Jean-Marc Ayrault : "Quand l'Île-de-France va bien, la France se porte mieux"

Par Propos recueillis par Jean-Pierre Gonguet  |   |  1850  mots
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Dans cette interview exclusive accordée à la Tribune, le chef du gouvernement définit sa conception du « Nouveau Grand Paris » : une région capitale « plus solidaire et plus compétitive », avec davantage de logements construits, des transports et un cadre de vie améliorés. Afin que les Franciliens aient envie de « rester dans leur région et d'y développer leurs talents ». L'avenir de Paris « se joue à l'échelle métropolitaine, assure le Premier ministre. C'est cela l'enjeu de la ville-monde ».

LA TRIBUNE - La logique du Grand Paris Express que vous avez présenté le 6 mars dernier est-elle encore celle, initiale, de Nicolas Sarkozy ?
JEAN-MARC AYRAULT -
J'ai effectivement donné de nouvelles bases au projet. Je l'ai donc appelé le Nouveau Grand Paris et c'est la vision que le Gouvernement porte pour l'avenir de la métropole francilienne. Ma conviction, c'est qu'il faut ?uvrer avec détermination pour l'emploi et la croissance, sans jamais perdre de vue la solidarité. Avec cette ambition, nous construisons un projet cohérent : une ville durable, des transports maillés efficaces et une gouvernance renouvelée. Pour les transports, j'ai donné au Nouveau Grand Paris trois impulsions majeures.

D'abord j'ai voulu la fin de la distinction entre le Grand Paris Express et la modernisation des réseaux existants. Il n'y a qu'un seul réseau de transports publics en Île-de-France. Personne ne fera le tour de Paris en empruntant la ligne « rouge » ou la ligne « orange ». "Il faut penser correspondance, maillage du territoire, mixité des itinéraires domicile-travail. C'est pourquoi j'ai souhaité rebaptiser les lignes du Grand Paris Express : lignes 15, 16, 17, 18, 19, comme les lignes de métro existantes, et les faire représenter sur des plans figurant également le réseau existant. C'est un changement de paradigme majeur.

Ensuite j'ai adapté le projet à la réalité de besoins très divers. Sur certains tronçons, il y a 35000 voyageurs à l'heure de pointe, sur d'autres, moins de 10000. La réponse technique ne peut donc être la même. J'ai voulu que l'on pense qualité de service en offrant les meilleures performances de régularité et de fréquence. Par conséquent, j'ai abandonné le mythe d'un réseau du Grand Paris Express uniforme, qui aurait conduit à réduire la fréquence de passage dans les territoires où les trafics sont les plus faibles, pour limiter les coûts d'exploitation d'un métro grand gabarit. Dans ces territoires, un métro à gabarit adapté sera construit, permettant des économies et un meilleur cadencement de l'offre. Enfin j'ai donné de la visibilité avec un calendrier de réalisation du projet et fixé la programmation des tronçons, qui seront lancés en parallèle et réalisés en continu d'ici à 2030. Les échéances sont claires, la feuille de route est tracée.

Comment, sans oublier la logique de clusters, le Nouveau Grand Paris pourra-t-il prendre plus en compte le tissu des PME et des ETI de l'Île-de-France?
Les clusters sont des regroupements localisés de compétences industrielles, de recherche et d'enseignement, sur des périmètres bien identifiés. Ils peuvent être des foyers d'innovation et d'excellence technologiques et sont donc très précieux au dynamisme francilien. Mais toute la croissance de la région ne s'y résume pas. Au-delà, existe le tissu économique de l Île-de- France, des grands groupes comme des PME et des ETI, dont les salariés se logent et se déplacent en Île-de-France.
Quand on améliore les conditions de transport et qu'on produit plus de logements, c'est l'ensemble des forces vives de l'économie francilienne qui en bénéficie. Et, sans méconnaître la richesse et la complexité de l'écosystème régional, vu de Tokyo ou de New York, il n'y a qu'un seul cluster, celui du Grand Paris.

Pour résumer, le Nouveau Grand Paris, c'est le projet d'une Île-de-France plus solidaire et plus compétitive. C'est construire plus de logements, créer plus de mixité sociale, améliorer les transports du quotidien. C'est améliorer le cadre de vie pour que l'Île-de-France soit plus attractive. C'est donner envie aux Franciliens de rester dans leur région et d'y développer leurs talents.

C'est donc la fluidité des trajets qui va améliorer l'efficacité du marché du travail ?
Au travers de la modernisation des réseaux existants et la création de lignes nouvelles, je veux que les trajets en Île-de-France soient plus réguliers, plus confortables et permettent aux territoires les plus enclavés d'avoir accès aux zones d'emploi. C'est la raison pour laquelle j'ai en particulier souhaité que la ligne 16 desserve au plus vite les territoires de Clichy, de Montfermeil, de Gonesse. En 2023, un habitant de Clichy pourra rejoindre le centre de Paris avec une seule correspondance, ou, pourquoi pas, passer par Chelles pour aller prendre Eole et rejoindre la Défense ! C'est l'efficacité, mais aussi l'équité du marché du travail qui en est transformée, en permettant aux populations qui en sont les plus éloignées d'en retrouver l'accès.

Comment la localisation des ménages et donc, à terme, des entreprises seront-elles modifiées ?
Nous avons à relever le défi du déficit de logements. Cela fait plusieurs décennies qu'on ne construit pas assez en Île-de-France et les conséquences sociales du mal-logement sont particulièrement aiguës. Il ne faut pas non plus oublier que le déficit de logement a des conséquences économiques regrettables : les difficultés de la mobilité résidentielle empêchent de pourvoir des milliers d'emplois.
La dynamique du Grand Paris permettra de développer de nouveaux secteurs et de construire des dizaines de milliers de logements supplémentaires, dans des territoires denses et bien desservis. Nous permettrons donc à de nombreux ménages d'habiter dans la zone centrale ou dans des polarités importantes de l'Île-de-France, et lutterons ainsi contre les forces centrifuges qui poussent les ménages toujours plus loin sans que cela soit toujours un choix malheureusement.

Les nouveaux quartiers seront aussi des opportunités nouvelles pour les entreprises : les secteurs de Saclay, de la Plaine Saint-Denis, du Bourget ou de Marne-la-Vallée, pour n'en citer que quelques-uns, verront leur attractivité encore améliorée. Nous ?uvrons aussi activement, de cette manière, pour un rééquilibrage est-ouest effectif, pour que les logements et pour les bureaux soient mieux répartis.

Comment les collectivités vont-elles devoir repenser leurs stratégies de développement et travailler en réseau pour favoriser le développement des PME et ETI ?
Le métro ne peut assurer la croissance si les collectivités ne s'organisent pas pour aider les entreprises. C'est l'ambition des changements que nous portons avec la réforme de la gouvernance : les compétences doivent être bien définies et les collectivités compétentes doivent avoir les leviers nécessaires à leur mise en ?uvre. En particulier, nous réaffirmerons dans les textes en préparation, le rôle fondamental des régions dans la stratégie de développement économique.

Pour l'Île-de-France, cela correspond d'ailleurs à la responsabilité des transports, qui sont de niveau régional à travers le STIF, le Syndicat des Transports d'Île-de-France. Mais les sujets liés au développement économique sont souvent multiples et une collectivité ne peut pas tout faire seule. L'efficacité passe de plus en plus par des partenariats de tous les acteurs de l'action publique : État, différentes collectivités, organismes institutionnels, etc. Les projets importants doivent rassembler. Cela peut notamment prendre la forme de contrats de développement territorial.

Ce qui est construit avec ce Grand Paris Express n'a été réalisé nulle part ailleurs ni Londres, ni Shanghai ne sont même comparables. Cela sera-t-il suffisant pour que Paris se maintienne au niveau des principales villes-monde ?
L'image et la qualité de vie sont des éléments d'attractivité pour Paris. Les transports en commun le sont également. Ces différents atouts doivent perdurer, en même temps que nous démontrons notre aptitude à changer d'échelle et à dépasser les frontières symboliques existantes. L'avenir de Paris se joue à l'échelle métropolitaine et c'est cela l'enjeu de la ville-monde. Je crois que les élus, les citoyens, les entreprises l'ont bien compris. C'est l'ambition du Grand Paris tel que je le conçois.

La polémique se poursuit sur les conditions de financement du Nouveau Grand Paris. Est-il bouclé ?
J'ai proposé un plan de financement clair, mutualisant les ressources et les affectant de manière efficace à la modernisation du réseau comme au développement de nouvelles lignes. J'ai décidé d'affecter 2 milliards d'euros supplémentaires aux opérations de modernisation et de développement de ce réseau. Cela portera les engagements possibles à 7 milliards, et les crédits effectivement mobilisés à 6 milliards d'euros, d'ici 2017. C'est plus du double de ce qui a été dépensé au cours des cinq dernières années. Cet effort est permis par la mobilisation des ressources de court terme de la Société du Grand Paris.

J'ai fixé à la Société du Grand Paris l'objectif d'une optimisation des coûts du réseau de 3 milliards d'euros. C'est un objectif réaliste, compte tenu des adaptations de capacités qui sont à mobiliser. J'ai déplafonné les taxes affectées à la Société du Grand Paris pour supprimer l'écrêtement qui avait été mis en place au profit du budget général.
Cette mesure permet à elle seule de financer 80% du réseau du Grand Paris Express. Des contributions de l'État et des collectivités apporteront un complément de plus de 2 milliards d'euros à répartir sur plus de 15 ans. Enfin, une recette fiscale additionnelle sera à trouver, d'un montant limité, pour rassembler les 2,5 milliards d'euros restants : elle sera mise en place au fur et à mesure des mises en service, à partir de 2020. Donc, oui, le financement est sécurisé pour une réalisation d'ici à 2030.

Avez-vous abandonné la desserte de l'aéroport Charles de Gaulle ?
L'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle ne peut se satisfaire des liaisons qui le relient au centre de Paris, même en tenant compte de la réalisation de la branche du réseau du Grand Paris Express qui desservira Roissy.
La plupart des grands aéroports (Heathrow, Oslo, Stockholm, Hong Kong, ou encore Tokyo) disposent d'une liaison directe et dédiée avec le centre de la capitale, véritable porte d'entrée vers celle-ci. Je souhaite donc que la liaison directe entre la gare de l'Est et Roissy Charles de Gaulle se réalise. Toutefois, elle possède son modèle économique propre, et devra se financer par les recettes de ses utilisateurs et des passagers aériens, sans apport de subvention de l'État et des collectivités locales, dont la capacité de financement doit être entièrement mobilisée sur les projets de transports publics sur les réseaux existants ou en développement.

Ces 30 milliards investis sur un seul territoire suscitent parfois un sentiment anti-parisien. Comment conciliez-vous la nécessité de créer de la richesse là où c'est possible, c'est-à-dire d'abord en Île-de-France, avec l'idée de l'égalité des territoires ?
Opposer Paris à la province n'a aucun sens. Quand l'Île-de-France va bien, c'est l'ensemble de la France qui se porte mieux. Le projet du Nouveau Grand Paris est un projet pour la France. Par ailleurs, je rappelle que les 30 milliards d'euros sont, pour la majeure partie, issus des taxes que paient les Franciliens eux-mêmes. Ils ne pèsent donc pas sur les financements disponibles pour les autres projets d'infrastructure.