Décentralisation : qui doit mourir ?

Avec tous les pouvoirs en main, l'exécutif aurait pu faire aboutir le nouvel acte de la décentralisation assez vite. Mais il s'y prend très mal...<br /> <b>LES FAITS -</b> Floue et lente, la méthode choisie pour l'élaboration du nouveau texte laisse surtout place à une féroce bataille de lobbying entre élus socialistes. <br /> <b>L'ENJEU -</b> Concevoir une loi qui ne soit pas monolithique et laisse les territoires s'organiser. Avec, en perspective, la disparition de certaines institutions.
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«Le jour où je n'ai plus la compétence économique, j'arrête d'être maire de Lyon, ça ne m'intéresse plus». Gérard Collomb a toujours un peu été «président de la République autonome de Lyon», farouchement réticent à tout empiétement d'une quelconque collectivité sur «sa» ville ou «sa» communauté urbaine. Mais il est l'un des seuls élus à poser une question essentielle et nouvelle: la décentralisation ne pour-rait-elle pas, pour une fois, s'adapter à la réalité des territoires? Pourquoi pas un peu de finesse au lieu d'une réforme de brutes? Pourquoi pas un peu de souplesse dans la rédaction de la loi?
Par exemple: la compétence de développement économique qui doit aller aux Régions doit-elle être accompagnée d'un schéma prescriptif, c'est-à-dire de l'obligation pour toutes les collectivités sur le territoire concerné de s'y plier? Jean-Jack Queyranne, le président de Rhône-Alpes ne le souhaite pas vraiment («sauf pour les aides aux entreprises»), mais il glisse en même temps qu'il «ne peut pas y avoir de pouvoirs concurrents». Et lorsque Michel Destot, le maire de Grenoble, s'avance sur la compétence économique, Jean-Jack Queyranne prend un peu la mouche: «À entendre certains, les grandes villes devraient s'occuper des grandes entreprises et la Région des petites entreprises disséminées sur le territoire. Les pôles de compétitivité à Lyon et Grenoble, et les PME au conseil régional? Cela marchera d'autant moins que notre contribution financière à ces pôles est trois fois supérieure à celle des villes!» Face aux maires des grandes villes et aux présidents des grandes agglomérations, ce n'est pas simple de vouloir parler économie. «La Région est un ensemblier, explique Jean-Jack Queyranne, il ne peut pas y avoir de balkanisation du développement économique. Ce n'est pas de l'impérialisme régional, c'est la reconnaissance du fait que l'économie ne supporte pas les "chikayas" d'élus».Évidemment, désaccord total du maire de Lyon: «L'économie se concentre, elle ne se dilue par sur le territoire, explique-t-il. Elle est dans les villes, quelques grandes agglos. C'est ce que j'appelle "l'effet cafétéria": les scientifiques et les entrepreneurs doivent être proches les uns des autres pour que tout se développe. Une agglo peut porter ce type de développement. La Région, elle, va naturellement vouloir essaimer sur tout son territoire. Un conseiller régional est l'élu d'un territoire, il n'est pas l'élu d'un cluster ». Le sénateur-maire de Lyon pointe du doigt un défaut de la loi qui est en train de germer : la sous-estimation du fait métropolitain. «La France a longtemps été une France des cantons construite contre les villes, note-t-il, il ne faudrait pas que, devenue France des Régions, elle ignore ses métropoles». L'économie est dans les villes, dans des «ambiances technologiques efficaces», des endroits où «un euro d'argent public est infiniment plus producteur de croissance économique qu'ailleurs», affirme l'élu lyonnais.

Et si la loi n'était pas la même partout?

Michel Destot est sur la même longueur d'ondes: «Nous avons une difficulté à prendre en compte ce qui émerge: les Régions et les pôles urbains. Qui va pousser les champions industriels de demain? Il est clair que tout ne passe pas par la Région ». Le maire de Grenoble va d'ailleurs plus loin: «Le problème que nous avons avec cette loi est que nous voulons faire des choses universelles. Or on ne peut pas faire la même chose en Rhône-Alpes et en Limousin. Ni d'ailleurs en Île-de-France et en Rhône-Alpes». Quant à Vincent Feltesse, le président de la communauté urbaine de Bordeaux (CUB), il est encore plus net: «On nous avait annoncé l'avènement des Régions alors que le fait marquant de ces dernières années c'est le retour de la ville et l'avènement de la métropole». La conclusion, logique : et si la loi n'était pas la même pour Rhône-Alpes, le Limousin ou PACA?
Le développement économique et, surtout, l'organisation de ce territoire n'ont ainsi rien à voir avec le «bazar absolu de l'Île-de-France» (dixit un grand élu de province) qui, malgré les demandes de François Hollande, est toujours incapable de proposer à Marylise Lebranchu (ministre de la Réforme de l'État, de la Décentralisation et de la Fonction publique), une forme d'organisation qui corresponde aux enjeux économiques et sociaux du territoire.
Patrick Braouezec, ex-député de Seine-Saint-Denis et actuel président du syndicat Paris Métropole, a beau dire «nous ne sommes pas dans la situation de Marseille où le Premier ministre est obligé d'aller pour leur dire quoi faire en matière métropolitaine», les Parisiens ne sont pour autant guère plus avancés que les Marseillais. Patrick Braouezec plaide actuellement, sans donner trop de précisions, pour une organisation «polycentrique».

La mort lente de la commune est inévitable

Cela ne veut pas dire grand-chose, mais cela permet de ménager les susceptibilités de chaque élu et surtout d'éviter une confrontation un peu trop vive avec le président du conseil régional, Jean-Paul Huchon: lui non plus n'apprécierait guère de perdre une partie de la compétence économique au profit du pôle métropolitain de Paris et sa petite couronne.
Pourtant, Patrick Braouezec «envisage clairement que Paris Métropole change de structure et devienne un lieu de compétences avec, par exemple, l'habitat, les transports ou le développement économique». L'ex-député francilien ne veut pas de conflit avec la Région (deux des trois compétences qu'il vise sont celles de la Région), mais il n'en veut pas non plus avec les communes. Celles-ci sont pourtant le véritable frein à toute réforme un peu sérieuse. L'Île-de-France est tellement en retard sur la question de l'intercommunalité qu'elle va être hors la loi: cette dernière impose en effet que toute commune soit dans une intercommunalité avant 2014. Et le phénomène intercommunal est tellement étranger à la mentalité politique francilienne qu'il faudra bien un an de plus pour y arriver: un millier de communes en Île-de-France n'appartiennent à aucune intercommunalité. Cela va donc se passer dans la douleur. «Il ne s'agit pas de dessaisir les élus de leurs compétences, mais il faut bien qu'ils comprennent que le cadre communal est évidemment trop étroit», commente Emmanuel Lamy, le maire UMP de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines). «Il va y avoir des grincements de dents, car on va être obligés de retirer des compétences à certains, puisque tout le monde est d'accord pour dire que notre système ne fonctionne pas», ajoute Daniel Guiraud, le maire PS des Lilas (Seine-Saint-Denis). Tandis que Patrick Braouezec conclut: «On va peut-être devoir supprimer des institutions car nous sommes sur des problématiques qui dépassent nos intérêts locaux».Rien n'est clairement avoué, tout est suggéré. Mais c'est clair, les élus d'Île-de-France vivent en première ligne l'un des non-dits de la réforme : la France des cantons est en train de mourir. Quels pouvoirs, quelles compétences pourraient bien garder les maires pour ne pas entraver le développement économique et l'aménagement du territoire?
Pour les observateurs, François Hollande a donné la réponse dans son discours au Sénat, mais de manière déguisée: en se prononçant pour l'élection au suffrage universel des conseillers des intercommunalités, le président donnait enfin une existence politique forte à cette structure. Les maires vont devoir se plier petit à petit aux politiques des intercommunalités et il n'est pas sûr qu'ils gardent indéfiniment leurs dernières compétences, comme le permis de construire. «Le permis de construire doit remonter au moins aux intercommunalités, lâche Vincent Feltesse. Il faut une grande loi d'orientation foncière, la question de l'espace est primordiale.»

Non-dit et mauvaise méthode

La mort lente de la commune semble donc programmée, par étouffement, avec le nouvel acte de la décentralisation. Dans certains cas, comme en Île-de-France, où le foncier manque cruellement pour le développement économique et où les maires le bloquent trop fréquemment, ce serait logique. Dans les grandes agglomérations aussi.
La question est de savoir si tout doit être pareil partout. C'est la seule vraie question de ce nouvel acte de la décentralisation. Et c'est la seule qui n'est pas posée franchement. La méthode voulue par François Hollande n'est visiblement pas la bonne. Depuis des semaines, depuis des mois, les élus se succèdent à l'Élysée, à Matignon ou chez Marylise Lebranchu pour faire leur lobbying. Dans le plus parfait désordre et la plus parfaite mésentente malgré le fait qu'ils soient quasiment tous socialistes. Ainsi Gérard Collomb ne se déplace plus sans son matériel de lobbyiste: à François Hollande, à Jean-Marc Ayrault, à Marylise Lebranchu, il a montré un jeu de cartes de France empruntées à la Datar. Elles mettent en évidence les trajets, les réseaux, les déplacements des Français. Elles montrent que toutes les parties du territoire ne fonctionnent pas de la même façon et n'ont pas forcément besoin des mêmes institutions. Dans certains territoires, là où les grandes villes n'existent pas ou peu, le conseil général et la préfecture sont indispensables: «Là, il faut renforcer les départements», explique-t-il avec ses cartes. Dans d'autres endroits, les départements peuvent disparaître. Il ne le dit pas, mais le Rhône totalement phagocyté par Lyon et le Grand Lyon en est un parfait exemple. En d'autres termes, il démontre à quel point la loi de décentralisation ne peut être uniforme. Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, développe comme lui une approche totalement pragmatique du territoire. Il discute avec des préfets qui comprennent qu'ils sont plus utiles dans un territoire rural qu'en ville, que l'organisation de la République peut être différenciée...

Tous socialistes, tous en désaccord

Lentement est donc en train de germer l'idée que la nouvelle vague de décentralisation était peut-être bien partie, mais qu'elle va mal arriver car personne n'a posé la question préalable: que veut-on comme État territorial? Est-on capable de mettre en place une organisation différente en fonction des territoires? Est-on capable de laisser les territoires s'organiser eux-mêmes? Et la méthode choisie n'est pas la meilleure car elle ajoute beaucoup d'opacité et ouvre la porte à tous les lobbyings. Le PS «tient» les collectivités mais, comme le dit Gérard Collomb, «nous avons passé des années à nous opposer sans jamais discuter de ce que nous voulions!».Le résultat est là: Alain Rousset, président des Régions, Claudy Lebreton, président des départements, Gérard Collomb, président des communautés urbaines, Michel Destot, président des grandes villes, Martin Malvy, président des petites villes, André Laignel (vice) président des maires, Christian Pierre, président des villes moyennes, et Daniel Delaveau, président des intercommunalités, sont tous socialistes. Et pas d'accord entre eux. Ils se succèdent sur le perron de l'Élysée, les uns farouchement opposés à l'émergence des intercommunalités ou à la perte de certaines compétences, les autres étonnés de ne pas avoir ce qui semblait leur revenir naturellement, et à la recherche d'une nouvelle légitimité.Marylise Lebranchu, qui souhaitait ardemment que toutes ces associations se mettent d'accord entre elles pour écrire la nouvelle loi, est probablement condamnée à louvoyer et à sortir un texte sans vainqueurs ni vaincus. Et peut-être un peu creux.

Commentaire 1
à écrit le 07/12/2012 à 7:15
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