Emploi : ce que peut faire Ayrault

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  950  mots
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Jean-Marc Ayrault a débuté ses consultations afin d'organiser la conférence sociale de la mi-juillet. L'emploi s'impose comme la principale préoccupation et devrait être au centre des débats alors que, selon la CGT, 45.000 postes sont menacés. Le Premier ministre utilisera-t-il l'arme législative pour freiner les licenciements économiques? Rien n'est moins sûr. En tout état de cause, deux textes sont déjà prêts.

Il sont venus, ils sont tous là. Au total, ce sont huit organisations professionnelles, cinq syndicales (CFE-CGC, CFDT, CFTC, CGT et FO) et  trois patronales (CGPME, Medef et UPA),  qui se sont succédées mardi 29 mai à Matignon pour présenter leurs doléances au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Un premier tour de table qui sera suivi, dès le 5 juin, d'un deuxième (une réunion plénière cette fois) pour définir la méthode de travail pour la troisième étape : la grande conférence sociale qui se tiendra à l'Elysée avant le 14 juillet. Au menu, on le sait déjà : le Smic, la retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler à 18 ans, les règles du dialogue social et..., surtout, l'emploi.

L'emploi, la principale préoccupation

C'est sur ce sujet que tous les acteurs sont les plus inquiets, même si la présidente du Medef, Laurence Parisot, a tenu à minimiser l'ampleur du phénomène. Il n'en reste pas moins que, selon un sondage Harris Interactive publié par l'Humanité (29 mai), 58% des Français estiment que l'emploi doit être le sujet principal de la prochaine conférence. Et ce n'est pas la publication, jeudi 31 mai, des derniers statistiques sur le nombre des demandeurs d'emploi qui devrait rassurer...

Le gouvernement sait d'ailleurs très bien que c'est sur le front de l'emploi qu'il va être immédiatement attendu. C'est pour cette raison que, à peine nommé, le ministre du " Redressement productif", Arnaud Montebourg, a fait preuve d'un volontarisme appuyé en essayant de régler certains problèmes de fermetures de sites, comme chez Fralib à Gémenos ou chez Technicolor à Angers. Pour l'instant, rien de concret même si le ministre a réussi à remettre autour de la table patronat et syndicats de ces sites. Il doit aussi, dans les prochaines semaines, remettre à Jean-Marc Ayrault un plan de "reconquête industrielle" et une mission intermininistérielle pourrait voir le jour .

La CGT évoque 45.000 emplois menacés

De fait, le problème est d'ampleur puisqu'un certain nombre de plans sociaux risquent de se produire après être restés sous le tapis le temps de la campagne électorale. Ainsi, Bernard Thibault (CGT) est arrivé chez le Premier ministre avec une liste de 46 entreprises en redressement ou liquidation, soit environ 45.000 emplois menacés dans de très nombreux secteurs : Banque, presse, métallurgie, agroalimentaire, etc.

Que peut alors faire le gouvernement s'il ne veut pas revivre le syndrome Jospin et son  "en matière d'emploi, l'Etat ne peut pas tout ", lancé en 2001 après l'annonce d'un plan social chez Michelin ? Le Parti communiste propose, lui, un " moratoire » sur les licenciements jusqu'à l'entrée en vigueur de l'Assemblée nationale", soit le 20 juin. Juridiquement, cette proposition semble peu fondée. En revanche, durant la conférence sociale, il est certain que la question des moyens accordés à Pôle Emploi pour mieux assurer le suivi des chômeurs sera sur la table.

Il en va de même de la formation et de l'indemnisation des demandeurs d'emploi. L'actuel mécanisme du "contrat de sécurisation professionnelle"(CSP), qui assure durant 12 mois 80% de leur ancien salaire à des licenciés économiques suivant une formation, sera sans doute " boosté". Le fameux "contrat de génération" (300.000 sont prévus sur la durée du quinquennat), cher à François Hollande, sera aussi discuté.  Reste l'épineuse question du droit des licenciements. On sait le Medef très sensible et toutes griffes sorties à l'évocation d'un durcissement des règles en vigueur, réclamé non seulement par le Front de Gauche mais aussi souhaité, plus discrètement, par une partie de l'aile gauche du PS. Pour ce faire, s'il le décide, le gouvernement à deux instruments à sa disposition.

Le projet de loi Royal contre les "licenciements boursiers"

Le premier émane de... Ségolène Royal qui avait rédigé un "projet de loi relatif à l'interdiction des licenciements boursiers"  lors de la bataille des primaires socialistes. Ce texte ne concernerait que les entreprises de plus de 250 salariés. La loi actuelle serait modifiée pour préciser que " ne constituent pas des licenciements pour motif économique les suppressions d'emplois qui ont pour objectif de privilégier le niveau de rentabilité de l'entreprise". Sachant, notion différente, que la jurisprudence reconnaît la validité d'un licenciement économique pour "sauvegarder la compétitivité". Dans le projet de Ségolène Royal, le caractère économique - voire boursier - d'un licenciement devrait pouvoir être examiné "dès l'examen du plan de sauvegarde de l'emploi" (PSE)... Ce que vient de refuser la Cour de Cassation dans le récent arrêt Viveo.


La proposition de loi... Hollande  contre les fermetures de sites

Le second instrument émane de... François Hollande qui avait a déposé, en février 2012, au nom du groupe socialiste, une proposition de  loi à l'Assemblée visant à obliger un industriel se désengageant d'une usine française à la céder à un repreneur. Ce texte avait été repoussé par la majorité. Concrètement, a chaque fermeture d'un site, l'entreprise devra en informer le Tribunal de commerce qui désignera un mandataire chargé de trouver un repreneur. Si l'entreprise cédante refuse toute proposition de reprise (de crainte de voir un concurrent "écupérer" une usine rentable), le Tribunal pourra imposer un plan de cession à l'entreprise. Le texte, donc, n'interdirait pas une fermeture d'usine mais obligerait à leur cession si elle s'avère rentable et qu'un repreneur se présente.
Le gouvernement utilisera-t-il la voie législative? Tout va dépendre de la majorité qui sortira des urnes le 17 juin. Si la gauche se retrouve avec une majorité étriquée, il est alors peu probable qu'elle se risque à le faire.