Le Président Hollande va devoir réfréner ses envies de démocratie sociale

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1005  mots
Copyright Reuters
Le candidat François Hollande espérait accorder un certain degré d'autonomie normative aux partenaires sociaux, en privilégiant le contrat à la loi. Le président Hollande risque de ne pas aller aussi loin: le dialogue "oui" mais la loi doit continuer d'avoir le dernier mot.

C'est peu de dire que les syndicats ont accueilli avec soulagement la défaite de Nicolas Sarkozy. Pour autant, les organisations syndicales n'accordent pas quitus à François Hollande. Elles attendent des actes concrets de l'impétrant. Notamment sur l'épineuse question de la place du dialogue social dans la prise de décision.

"Principe constitutionnel"?

Ainsi, la CFDT, a t-elle envoyé un message à François Hollande à peine élu, se félicitant de "sa volonté de placer le dialogue social comme l'une des priorité dans sa méthode de travail ". Une sorte de réponse à celui qui, encore candidat socialiste, avait écrit le 1er mai aux responsables des confédérations pour leur dire vouloir faire "du dialogue social une priorité majeure du projet présidentiel (...) c'est la raison pour laquelle il sera érigé en principe constitutionnel". Le propos est clair sur la forme mais il reste encore flou sur le fond. Qu'entend François Hollande par "principe constitutionnel" ?

Depuis la loi Larcher du 31 janvier 2007, le gouvernement ne peut déjà plus légiférer dans les domaines touchant aux relations du travail, sans, au préalable, avoir laissé un temps pour la négociation sur ce thème aux partenaires sociaux. C'est seulement ensuite que le Parlement peut légiférer, soit en reprenant le contenu de l'accord conclu par les syndicats et le patronat pour lui donner force de loi, soit, en cas d'échec de la négociation, pour légiférer librement. Est-ce ce mécanisme "Larcher" que François Hollande veut ériger en principe constitutionnel ou veut-il aller plus loin en accordant une véritable autonomie normative aux partenaires sociaux ?

La délicate question de l'autonomie normative accordée aux partenaires sociaux

Concrètement, cela signifierait qu'il serait inscrit dans la Constitution que seuls les syndicats et le patronat seraient compétents pour édicter des normes, via des accord interprofessionnels, de branche et d'entreprise, dans un certains nombre de domaines qui devraient être clairement définis.

Dit autrement, lors de la grande Conférence sociale qui sera convoquée autour du Président de la République à la mi-juillet, un "champ de compétences" serait défini et réservé aux corps intermédiaires. Le Parlement serait alors privé de son droit de légifére sur ce "champ". Une révolution.

Ceci dit, une telle autonomie accordée pour la première fois en France au patronat et aux syndicats correspond au mode de pensée de François Hollande. Il avait d'ailleurs exprimé sa pensée sur ce point dans une tribune parue dans le quotidien  "Le Monde" en août 2011. Le nouveau président, en social-démocrate convaincu, parie sur la maturité des différents acteurs de la société civile pour promouvoir un véritable partage du pouvoir et des responsabilités.

François Hollande a à l'esprit l'exemple d'outre-Rhin, où la plus grande partie des normes sociales sont définies dans chaque branche professionnelle par le patronat et les syndicats (politique salariale, durée du travail, etc.). Paradoxalement, une telle réforme rejoint les préoccupations des libéraux et du Medef, qui, depuis Denis Kessler (alors vice-président de l'organisation) il y a une dizaine d'années, n'a de cesse de réclamer cette autonomie normative. Laurence Parisot est donc très demandeuse, préférant le contrat à la loi.

De nombreuses réticences à ce principe

Pour autant, il n'est pas certain, in fine, que le nouveau président aille aussi loin. Et ce pour plusieurs raisons. D'abord, cette novation  ne fait absolument pas l'unanimité chez les partenaires sociaux. FO et davantage encore la CGT, conscientes d'un rapport de force pas nécessairement favorable aux salariés dans un contexte de haut niveau de chômage, ne voudront certainement pas dévaloriser le travail du législateur.

Ensuite, au sein d'une potentielle majorité de gauche, une telle réforme ne passerait pas. Durant la campagne, le leader du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, a déjà fait savoir qu'il n'était pas question que l'Etat renonce à ses prérogatives,  notamment d'intervenir par la loi dans le domaine social. Au sein même du parti socialiste, certains "jacobins" ne l'entendent pas de cette oreille.

D'ailleurs, Jacky Bontems (le conseiller social pour l'instant officieux de François Hollande et ex-numéro 2 de la CFDT) et Alain Vidalies, le "monsieur travail" de l'équipe du candidat Hollande, ont animé différentes rencontres sur ce sujet pour tenter d'expliquer la pensée du nouveau président. Il semble acquis que, dans un premier temps tout au moins, il n'est pas question d'accorder une autonomie normative aux partenaires sociaux mais plutôt de "constitutionnaliser" l'actuelle loi Larcher et, surtout, de la rendre incontournable.

De fait, un passé récent le montre, quand un gouvernement voulait aller vite pour réformer sur une question sociale, il demandait à un parlementaire de déposer une proposition de loi... La loi Larcher ne devant s'appliquer qu'à l'occasion d'un projet de loi d'origine gouvernementale.

La question divise même au sein de l'UMP

Enfin, au sein même de l'UMP, la question de l'autonomie des partenaires sociaux divise. Si les libéraux y sont favorables, d'autres se montrent beaucoup plus réservés. Ainsi, il y a peu, Xavier Bertrand, l'encore actuel ministre du Travail, expliquait devant un cercle de DRH que "un accord conclu au niveau national entre partenaires sociaux est forcément le fruit d'un compromis. Il y a donc eu des concessions qui freinent l'ampleur de la réforme attendue. Avec un accord national, on aura jamais une réforme à 100%. C'est pour cela que la loi reste nécessaire et qu'il ne faut pas aller plus loin que la loi Larcher et qu'il ne faut pas constitutionnaliser le dialogue social ".

Il semble donc que les convictions social-démocrates de François Hollande devront faire place au pragmatisme dans un premier temps. La faiblesse du syndicalisme français et la division de organisations patronales et syndicales risquent d'avoir raison de leur envie d'autonomie.