Deux ans pour réduire le déficit : pas de quoi mettre vraiment fin à l'austérité en France

Par Ivan Best  |   |  929  mots
Copyright Reuters
La France obtient un délai de deux ans, jusqu'en 2015, pour ramener son déficit public sous les 3% du PIB. Un délai plus important qu'attendu. C'est un vrai ballon d'oxygène pour Bercy, qui pourra afficher un budget 2014 plus crédible. Et sans doute éviter certaines hausses d'impôts. Mais pas question de remettre en cause le sérieux budgétaire, prévient François Hollande

« Olli Rehn, le vrai patron de François Hollande », titrait récemment l'hebdomadaire Le Point. Le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires a prouvé ce vendredi, qu'il pouvait mériter un tel statut : il s'est réservé une annonce de première importance concernant la politique économique française, à savoir que la France obtient un délai de deux ans -jusqu'en 2015- pour ramener ses déficits publics sous les 3% du PIB. De quoi changer sensiblement la donne politique pour l'exécutif. Jusqu'à présent, il était prévu que Paris obtienne un délai d'une seule année, jusqu'en 2014. Ce nouveau report irait-il jusqu'à remettre en cause l'austérité budgétaire, comme le réclament la gauche du PS, et le front de gauche?

Moscovici ne s'avance pas
Ce n'est pas ce que dit Bruxelles, pas plus que le ministre français de l'économie, Pierre Moscovici. Dans un communiqué, il a réagi aux nouvelles prévisions de la commission européenne, mais sans appesantir outre mesure sur le ballon d'oxygène qu'apporte le nouveau délai. Va-t-on remettre en cause ou tout au moins assouplir la politique budgétaire ? Le ministre de l'Economie ne s'avance pas sur ce terrain.
Il évoque simplement une « flexibilité pour le calendrier de retour sous 3% pour mieux prendre en compte les risques sur la conjoncture économique ».
En termes plus concrets, cela signifie que le « programme de stabilité » que vient de transmettre Paris à Bruxelles, et qui prévoyait un déficit public de 3,7% du PIB en 2013, puis de 2,9% en 2014, était soumis à de forts aléas et... n'était pas forcément des plus crédibles.

Bruxelles dénonce l'optimisme français
C'est ce qu'affirme du reste le Olli Rehn : les prévisions du gouvernement français sont "excessivement optimistes", a tranché le commissaire chargé des Affaires économiques, Olli Rehn, ajoutant que "pour ramener le déficit sous les 3%, des efforts beaucoup plus importants et urgents sont nécessaires". C'est pourquoi, "étant donnée la situation économique, il serait raisonnable de prolonger de deux ans le délai" pour revenir dans les clous imposés par la Commission, soit 2015 et non 2014. Bruxelles table sur un déficit public français de 3,9% du PIB en 2013, non loin de la prévision de Bercy, mais, là où Olli Rehn s'écarte de Pierre Moscovici, c'est quand il prévoit sur un déficit aggravé pour 2014 (4,2% de la richesse nationale).
La commission se trompe, suggère fortement Pierre Moscovici: elle n'a pas pris en compte les mesures de redressement prévues pour 2014. Un argumentaire partiellement crédible. Le programme français de stabilité, transmis à Bruxelles, prévoit en effet qu'à politique inchangée (maintien des normes de dépenses, des hausses d'impôt déjà votées) le déficit serait ramené à 3,5% du PIB en 2014. Soit un écart non négligeable avec ce que prévoit Bruxelles (4,2% de déficit), toujours à politique constante.

Un calibrage plus réaliste
En fait, le délai de accordé par Bruxelles va permettre à Bercy de réajuster sa programmation du retour à l'équilibre budgétaire, en la calibrant de façon plus réaliste. Le risque était grand qu'en septembre prochain, le budget 2014, qui devait afficher un retour sous les 3%,  soit fortement contesté pour opmtimisme débridé... Le gouvernement peut désormais éviter cet écueil, en affichant un pour l'an prochain un déficit au dessus des 3%.

En outre, Une partie des hausses d'impôts envisagées pour 2014, destinées à combler la baisse de certaines recettes fiscales (liés à des rendements exceptionnels en 2013 des augmentations de prélèvements obligatoires) pourra être annulé. Pierre Moscovici avait évoqué 6 milliards d'euros de prélèvements en plus en 2014, ce pourrait être moins, compte tenu de la conjoncture encore dégradée.

Bruxelles demande des réformes structurelles, François Hollande approuve
Il ne faut pas s'attendre, pour autant, à un tournant politique majeur. Bruxelles ne lâchera pas de sitôt les rennes de l'austérité. En outre, la France doit mener des « réformes structurelles substantielles en matière de marché du travail, de système de pensions et d'ouverture des marchés" souligne Olli Rehn. En termes plus concrets, il faudra notamment réduire le niveau des retraites, suggère la commission européenne. François Hollande approuve cette orientation: la décision de Bruxelles, selon lui, est une opportunité de mener "des réformes structurelles indispensables pour la croissance" en matière de formation professionnelle, d'innovation, d'investissement ou de réforme des retraites, ainsi qu'il l'a déclaré ce vendredi devant des élus locaux. Pas vraiment l'heure de la distribution des cadeaux...

Hollande: "ne pas se dispenser pas du sérieux budgétaire"

François Hollande n'est donc pas près d'ouvrir les vannes du budget, de remettre en cause la maîtrise des dépenses, et les réductions de postes dans certains ministères, qui vont avec. Il l'a dit très nettement,  ce vendredi soir:  "ce serait une vue de l'esprit" d'imaginer pour autant que la France pourrait se "dispenser du sérieux budgétaire indispensable" parce qu'elle disposerait de "cette souplesse, de cette liberté". Et d'ajouter:"cette capacité, maintenant, qui nous est donnée d'engager notre politique sans avoir une contrainte qui nous empêche d'agir pour la croissance et l'emploi" ne doit pas être une incitation à s'écarter de ces objectifs, a-t-il insisté.
 

 

Les défenseurs, à gauche, d'une grande politique d'investissement au niveau européen n'auront sûrement pas gain de cause. Même si la pression politique va aller s'accentuant.