Transparence des élus : non, la France n'est pas à l'avant-garde

Par Mounia Van de Casteele  |   |  1040  mots
Les Sages de la rue Cambon ont approuvé la majorité des lois sur la transparence des élus. Ce qui place la France à l'avant-garde en la matière, selon Alain Vidalies, le ministre en charge des relations avec le Parlement. En fait, ce n'est pas si évident que ça. Explications. (Crédits : Photo AFP)
Les Sages de la rue Cambon ont approuvé la majorité des lois sur la transparence des élus. Ce qui place la France à l'avant-garde en la matière, selon Alain Vidalies, le ministre en charge des Relations avec le Parlement. Pourtant la transparence des parlementaires est déjà de mise ailleurs en Europe et dans le monde.

Les élus à la loupe. Le Conseil constitutionnel a validé l'essentiel des lois sur la transparence de la vie publique mercredi. Ministres et parlementaires français devront désormais publier leurs déclarations d'intérêts et de patrimoines.

Globalement, les juges du Palais Royal ont estimé que "tout ou presque" était constitutionnel dans les textes votés par le parlement le 17 septembre, après le scandale de l'affaire Cahuzac.

Les Sages ont toutefois corrigé certains points. Ainsi les élus ne seront pas obligés de divulguer les activités professionnelles des parents et enfants, au nom du principe du respect de la vie privée. Mais ils devront déclarer celles de leurs conjoints.

Une avancée considérable pour la France...

Un grand pas pour la France en matière de transparence donc. Cette législation "aura des conséquences importantes" et "permettra de réhabiliter la vie politique", s'est d'ailleurs réjoui le chef de l'Etat en Conseil des ministres.

Elle "place la France au premier rang" et "à l'avant-garde" des démocraties en Europe, a assuré pour sa part son ministre des relations avec le Parlement Alain Vidalies.

"A l'avant-garde", vraiment ? Pas si l'on en croit un rapport inédit publié par Transparency International, d'après lequel la France et la Slovénie étaient en 2010 les seuls pays d'Europe dans lesquels les déclarations de patrimoine et les déclarations d'intérêts des parlementaires n'étaient pas (encore) rendues publiques.

Ainsi selon l'étude comparative réalisée par la Commission pour la transparence financière de la vie politique , dans bon nombre de pays, les élus sont déjà sommés de publier leurs déclarations de revenus depuis plusieurs années. Tour d'horizon.

...à la traîne en Europe et dans le monde

En Italie, par exemple, les ministres ainsi que les parlementaires doivent déclarer chaque année leur patrimoine et leurs revenus. Des déclarations que tout citoyen peut consulter, pourvu qu'il soit inscrit sur les listes électorales.

Les conditions sont un peu différentes en Allemagne. Les élus du Bundestag doivent en effet mettre en ligne sur le site Internet du Parlement la déclaration de leurs intérêts financiers et de leurs revenus secondaires si ceux-ci excèdent 10 000 euros par an, ainsi que les dons d'argent et cadeaux si leur montant est supérieur à 5 000 euros par an.

C'est un peu plus opaque en Belgique, dans la mesure où la Cour des comptes recueille les déclarations de patrimoines des principaux élus et hauts fonctionnaires, mais celles-ci restent confidentielles et "conservées sous pli fermé". Et pour ceux qui n'auraient pas déposé leur déclaration, la législation prévoit une amende de 100 à 1.000 euros.

En Croatie, les responsables politiques (le Président de la République, les ministres, les principaux élus des collectivités locales et des agences gouvernementales) sont tenus de publier leur déclaration de patrimoine sur le site de la commission chargée de la prévention des conflits d'intérêts. Celle-ci prévoit des sanctions pour les élus qui manqueraient à leur devoir de transparence.

Le cas de la Suède est particulier. Il n'y a certes aucune règle écrite contraignante,explique Transparency International. Mais les conflits d'intérêts passent mal. Et même si les ministres et responsables incriminés démissionnent,leur image est atteinte à jamais. Il existe donc un principe de déclaration d'intérêts et de patrimoine.

Les ministres et secrétaires d'État doivent fournir une liste de leurs avoirs en action, en droits à la retraite et autres avantages tirés d'un précédent emploi. Cette déclaration n'est pas obligatoire pour les parlementaires, mais la majorité d'entre eux la remplit cependant. Le contrôle se fait par les autres parlementaires ou par la presse.

Car en Suède, le principe de transparence est extrêmement fort, et les journalistes peuvent avoir accès à des données parfois très privées. Comme au Canada, les dirigeants doivent se récuser - ne pas débattre ni voter sur un sujet dans lequel ils ont un conflit d'intérêts - même dans le cas où leur conjoint ou leur enfant serait impliqué.

A Chypre, en revanche, on est loin du compte. Il faut dire que deux commissions sont censées contrôler les déclarations de patrimoine des principaux élus en égard à deux lois votées en 2004. Mais en juin 2008, ces lois ont été jugées contraires à la constitution du pays. Dès lors, aucune déclaration de patrimoine n'a plus été déposée.

Ailleurs aussi, le principe de transparence est bien plus fort qu'en France.

Et ailleurs ? Aux Etats-Unis par exemple, le Président ainsi que les ministres et les parlementaires sont tenus d'établir une déclaration de patrimoine qui est élargie au conjoint et aux enfants mineurs.

Au Canada, la législation est aussi très avancée. Les "titulaires d'une charge publique" doivent déclarer la totalité de leurs biens, dettes, revenus et la liste de leurs activité lors de leur nomination. S'ils possèdent des actifs dont la valeur pourrait être influencée par des décisions politiques (des actions, des obligations,...), ceux-ci sont saisis dans les 120 jours suivant la nomination, puis revendus ou transférés vers un autre actif.

Le pays dispose également d'un commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique, qui peut mener des enquêtes en cas de suspicions. Il a également un pouvoir de sanction, mais la pénalité ne peut dépasser 500 $. Selon Transparency International, le Canada est le pays où les règles vont le plus loin en terme de prévention des conflits d'intérêts.

Mais c'est peut-être en Norvège, que l'on trouve l'un des degrés de transparence les plus élevés. En effet, les feuilles d'imposition de tous les contribuables sont publiées sur Internet, à l'exception des membres de la famille royale. Après avoir opté pour un système de divulgation volontaire pendant près de vingt ans, le principe est devenu obligatoire pour les députés depuis 2009.

Pour aller plus loin: Transparence: pour 3 Français sur 4, les entreprises aussi devraient s'y mettre