Pacte de compétitivité : "La copie est hors sujet sur la place de la France dans le monde"

Par Propos recueillis par Laura Fort  |   |  817  mots
Christian Harbulot, directeur de l'Ecole de guerre économique, Copyright DR
Spécialiste de l'intelligence économique et directeur de l'Ecole de Guerre Economique, Christian Harbulot livre son analyse du Pacte du gouvernement en faveur de la compétitivité. Pour lui, occulter l'Europe et le reste du monde d'un plan d'actions sur la compétitivité est un non sens.

La Tribune - Le Pacte Ayrault a-t-il fait la démonstration d'une stratégie économique conquérante pour la France ?
Christian Harbulot - Ca n'est pas une politique conquérante dans la mesure où, par exemple, le levier annoncé pour favoriser l'exportation des PME nous permet au mieux de compenser un retard ou de nous aligner sur les politiques réalisées dans d'autres pays. C'est une démarche tactique, pas stratégique.
Mon problème, dans ce levier intitulé Renforcer les conquêtes de nos entreprises à l'étranger et l'attractivité de notre pays, c'est qu'il n'y a pas une ligne sur l'Asie, alors que c'est une évidence. Il n'y a pas un début de stratégie d'appréhension de la zone la plus attractive du monde, l'Asie. Rien sur la manière dont nos entreprises doivent approcher cette zone éminemment complexe et où nous sommes particulièrement déficitaires en termes de commerce extérieur.
J'attends d'un président de la République qu'il ait aussi une vision par rapport au monde qui nous entoure. On ne peut pas dissocier la compétitivité de la France d'un système mondial, et d'économies offensives comme la Chine ou le Brésil. De la même manière, on ne peut pas parler de la compétitivité sans avoir une posture stratégique vis-à-vis de l'Europe. Dans ce Pacte, on parle de la France, mais pas de la France par rapport au reste du monde. Le hors-sujet de la copie est là.

Le Pacte annonce la mise en place de nombreux dispositifs de financement du développement des PME en France comme à l'export. N'est-ce pas une bonne chose ?
La Banque publique d'investissement sera créée en 2013. Pour qu'elle finance réellement les PME dans une optique stratégique, il faudra aussi les aider à conquérir des parts de marchés dans le monde. Ce, en s'appuyant sur les compétences d'experts au niveau local dans les régions pour les accompagner. Mais ce n'est pas dans l'administration qu'on va trouver ces gens-là...
Si l'on crée cette banque simplement en se contentant de distribuer de l'argent, ce sera l'échec garanti !

Quelles sont les mesures qui vont dans le bon sens en termes de stratégie économique ?
La marque France n'est pas un sujet inintéressant, mais c'est une mesure défensive.
La stratégie de filière [encourager les alliances entre les sociétés d'un même secteur via des "contrats de filière", pour renforcer les liens entre grandes entreprises et PME, ndlr] est une bonne idée, à condition que le mot stratégie ne sonne pas en creux. Il faut par exemple que les spécificités culturelles françaises soient préservées dans le cadre des appels d'offres, en particulier dans le domaine de l'économie de la connaissance et du numérique. Nous n'avons pas à acheter avec un chèque en blanc des technologies américaines !

"Il ne suffit pas de bien produire pour vendre plus"                                                           

Christian Harbulot a réédité le mois dernier, sans y changer une virgule, l?étude qu?il a écrite entre 1988 et 1989, intitulée Techniques offensives et guerre économique. Plus de 20 ans après, si les pièces ont bougé sur l?échiquier géopolitique et géostratégique, les règles du jeu sont identiques et la fin de partie n?a pas été sifflée. L?étude rappelle les fondements de la guerre économique au sortir de la Guerre froide et la manière dont les grandes puissances se sont positionnées sur ce terrain.
Certains passages gardent ainsi toute leur actualité? En voici une sélection :

? Sur la compétitivité : Une volonté de non-agression concurrentielle prédomine encore chez un certain nombre de chefs d?entreprise. Leur seule finalité stratégique est la bonne marche de leur entreprise. Cette mentalité pacifique honore notre morale mais ne nous rapporte rien en termes de compétitivité et de création d?emplois. Il ne suffit pas de bien produire pour vendre plus.

? Sur la guerre économique: Confrontées à un double mouvement d?ouverture des marchés et de nécessité de protection de certains intérêts nationaux, les entreprises françaises comme leurs homologues asiatiques, doivent toujours être en mesure de maîtriser les termes de l?échange dans une guerre économique qui ne veut pas dire son nom.

? Sur la relance du commerce extérieur: En s?en tenant à une vision autarcique du commerce, de nombreux dirigeants de PME-PMI ont du mal à analyser les facteurs internationaux qui influent sur leurs lignes de produits. Cette position de repli vers le marché intérieur est une constante de notre passé commercial. Il y a toujours eu un malentendu entre les pouvoirs publics et le patronat sur la question de la relance du commerce extérieur.

Editions La Bourdonnaye (4,99? en version numérique)