PIB d'un montant quasi égal à moyen terme. Cet impact peut toutefois être limité si on suppose que les entreprises utilisent la baisse des cotisations patronales pour réduire leurs prix hors taxes, la consommation des ménages étant alors moins affectée. Philippe Marini a d'ailleurs reconnu qu'il y avait "beaucoup d'aléas sur la façon dont cette mesure sera appliquée dans le tissu économique". En d'autres termes, les entreprises peuvent être tentées de reconstituer leurs marges en ne répercutant pas sur leur prix la baisse des cotisations patronales...

Favoriser l'emploi ou la compétitivité

A cet égard, le "rapport Besson" et la note de l'Inspection générale des finances de 2007 sur la TVA sociale recommandaient, afin de créer davantage d'emplois, d'utiliser les recettes découlant de l'augmenation de TVA pour financer des allègements de charges concentrés sur les salaires les moins qualifiés. En d'autres termes, il s'agirait d'aller au-delà de ce qui est déjà prévu par le "dispositif Fillon" d'allégements des cotisations entre un Smic et 1,6 Smic. Selon des simulations de la Direction du Trésor, reprises dans le rapport sénatorial, le nombre d'emplois créés serait de l'ordre de 300.000 si on concentrait les exonérations de cotisations sur les bas salaires, y compris les salariés au Smic (en exonérant, par exemple, la part patronale de cotisation chômage) et de 100.000 si on se contentait d'étendre jusqu'à 1,1 Smic les exonérations totales de cotisations patronales de sécurité sociale actuellement en vigueur pour le Smic. Le gouvernement semble avoir opté pour une autre conception : la TVA sociale a pour objectif essentiel de renforcer la compétitivité de l'économie par une forme de dévaluation compétitive (qui vient donc pallier l'absence de dévaluation possible de la monnaie, en raison de l'euro). Les exonérations de cotisations ne doivent alors pas être concentrées sur les bas salaires. C'est pour cette raison que la réforme actuelle concerne les salaires jusqu'à 2,4 Smic. Le risque, alors, étant que le nombre d'emplois créés s'en trouve réduit.

Le débat reste ouvert...