Collectivités locales : la Cour des comptes fustige la gestion du personnel

Par Fabien Piliu  |   |  1141  mots
Didier Migaud, le premier président de la Cour des comptes, juge qu'il « il existe des facteurs de déséquilibre résultant d'une progression des dépenses plus rapide que celle des recettes » dans les collectivités locales
Les dépenses de personnel sont dans le viseur de la Cour des comptes. La gestion aléatoire du temps de travail, l'absentéisme parfois important et l'absence de politique salariale claire sont dénoncés.

Ce lundi, la Cour des comptes a dressé un constat assez sévère de la situation des finances locales. Certes, explique le premier rapport réalisé par les Sages de la rue Cambon sur ce sujet particulier, la situation financière d'ensemble des collectivités territoriales est globalement saine. En 2012, leur déficit, qui s'élevait à 3,1 milliards d'euros, soit 0,15 point de PIB demeure peu élevé et la dette locale représentait 9,5 % de l'endettement public.

Pour Didier Migaud, le président de la Cour des comptes,

« il existe cependant des facteurs de déséquilibre résultant d'une progression des dépenses plus rapide que celle des recettes ».

Les dépenses de personnel en ligne de mire

Parmi ces nombreux facteurs, comme la baisse des dotations de l'Etat, l'absence de mutualisation des services ou les dynamiques différentes des ressources fiscales selon les collectivités, l'hétérogénéité des la Cour cite aussi les dépenses de personnel. celles-ci qui représentent environ 35 % des dépenses de fonctionnement des collectivités territoriales et de leurs établissements publics en 2012. Ce pourcentage dépasse 50 % pour les communes. Si une partie de l'augmentation de la masse salariale des collectivités locales (40 % de la hausse de 2012) résulte de mesures législatives et règlementaires prises au plan national, la Cour estime que les décisions propres aux collectivités locales contribuent, pour une large part, à l'augmentation des dépenses de personnel.

Une fonction publique territoriale à la carte

Or, la Cour et ses Chambres régionales ont constaté que ces décisions étaient émaillées de nombreuses « bizarreries ». Florilèges !

 -         La Cour et ses Chambres régionales constatent très fréquemment que les collectivités accordent à leurs agents des avancements à l'ancienneté minimale de façon systématique et sans prendre en compte la valeur professionnelle des agents, comme l'esprit de la loi le prévoit.

-     Les Chambres relèvent l'existence de régimes indemnitaires onéreux et irréguliers, citant le cas des régimes de certains agents de Concarneau (Finistère) et Wambrechies (Nord). Dans le département de Haute-Corse, pas moins de 233 agents bénéficient toujours d'une prime informatique datant de 1991.

-      La Cour constate l'attribution d'une bonification indiciaire à un nombre anormalement élevé d'agents ou l'octroi d'indemnités d'astreintes qui ne trouvent pas d'explication dans l'activité des agents ou qui sont même cumulées avec une bonification indiciaire. « Il en va de même du cumul d'indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires et d'un logement pour nécessité absolue de service ou du paiement de primes à des agents retraités », précise le rapport.      

-         Des cas d'augmentation importante du coût des heures supplémentaires sont relevés, alors même que parfois le contrôle de l'effectivité de ces horaires n'est pas assuré. Dans la commune de Loos (Nord), les heures supplémentaires ont augmenté de plus de 40 % de 2005 à 2010, soit l'équivalent de 7 équivalents temps plein (ETP) en 2009 ainsi qu'à Saint-Brieuc (Côtes-d'Armor (26 ETP en 2009). « Les marges de progrès des collectivités dans la maîtrise du temps de travail de leurs agents sont très importantes », estime la Cour, d'autant plus que nombreuses sont les collectivités où le contrôle automatisé des horaires effectués fait défaut.

-         Fixée par décret à 1.607 heures annuelles, la durée annuelle du temps de travail « est en réalité souvent inférieure à ce volume dans les activités contrôlées récemment par les chambres régionales des comptes, en raison de la multiplication des congés supplémentaires et des autorisation d'absence », avance la Cour qui cite l'exemple de Béziers où une demi-journée de repos est accordée chaque semaine à tous les agents, y compris les cadres, portant la durée annuelle du temps de travail à 1.548 heures.

À Toulouse (Haute-Garonne), en raison de sept à dix jours de congés supplémentaires par agent, ce régime fort ancien entraînait fin 2009 une perte de travail équivalente à 272 ETP pour un coût de 8,6 millions. Un régime très favorable bénéficie aussi au personnel de la communauté urbaine du Grand Toulouse, de création récente, destiné à faciliter le transfert des agents communaux vers la communauté. Ce régime représente en 2009 pour la CUGT un surcoût de 3,2 millions et 86 ETP perdus.

« Une durée du travail inférieure à la durée règlementaire a un coût élevé pour les collectivités car leurs effectifs doivent être plus nombreux pour compenser la perte de travail. Ainsi, pour un temps de travail inférieur de 3 % au temps règlementaire (soit 1 560 heures au lieu de 1 607 heures), il est nécessaire de faire appel à un agent supplémentaire pour 33 agents de la collectivité afin d'obtenir un nombre d'heures de travail équivalent à la durée règlementaire. Le « coût » pour compenser une « perte de temps de travail » de 3 %, dans l'hypothèse où la moitié des collectivités territoriales serait concernée, peut être estimé à 800 millions », estime la Cour.         

-         Les absences pour raison de santé atteignent dans de nombreuses collectivités un niveau élevé par rapport aux autres administrations publiques, sans être totalement expliquée par le profil des agents, c'est-à-dire leur âge ou la nature des emplois exercés. Pour Strasbourg et sa communauté urbaine (Bas-Rhin) les absences pour maladie ordinaire représentaient un coût de 378 ETP en 2010. En Haute-Corse, où la direction des infrastructures des routes et des transports concentre 40 à 50 % des absences pour raison de santé, le coût de l'absentéisme atteignait 4 millions en 2011. La Cour constate que les absences pour congés de maladie ordinaire semblent se stabiliser voir régresser dans le département.

 L'Etat a un rôle à jouer

Selon Didier Migaud,

« la diversité des situations rencontrées limite la portée de recommandations globales, mais les exemples fréquemment relevées par les chambres régionales mettent en évidence les économies importantes qui pourraient résulter d'une gestion plus rigoureuse de dépenses de personnel. L'Etat devrait accompagner cet effort par la limitation des mesures ayant un impact sur la masse salariale du secteur local ».

La Cour formule 23 recommandations

Bien évidemment, améliorer la gestion des dépenses de personnel n'est pas la seule solution envisagée par la Cour des comptes pour éviter que la trajectoire des finances locales ne dérape davantage. Au total, 23 recommandations sont formulées. Pour abaisser par exemple les dépenses de fonctionnement, elle formule plusieurs pistes d'économies chiffrées. Le rapport de la Cour plaide pour une rationalisation du patrimoine immobilier et des dépenses d'entretien, la recherche d'une politique d'achat plus efficiente en ce qui concerne les charges de gestion courante (29,7 milliards) et une meilleure coordination et une rationalisation des interventions économiques des différents niveaux de collectivités (5 milliards).