Le programme du Front National au crible (1/5) : paresseux sur l'emploi

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1864  mots
La "préférence nationale" prônée en matière d'emploi par le FN existe déjà en partie dans les faits
Au moment où le Front National vole de record en record dans le sondages, il a semblé opportun à la Tribune de se plonger dans son programme économique histoire de décoder ce qui apparait bien souvent comme des incantations. Des propositions bien souvent approximatives, datées, ou simplement inapplicables. Premier volet de notre série : l'emploi

Dans sa stratégie de conquête du pouvoir et de "dédiabolisation", Marine le Pen accorde une place importante à la question de l'emploi afin de se faire la chantre des victimes de la crise. Un récent sondage de l'Ifop montrait d'ailleurs que le Front national progressait dans les bassins d'emploi ayant connu des fermetures de sites industriels.

 

Et, très souvent, les dirigeants du FN ont renvoyé l'UMP et le PS dos à dos. Les accusant de pratiquer, in fine, la même politique " anti emploi". On s'attendait donc à une vraie rupture à la lecture des propositions anti chômage du Front National. Or, il n'en est rien. Outre bien sûr de nombreuses références à la "préférence nationale", les propositions du FN apparaissent datées ou inabouties.

 

Comment peut-on lutter contre l'omniprésence de l'Etat et, en même temps, revendiquer que ce même Etat pilote tout le dispositif de la formation professionnelle, au détriment des entreprises ? Comment peut-on ignorer, en matière de durée du travail, qu'il est possible de travailler plus de 35 heures par semaine ? Comment peut-on ignorer également qu'un employeur coupable de recourir au travail clandestin est déjà pénalement responsable ? Revue de détail.

 
  •  Durée du travail

 'Afin de ne pas perturber à nouveau grandement le fonctionnement du marché du travail et des conditions d'emploi des salariés dans les entreprises françaises, les lois sur le temps de travail hebdomadaire de 35 heures ne seront pas revues, en revanche la renégociation sera autorisée à la condition qu'elle s'accompagne d'une augmentation proportionnelle du salaire ".

 

       Décryptage.

 

Le mécanisme proposé par le Front National est déjà prévu par le code du Travail. A noter que les 35 heures hebdomadaires légales ne constituent qu'un seuil de déclenchement du mécanisme des heures supplémentaires. L'employeur peut librement, sans même avoir à négocier, fixer une durée hebdomadaire du travail supérieure à 35 heures dès lors qu'il respecte la législation sur la majoration des heures supplémentaires.

 

Ainsi, selon l'Insee, en 2012, la durée hebdomadaire moyenne du travail déclarée par les personnes à temps plein atteignait 41,1 heures. En cas de renégociation d'un accord existant sur les 35 heures, il est bien entendu prévu une " augmentation proportionnelle du salaire". Sauf s'il s'agit d'un accord "maintien de l'emploi", prévu depuis la loi du 14 juin 2013 (elle même issue de l'accord interprofessionnel du 11 janvier de la même année) où, là, un accord majoritaire (signé par des syndicats ayant obtenu 50% des voix aux élections professionnelles) peut prévoir une stabilité des salaires même en cas d'augmentation de la durée du travail. Mais cet accord n'est applicable que deux ans et doit respecter certaines conditions.

 
  • Formation professionnelle

" L'Etat stratège reprendra en main la politique de formation professionnelle et instaurera un véritable service public de la formation tout au long de l'existence (chèque formation) ".

 

     Décryptage

 

La formation professionnelle représente un budget de 31,5 milliards d'euros annuels. Sur ce montant global, l'État en prend à sa charge 4,6 milliards (15%), les régions 4,4 milliards (14%) et Pôle emploi 1,7 milliard (5%). Au total, donc, l'intervention publique représente déjà 34% des dépenses globales. L'État s'occupe essentiellement de la formation des demandeurs d'emploi et de l'apprentissage, via les régions. Il serait étonnant que les entreprises - qui financent 43% de la formation professionnelle - acceptent que la puissance publique se mêle également de la formation de leurs salariés.

 

Lire aussi: "Tout ce que vous voulez savoir (ou presque) sur les revenus, la consommation, les dépenses et le logement des Français"

 
  •  Rôle de Pôle emploi

  "Le fonctionnement de Pôle Emploi sera revu et fera l'objet d'un audit en collaboration avec les représentants des demandeurs d'emploi. Le non respect par un demandeur d'emploi des obligations imposées par Pôle Emploi (obligation de recherche, d'acceptation d'un emploi dans les conditions qui seront définies) sera plus sérieusement vérifié."

 

     Décryptage

 

Depuis deux ans, 4.000 agents supplémentaires ont été recrutés par Pôle emploi pour faire face au nombre croissant de demandeurs d'emploi. En outre, le fonctionnement de l'Agence a été revu de manière a assurer un meilleur suivi des chômeurs les plus éloignés de l'emploi, alors que, à l'inverse, davantage de liberté est accordée aux chômeurs ayant de plus grandes facilités pour retrouver un emploi.

 

En moyenne nationale, un conseiller Pôle emploi suit 116 demandeurs d'emploi. Par ailleurs, légalement, un demandeur d'emploi ne peut pas refuser, sous peine de radiation, plus de deux postes correspondant grosso modo à sa recherche. Il est exact que cette sanction n'est pas toujours appliquée, faute de moyens de contrôle et de polémique sur la définition de 'l'offre valable d'emploi'.

 
  • Aides de l'Etat

" L'emploi des jeunes et des séniors, catégories touchées par des niveaux de chômage particulièrement élevés, sera favorisé dans le cadre de la stratégie de réindustrialisation de la France. Ainsi, les entreprises participant à la reconstruction des filières industrielles, se verront inciter à utiliser les compétences des jeunes issus des filières professionnelles et des séniors injustement exclus prématurément du marché du travail (ingénieurs, ouvriers qualifiés notamment). Afin de montrer l'exemple, l'Etat et les collectivités locales valoriseront l'expérience des séniors et s'engageront, dans la limite qu'impose la prise en compte du critère de la compétence, à réserver une embauche sur trois dans la fonction publique aux personnes de plus de 45 ans issus du secteur privé .

 

    Décryptage

 

En matière d'aides sectorielles, il convient de faire très attention depuis le précédent " Borotra ". En 1996, Franck Borotra, ministre de l'Industrie du gouvernement Juppé avait accordé des aides publiques pour soutenir le secteur du textile-habillement. Un dispositif contesté par la Commission européenne et condamné pour concurrence déloyale par la Cour de justice de Luxembourg.

 

Par ailleurs, toutes les entreprises de France bénéficient déjà d'une réduction dégressive des cotisations sociales pour les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic. Soit un coût annuel pour les finances publiques de 22 milliards d'euros. Sinon, l'idée du recrutement " réservé "dans la fonction publique paraît difficile à mettre en œuvre. D'abord parce que les recrutements dans la fonction publique s'effectuent par concours - on ne peut donc pas réserver des postes - , ensuite parce qu' il existe, justement, une certaine limite d'âge supérieure pour passer ces concours afin d'assurer un déroulement de carrière suffisant.

 
  • Travail clandestin

"Parce qu'il constitue une concurrence déloyale au marché légal du travail, l'emploi de travailleurs clandestins sera très sévèrement sanctionné. L'employeur sera passible de sanctions pénales et de la fermeture administrative de son établissement ".
 

   Décryptage

 

C'est déjà le cas actuellement. Un employeur est pénalement responsable en cas d'emploi de travailleurs clandestins. Et, bien entendu, son établissement peut-être fermé et l'employeur interdit d'activité. De surcroît, avec la réforme de l'inspection du travail annoncée par le ministre du Travail, Michel Sapin, une brigade spécialement dédiée à  la lutte contre le travail clandestin à grande échelle (trafic dépassant le niveau régional) va être instituée au niveau national.

 
  • Préférence nationale pour les recrutements

"Plus généralement, les entreprises se verront inciter à prioriser l'emploi, à compétences égales, des personnes ayant la nationalité française. Afin d'inciter les entreprises à respecter cette pratique de priorité nationale, une loi contraindra Pôle Emploi à proposer, toujours à compétences égales, les emplois disponibles aux demandeurs d'emploi français. Les administrations respecteront également ce principe, et la liste des emplois dits « de souveraineté » sera élargie, notamment dans les secteurs régaliens où les professions seront réservées aux personnes ayant la nationalité française ".

 

   Décryptage

 

Ce n'est peut-être pas très connu mais la France pratique déjà une sorte de "préférence nationale". Un employeur qui souhaite embaucher un salarié extra communautaire doit formuler une demande auprès de la direction départementale des entreprises et du travail (Direccte). Plusieurs éléments sont pris en compte pour accorder ou refuser cette demande, notamment la situation de l'emploi dans la profession et le bassin concernés, au nom de la notion " d'emploi opposable".

 

En d'autres termes, quand un bassin d'emploi ou une profession connaît un taux de chômage important, il est impossible de recruter un salarié étranger. A l'inverse, il est possible de recruter un étranger dans un métier caractérisé par des difficultés de recrutement.

 

Il s'agit des "métiers sous tension", où les entreprises manquent de candidats à l'embauche. Il en existe 30 répertoriés sur des listes régionales (chaque région dispose d'une liste de métiers). Dans d'autres cas, la France peut avoir conclu avec un pays un "accord sur les flux migratoires" qui prévoit une liste de métiers pour lesquels la situation de l'emploi n'est pas opposée aux travailleurs originaires de ce pays. Ainsi, 108 métiers sont ouverts aux ressortissants du Sénégal, 16 pour le Bénin, etc.

 

S'agissant, des ressortissants européens, la libre circulation prévaut. A l'exception des Croates qui ne pourront pas venir "librement" travailler en France avant le 1er janvier 2015. Quant aux Bulgares et au Roumains, ils bénéficient actuellement d'un régime transitoire. Ils peuvent librement s'installer en France pour seulement exercer des métiers spécifiquement autorisés par l'administration.

 
  • Syndicats

 "Une grande réforme des syndicats sera mise en œuvre avec comme objectif principal d'assurer une meilleure représentation des salariés. Le monopole de représentativité institué après la Libération sera supprimé, et les modalités d'élections des représentants des salariés seront revues. Des syndicats plus représentatifs travailleront mieux à la réelle défense des intérêts des salariés : ils seront en effet plus à même d'entrer dans des logiques de concertation constructives et moins tentés de recourir à un rapport de forces (grève, manifestation) pour pallier leur manque de légitimité"

 

   Décryptage

 

Sur ce sujet, le programme du FN est totalement dépassé. Une loi modifiant les critères de représentativité syndicale a été votée en 2008. Elle est applicable depuis 2013. Les 5 confédérations (CGT,CFDT,CFTC,CFE-CGC et FO) ne sont plus représentatives de droit, ni au niveau de l'entreprise, ni au niveau de la branche, ni au niveau national.

 

Seuls, au niveau de l'entreprise, les syndicats (tous les syndicats peuvent se présenter, sous certaines conditions, et pas seulement les "5 grands") ayant dépassé le cap des 10% des voix lors des élections professionnelles peuvent désigner un délégué syndical. Et seuls les syndicats ayant dépassé 8% des voix au niveau national (en agglomérant tous les résultats des élections professionnelles) sont habilités à négocier des accords interprofessionnels.

 

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>>> Lire aussi Les Français et le Front National dans la perspective des élections municipales de 2014

 
 
 

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