Ayrault et les illusions du grand soir fiscal

Par Ivan Best  |   |  1389  mots
Le Premier ministre aura bien du mal à mettre en oeuvre une grande réforme fiscale à prélèvements constants.
La grande réforme fiscale annoncée par Jean-Marc Ayrault satisfait une grande partie de la gauche. Elle risque surtout d'alimenter des illusions: une réforme à prélèvements constants relève de la mission impossible.

La gauche du PS applaudit. Enfin, nous l'avons cette grande réforme fiscale, promise par le candidat Hollande pendant sa campagne électorale, mais un peu, et même beaucoup oubliée depuis, dit-on au PS, après l'annonce de Jean-Marc Ayrault de la préparation, dans la concertation, d'une réforme fiscale d'ampleur.

« L'annonce du Premier ministre dans le journal Les Echos va donc dans le bon sens » souligne le mouvement « La Gauche populaire », qui savoure sa victoire : « notre combat en faveur du respect de l'engagement n°14 du Président de la République n'a pas été vain » affirment les élus, dans un communiqué.

 Davantage de progressivité

Secrétaire nationale du PS à l'économie, Karine Berger applaudit également :

« C'est de l'engagement 14 du candidat Hollande dont il est question, permettant la fusion à terme de l'impôt sur le revenu et de la CSG dans le cadre d'un prélèvement simplifié sur le revenu » dit elle dans un communiqué. « Une telle évolution renforcera la justice devant l'impôt, étant donnée que l'assiette de la CSG est plus large que celle de l'IR. Elle permettra davantage de progressivité, rendant ainsi nécessaire une réflexion sur l'augmentation des tranches d'imposition et leur progression. »

Ainsi, il suffisait de la vouloir et de l'annoncer, cette réforme. Pas très difficile, finalement, de satisfaire le peuple de gauche…

 Les doutes de Bercy

Et si le bel enthousiasme suscité par cette annonce était, en fait, gros de désillusions à venir? Et si Jérôme Cahuzac, qui, encore ministre du Budget, annonçait en janvier 2013, devant un intervieweur et quelques millions de téléspectateurs ébahis, que la « réforme fiscale est derrière nous », signifiant ainsi que l'on ne pouvait pas faire plus, avait raison?  De même que Pierre Moscovici, qui assurait récemment sur BFM exclure une « grande réforme » des impôts ?

« C'est la vision du Trésor, celle des technocrates » s'était-on alors offusqué au PS.

 

 Le pari d'une réforme à rendement des impôts constants

Ce doute tient en quatre mots : « A prélèvements obligatoires constants ». Ces mots, associés à l'annonce par Jean-Marc Ayrault sont essentiels. Ils forment un carcan -compréhensible vu l'état des finances publiques- qui bornera nécessairement l'ampleur de ce projet, quelle que soit la -bonne- volonté politique des uns ou des autres.

Au lieu de parler de réforme fiscale, on devrait employer l'expression « transfert de charges », qui décrit mieux la réalité d'une telle opération souligne l'historien Frédéric Tristram. Par cette expression, on entend bien sûr le fait d'alléger l'impôt de certains pour augmenter celui d'autres . L'objectif de simplification évoqué par Jean-Marc Ayrault revient au même : en supprimant des niches fiscales, au nom de cette simplification, on fait payer plus à certains contribuables.

 Les gagnants se taisent, les perdants hurlent au scandale

La réforme envisagée concernant surtout l'impôt sur le revenu et la CSG, les transferts auraient lieu entre particuliers. En général, les bénéficiaires de ce genre de réforme se taisent, tandis que les perdants hurlent au scandale. Pour l'éviter, l'Etat adoucit la facture des perdants, renonçant alors à une partie des recettes fiscales. Une option déjà fermée par Jean-Marc Ayrault, par son expression insistante « à prélèvements obligatoires constants ».

 Les partisans de la grande réforme, qui prendrait la forme, pour l'essentiel, d'une fusion entre l'impôt sur le revenu et la CSG, s'appuient sur les travaux de l'économiste Thomas Piketty, présentés dans son ouvrage « Pour une révolution fiscale », publié en 2011. Ce qui les séduit, c'est la possibilité de redonner du pouvoir d'achat aux salariés les plus modestes, via cette refonte de la fiscalité, cette fameuse progressivité de l'impôt. Il suffrirait donc de suivre les préconisations de Piketty. Il est vrai que la thèse de l'économiste et des co-auteurs ne manque pas d'attraits.

De 18% à.... 136% de hausse d'impôt pour les plus aisés

Pour résumer : en enlevant du pouvoir d'achat à une petite fraction très aisée de la population (moins de 5% des contribuables), au moyen d'un impôt plus progressif,  on peut améliorer le sort de 50% des Français. Un tel « miracle » passerait par la mise en place d'un grand impôt sur le revenu, issu de la fusion de l'IR actuel, de la CSG et de la prime pour l'emploi. Et par une augmentation de l'impôt sur les revenus, qui viserait donc une minorité de riches.

A quelle hauteur ? Selon les annexes du site « Pour une révolution fiscale », l'impôt augmenterait de 18 à... 136% pour ces 5% de contribuables aisés. Ce dernier taux de progression concernerait le millième des contribuables les plus riches (soit 35.000 à 50.000 personnes). La problématique peut se résumer simplement : peut-on taxer les riches encore plus ?

 

 Aller plus loin dans la taxation des "riches"?

Même des économistes comme Henri Sterdyniak (OFCE) en doutent fortement. Avec les mesures prises depuis le début du quinquennat (qui s'ajoutent à la surtaxe de 3 ou 4% instaurée sous Nicolas Sarkozy) « on est allé aussi loin que possible dans la taxation des plus riches à l'impôt sur le revenu. Il n'existe pas de marge supplémentaire » avait-il déclaré à La Tribune.

Et de souligner que les « revenus du capital sont en fait plus taxés, aujourd'hui, que ceux du travail ». De fait, pour les hauts revenus, une tranche d'imposition à 45% a été instaurée, à laquelle s'ajoute à la taxe Sarkozy de 3 ou 4%. Soit un total de 49% au-delà 500.000 euros de revenus. Les revenus du capital supportent en outre des prélèvements sociaux à hauteur de 15,5%.

«On a fait beaucoup, il est difficile d'aller plus loin dans ce domaine de l'imposition des hauts revenus » estimait il y a quelques mois le rapporteur général du Budget, Christian Eckert.

Plus de clarté et de lisibilité

Plus de clarté, à quel prix? L'autre avantage d'une fusion de l'impôt sur le revenu serait de « mettre de la lisibilité dans le système », pour reprendre une expression commune, que Jean-Marc Ayrault semble approuver en mettant en avant la nécessaire simplification du système (« ce qui est très important, c'est de simplifier, de rendre plus efficace, de rendre plus lisible » a déclaré le premier ministre).

Il est certain que la cohabitation de deux impôts sur le revenu (la CSG et l'IR), le premier individuel, proportionnel, et à l'assiette large, le second familialisé, progressif, et avec une assiette minée par les niches, ne facilite pas la compréhension de la fiscalité et du niveau réel d'imposition. Il est tentant d'opter pour le modernisme de la CSG, et de corriger ainsi les défauts d'un impôt sur le revenu dont le rendement reste affecté par l'existence de nombreuses niches. Ce serait donc la CSG qui absorberait l'impôt sur le revenu.

 

De véritables bombes politiques

Mais une telle réforme pose de nombreux problèmes techniques, qui sont autant de bombes politiques potentielles. Si la CSG est gagnante, dans la fusion, le nouvel impôt serait individuel (et non calculé sur l'ensemble des revenus du couple, en cas de mariage ou de PACS). Plus question de quotient conjugal ou familial.

Thomas Piketty et avant lui des hiérarques du PS, comme Martine Aubry, avaient suggéré fortement d'individualiser l'impôt sur le revenu, l'alignant donc sur CSG. L'argument est que l'imposition dans un cadre familial, que le conseil constitutionnel a mise en avant pour censurer la taxe à 75%, serait obsolète, à l'heure des familles recomposées et la plus grande indépendance des femmes.

De gros risques, un gain mal mesuré...

Mais comment assumer l'imposition soudainement accrue des couples mariés, dont l'un des membres ne travaille pas (ou dont les revenus sont plutôt faibles) ? Avec le passage à l'impôt individuel, le plus gros salaire du couple paierait beaucoup plus, sans qu'aucune économie ne soit perçue du côté du conjoint à la faible rémunération. De nombreux couples modestes sont dans ce cas, avait souligné François Hollande, avant d'être investi comme candidat du parti socialiste pour la présidentielle de 2012. Et il avait retoqué l'idée de Martine Aubry d'individualisation. Bref, la fusion IR-CSG soulève de nombreux problèmes, pour un gain encore mal mesuré…