En Île-de-France, les communes pauvres paient pour les riches

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  1122  mots
Mairie de Neuilly / DR (Crédits : <small>Reuters</small>)
La fiscalité locale attend toujours la grande réforme promise par François Hollande. Résultat, les situations absurdes perdurent: ainsi, en 2013, au nom de la péréquation fiscale, Nanterre et Gennevilliers vont être plus ponctionnés que Neuilly !

Plus elle a de chômeurs, plus sa population est pauvre, plus une commune peut être taxée. Moins elle en a, moins elle peut l'être. La fiscalité locale française produit régulièrement ce type d'aberrations, le plus souvent au nom d'une bonne intention, comme la péréquation fiscale. Objectif de cette péréquation, fixée par la Constitution depuis dix ans : atténuer les disparités entre les collectivités territoriales par une redistribution des ressources en fonction d'indicateurs physiques et financiers.
Le problème est que ça bugue souvent.

Dans les Hauts-de-Seine, par exemple, avec Gennevilliers, Nanterre et Neuilly-sur-Seine. En 2013 et 2014, les deux premières communes vont payer plus, beaucoup plus, que la troisième, au titre des péréquations fiscales en Île-de-France. Nanterre et Gennevilliers ont pourtant un taux de chômage et de pauvreté ainsi qu'un pourcentage de logements sociaux sans aucune commune mesure avec ceux de Neuilly.

Donner d'un côté, reprendre de l'autre

Il existe actuellement deux fonds de péréquation, un entre les communes d'Île-de-France, l'autre entre toutes les communes de France métropolitaine. Patrick Jarry, le maire communiste de Nanterre, vient de faire les calculs, pour les deux fonds : « En 2013, Nanterre devra payer 6,7 millions d'euros pour les deux fonds, soit 600.000 euros de plus que Neuilly-sur-Seine. Ce sera encore pire au cours des deux années qui viennent, notre contribution devant s'élever à 10 millions d'euros en 2014 et à 15 millions - 10% de notre budget actuel - en 2015 si les modalités d'application de la loi ne sont pas corrigées. » Car, bien entendu, le versement de Neuilly, lui, n'augmentera pas, puisqu'il est pour l'instant plafonné par la loi!Or ces deux villes contiguës des Hauts-de-Seine ne vivent pas sur la même planète : à Nanterre, le revenu net par foyer fiscal est de 22000 euros, alors qu'il est de 84000 euros à Neuilly. À Nanterre, il y a 54% de logements sociaux, à Neuilly 5%; à Nanterre, le taux de chômage est de 13,8%, à Neuilly de 9,5%, etc.

Un habitant de Gennevilliers reversera donc 130 euros au titre de la solidarité

C'est un gouffre social entre les deux villes, mais celle qui a le plus de pauvres paie pour celle qui n'en a quasiment pas.
Pour bien mesurer l'incongruité du système actuel, il faut savoir que, dans le cadre de la politique nationale de la ville, Nanterre reçoit 1,7 million d'euros au titre de la dotation de solidarité urbaine (DSU) pour ses quartiers dits « prioritaires ». La DSU est d'ailleurs en soi un autre système de péréquation entre collectivités. Mais là, Neuilly-sur-Seine n'y a pas droit. D'un côté, l'État reconnaît donc les besoins d'un territoire et, de l'autre, il le ponctionne sévèrement.
La situation est exactement identique avec Gennevilliers. La commune du communiste Jacques Bourgoin va payer 5,4 millions d'euros en 2014 au titre de la péréquation en Île-de-France, alors que Neuilly, elle, sera toujours plafonnée à 4,9 millions. Un habitant de Gennevilliers reversera donc 130 euros au titre de la solidarité, alors qu'un Neuilléen se contentera, lui, de payer 81 euros. Or la situation sociale de Gennevilliers est encore pire que celle de Nanterre, avec un taux de chômage de 15,8%, 59% de logements sociaux et un revenu moyen par habitant cinq fois plus bas que celui de Neuilly. Même le maire de Neuilly, Jean-Christophe Fromantin (divers droite), reconnaît que « le système actuel n'est pas clair ».

Les villes de l'historique ceinture rouge de Paris particulièrement touchées

On peut égrener ainsi les communes qui vont être victimes de cette absurdité fiscale. Neuf d'entre elles - Aubergenville (Yvelines), Chevilly-Larue (Val-de-Marne), Gennevilliers (Hauts-de-Seine), Guyancourt (Yvelines), Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), Nanterre (Hauts-de-Seine), Poissy (Yvelines), Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) et Pantin (Seine-Saint-Denis)- ont demandé la révision de cette loi qui a été modifiée dans la loi de finances 2012. D'autres sont dans le même cas (Arcueil, Clichy, Corbeil-Essonnes, Massy, Noisy-le-Grand, Poissy).Toutes ces villes ont en fait un point commun : ce sont les villes de l'historique ceinture rouge de Paris. Dirigées longtemps par des communistes, elles ont développé une politique qu'un haut fonctionnaire en charge de la réforme fiscale locale ne peut absolument pas intégrer : « Nous consacrons une part énorme de notre budget à la solidarité, explique Patrick Jarry. 17,3 millions en 2013. Tout simplement parce ce que nos habitants ont besoin de centres de santé ou d'accueil périscolaire quasi gratuits qui reçoivent 65% des enfants de Nanterre; les communes à population riche n'ont pas à offrir ça. »

"Nous sommes pour la péréquation mais là, on marche sur la tête"

 

Idem pour la politique de logements sociaux, qui dans toutes ces communes est voulue. « C'est vrai que nous avons fait le choix d'accueillir la population qui était expulsée d'ailleurs en Île-de-France et de considérer que le monde ouvrier pouvait rester au pied même de la Défense, rappelle Patrick Jarry. Bien sûr, nous avons profité de la Défense en récupérant chez nous tous les back-offices des grandes sociétés, d'AXA ou de la Société générale, et nous ne sommes pas, comme Sevran ou Clichy-Montfermeil, une commune pauvre en ressources. Nous sommes pour la péréquation mais là, on marche sur la tête. »Bertrand Kern, le maire socialiste de Pantin, pense pratiquement la même chose : « Ma commune est celle qui a le plus de pauvres en Seine-Saint-Denis comme en Île-de-France et, avec Bobigny, celle dont le revenu médian est le plus faible du département et de la région. Avant 2012, on était bénéficiaire en termes de péréquation en Île-de-France, on percevait entre 1,2 et 1,3 million. Mais, en 2013, nous payons 680.000 euros. Le système n'est pas logique, il faut le réformer. »

En attendant la loi de décentralisation...

L'ennui, c'est que les réformes de la fiscalité locale sont en cale sèche. Les missions et les rapports s'accumulent, mais rien ne se passe. Assez contente d'elle, la Direction générale des collectivités locales (DGCL) estime en effet que le fonds de péréquation en IDF est deux fois plus égalitaire que les dotations de péréquation verticale (nationale). Ce fonds, dont le montant est fixé d'avance (230 millions cette année, 250 en 2014, 270 en 2015) est alimenté par des contribuables riches dont la participation est plafonnée (Neuilly-sur-Seine ou Paris) et par des contribuables pauvres payant sans plafonnement en fonction d'indices étranges et souvent contradictoires... Matignon et la Place Beauvau travaillent sur une réforme depuis des mois, et François Hollande avait promis une réforme de la fiscalité locale avec la nouvelle loi de décentralisation. Pour l'instant, rien n'est arrivé, et les communes vont devoir payer.