"Taxes affectées" : ces vrais-faux impôts qui servent à maquiller le budget

Par Ivan Best  |   |  679  mots
Didier MIgaud, premier président de la Cour des comptes, et président du Conseil des prélèvements obligatoires Copyright Reuters
Pour afficher une maîtrise des dépenses de l'Etat, les gouvernements successifs affectent des ressources hors budget à des agences, pour des montants en forte progression : 28 milliards en 2013 (+40% depuis 2007). Une dérive qui se poursuivra en 2014 via l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, qui recevra de nouvelles ressources importantes hors budget. Le Conseil des prélèvements obligatoires, rattaché à la COur des comptes, dénonce ces dispositifs

Derrière des termes technocratiques, peuvent se cacher des réalités toutes simples. Il en va ainsi des « taxes affectées », auxquelles la Conseil des prélèvements obligatoires (rattaché à la Cour des comptes) consacre un rapport, publié ce jeudi. Il s'agit tout simplement d'impôts que perçoivent des agences, autres extensions de l'Etat ou chambres consulaires, pour financer des politiques publiques. Principal intérêt: ces taxes ne passent pas par le budget, ni les dépenses qu'elles financent. Cela permet ainsi d'accroître les dépenses de l'Etat sans le dire, ou d'afficher une diminution plus forte que la réalité, comme on le voit avec le budget 2014, sans que les parlementaires aient vraiment à en discuter. Exemple : la forte baisse de 7% du budget de l'écologie, telle qu'on peut la voir dans les documents publiés par Bercy, et qui a conduit Delphine Batho à la sortie de route, n'est que faciale. Elle tient à une forte de la subvention à l'agence des transports terrestres. Celle-ci ne va pas perdre de l'argent pour autant : la future taxe sur les poids lourds lui sera affectée. En fait, selon le ministre du Budget, les crédits de l'écologie ne baisseront que de 3,4%.

Une technique pour "contourner les contraintes budgétaires" juge le Conseil des prélèvements obligatoires
Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) ne s'y trompe pas, qui dénonce là une technique de « débudgétisation » : « Le recours à la fiscalité affectée s'explique généralement par le souhait de contourner les contraintes budgétaires » écrit-il.

« La norme de dépenses (que se fixent désormais les gouvernements, de tous bords, et qui est de plus en plus rigoureuse, NDLR) , en imposant une contrainte forte sur les crédits du budget général, a ainsi favorisé le développement des taxes affectées et la débudgétisation corrélative de certaines dépenses » soulignent les experts. « Le financement des agences par des taxes plutôt que par des dotations budgétaires, qui sont, quant à elles, prises en compte dans la norme, permet de mieux respecter les engagements budgétaires » ajoutent-ils.

309 taxes affectées

Au total, le CPO a recensé 309 taxes affectées, dont le rendement global atteint 112 milliards d'euros, soit 5,2% du PIB et 13% des prélèvements obligatoires. Si l'on exclut les contributions sociales (CSG...)  somme toute un peu hors sujet, ainsi que les impôts locaux, il reste tout de même 214 taxes affectées à 453 organismes bénéficiaires, pour un total de 28 milliards d'euros. Les agences de l'Etat bénéficient de 14,6 milliards d'euros, les chambres consulaires de 1,9 milliard, et les organismes techniques ou professionnels de 1,4 milliard. Par ailleurs, il existe des dispositifs de solidarité, tels que le fond national d'aide au logement, le fonds national des solidarités actives, qui avec la contribution au service public de l'électricité, perçoivent 10 milliards.

40% de ressources en plus pour les agences de l'Etat, depuis 2007

La fiscalité affectée « a connu un développement intense ces dernières années » souligne le CPO. Ainsi, depuis 2007, les agences de l'Etat ont vu leurs ressources grimper de près de 40%. Cette absence de maîtrise « rend ce mécanisme de financement défavorable aux finances publiques » .

Mettre fin à cette dérive
Il faut donc faire cesser ces mécanismes, affirment les experts. En réintégrant ces dépenses dans le budget. Bien sûr, il faudrait échelonner ce processus. Car il risque de remettre en cause certaines dépenses, une fois celles-ci décidées par les ministères et non par les agences elles mêmes. Pudiquement, le CPO écrit que « le principal enjeu, au-delà des modalités de leur financement, porte sur l'efficience de la politique suivie, parfois sur l'existence même de cette politique ou sur la pertinence de la structure ou de son statut juridique ». Autrement dit, certaines politiques ne sont pas forcément utiles.
Pour les taxes non réintégrées dans le budget dans un premier temps, un système de plafonnement devrait être prévu.