Arnaud Montebourg : « La France rassemble ses forces pour préparer l’avenir »

Par Propos recueillis par Philippe Mabille et Fabien Piliu  |   |  2959  mots
Selon Arnaud Montebourg, "la Commission européenne a accumulé trop de pourvoir. Elle doit laisser plus la place à la politique et permettre à l'Europe de mener une vraie stratégie de reconquête industrielle" / DR
Quelle politique industrielle mener dans une époque de croissance faible ? Comment retrouver les 750.000 emplois perdus depuis le début de la crise, à défaut de 2 millions disparus en trente ans de mutation de l’industrie dans la mondialisation ? Arnaud Montebourg explique le contenu de la mobilisation nationale qu’il tente de mettre en œuvre.

LA TRIBUNE - Un an et demi après votre arrivée, quel est le bilan de votre action au ministère du redressement productif ?

ARNAUD MONTEBOURG - Ce ministère a d'abord fait face aux difficultés en agissant comme pompier sur des problèmes urgents ensevelis pendant la campagne électorale. Au total, nous sommes intervenus sur 1075 dossiers et sur les 154.900 emplois concernés par notre action, 139.449 exactement ont été sauvés.

Dans certains cas, 100% des emplois sont préservés, parfois, hélas, les dégâts sociaux sont beaucoup plus importants. Mais nous exigeons toujours que les efforts soient partagés par tous, les actionnaires, les dirigeants, les salariés et les banques.

Faut-il maintenir coûte que coûte des entreprises sous perfusion ?

Nous ne maintenons aucune perfusion. Cette question relève de la mythologie journalistique. Quand il n'y a pas de clients, pas de commandes, pas de repreneurs, il n'y a alors pas de solution et l'entreprise fait définitivement faillite. Les salariés à qui on mentirait se retourneraient contre nous si nous leur faisions croire qu'on peut sauver par des artifices une entreprise. L'Etat n'a pas, je crois, réouvert les Ateliers nationaux pour faire travailler fictivement les gens...

Autre mythologie que je combat, celle des canards boiteux. Cela n'existe pas. Soit une entreprise est condamnée, soit elle peut être sauvée. Notre rôle est d'aider les entreprises qui le peuvent à se restructurer pour qu'elles puissent redevenir rentables et retrouver le chemin de la rentabilité.

Au Montebourg pompier a succédé un Montebourg architecte. Que peut-on attendre des 34 plans de la Nouvelle France industrielle ?

Dés que je suis arrivé, nous avons travaillé sur une nouvelle politique industrielle. L'industrie a perdu 750.000 emplois depuis 2002. Le redressement productif est donc un impératif national. Les 34 plans de la Nouvelle France industrielle montrent qu'il n'est plus possible de distinguer la vieille industrie de la nouvelle économie. Il n'y a pas de secteurs condamnés : il y a des entreprises en croissance dans des secteurs en déclin et d'autres en difficultés dans des secteurs en croissance.

Ces plans s'inscrivent dans une démarche colbertiste et mercantiliste assumée. L'objectif, c'est de monter en gamme et de vendre le plus cher possible le travail national et nos produits fabriqués en France, pour reconquérir peu à peu le terrain perdu et rétablir ainsi l'équilibre de notre balance commerciale. Celle-ci affichait un déficit de 74 milliards d'euros quand nous sommes arrivés au pouvoir ; elle devrait s'élever à 60 milliards cette année. Elle s'améliore donc au rythme de près de 1 milliard par mois. Ce n'est pas si mal en 18 mois…

34 plans d'avenir, n'est-ce pas trop ambitieux ?

Pour les bâtir, nous ne sommes pas partis de zéro. A 80%, ces projets sont remontés du terrain. Ce ne sont pas les projets de l'Etat, mais ceux de la nation et des industriels concernés qui seront pilote de chaque projet.

Certes, pour catalyser l'investissement privé, l'Etat va mobiliser 3,75 milliards d'euros du programme d'investissement d'avenir, qui s'ajouteront aux 6 milliards annuels de défiscalisation par le crédit impôt recherche. Mais le rôle de l'Etat est avant tout politique. Il est là pour aider les entreprises à se mettre d'accord et à coordonner l'action sans disperser les moyens.

Cela a été un travail de titan que de créer du consensus autour de ces projets. Nous avons concentré nos moyens et nos forces sur nos points forts avec des projets concrets qui pourront déboucher rapidement. Si on en a choisi 34 c'est qu'on les pense tous bons, meme si nous savons que nous n'aurons pas forcement 34 tirs au but.

Vous voulez favoriser les relocalisations. Que peut-on espérer ?

J'ai reçu depuis 3 mois une quarantaine de dossiers d'entreprises ayant des projets de retour en France. Ils commencent à percevoir les coûts cachés des délocalisations. Il y a des entreprises qui reviennent en France parce qu'elles commencent à voir que la base nationale redevient attractive. Si toutes les entreprises ayant délocalisé tout ou partie de leur appareil de production testaient le logiciel Colbert 2.0, le mouvement serait encore plus fort.

L'Amérique se réindustrialise. C'est un bon modèle à suivre ?

S'il y a un modèle, il est clairement américain. Aux Etats-Unis comme en France, la part de l'industrie a perdu 10 points de PIB en trente ans. L'Amérique, pourtant à l'origine de la crise des subprimes, a su trouver les leviers et les conditions nécessaires pour rebondir - 3 points de réindustrialisation en 3 ans - par une politique industrielle cohérente qui fait revenir les entreprises.

Le projet « American Manufacturing » porté par le président Barack Obama est un enjeu national qui fait l'unanimité. Il fait appel à des armes extrêmement puissantes qui ont permis de réduire de façon très significative les coûts de production de l'industrie américaine. Le coût du travail rapporté à la productivité a baissé, grâce à une monnaie bon marché. Si la BCE avait en Europe une politique aussi pragmatique que la Réserve fédérale, nous n'en serions pas là.

Autre différence avec nous, les Etats-Unis assument un protectionnisme tous azimuts, puissant et décomplexé. Enfin, le pays s'appuie sur un avantage comparatif, l'exploitation des gaz de schiste qui ont fait baisser très fortement les coûts de l'énergie et permis à des industries traditionnelles comme la chimie de retrouver des marges élevés sur le sol américain.


A ce propos, la réforme du code minier sera-t-elle une occasion de relancer l'exploration des gaz et pétrole de schiste en France ?

Ce n'est pas cela qui résoudra le problème puisque c'est une loi de 2011 votée par la précédente majorité qui a fixé le cadre de l'interdiction de l'exploitation du gaz de schiste en France, loi confirmée récemment par le conseil constitutionnel.

Ma position est invariante : je crois qu'il faut nous autoriser l'exploration afin de tester des technologies d'extraction absolument non polluantes. Il ne faut d'ailleurs pas mésinterpréter le principe de précaution. Il ne s'agit pas de dire : « j'ai peur donc j'arrête tout », mais « j'ai peur, donc je vérifie que j'ai de bonnes raisons et s'il n'y en a pas, j'avance ».

Le principe de précaution est d'abord un principe de vérification. Ne pas explorer de nouvelles technologies ne respecte donc pas le principe de précaution. J'ajoute qu'un pays ne peut pas vivre avec des peurs en permanence. Un grand pays comme la France doit vivre avec la passion de l'avenir et le désir du futur, non pas sa crainte.

La France, comme de nombreux pays occidentaux, voit son salut par l'innovation. Pour vous, c'est quoi, innover ?

C'est la capacité pour une nation de se réinventer et de changer concrètement la vie en société. C'est pour cela qu'il faut une industrie forte, car celle-ci concentre l'innovation, la R&D, l'investissement, le progrès technique, autant d'ingrédients indispensables pour relever notre croissance. L'innovation, c'est aussi un moyen pour un pays d'être libre. Innover, c'est se libérer des choix des autres dont nous serions dépendants, c'est ne pas être soumis aux normes, aux brevets et aux inventions des autres.

Tout autant que de ne pas être soumis aux exigences des marchés financiers, c'est un enjeu de souveraineté. Je me suis rendu il y a quinze jours à Boston au Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui, dans une étude (« Production in the Innovation Economy ») dirigée par le professeur Suzanne Berger, a montré que l'industrie est un vecteur de croissance pour l'innovation qui irrigue toute l'économie.

C'est ce projet là que je porte avec les 34 plans de la nouvelle France industrielle. J'ai dit aux Américains que la France est en train de se réinventer. Nos 34 plans industriels sont le point de convergence de tous nos efforts, de rencontre entre toutes les forces productives : avec ses chercheurs, ses ingénieurs, ses designers, ses travailleurs et ses entrepreneurs, la France rassemble ses forces pour préparer l'avenir et y prendre toute sa part. J'ai dit aussi que la France est prête à nouer des alliances mondiales et pas seulement européennes. Notre souhait est maintenant de nous déployer dans la mondialisation.

Le président de LVMH, Bernard Arnault vient de rendre hommage à votre action et de vous assurer du soutien d'une partie du patronat, « aussi curieux que cela paraisse », a-t-il souligné. Cela vous encourage ?

Aussi curieux que cela vous semble, j'ai le soutien de tous ceux qui défendent de façon patriotique l'outil de travail national : les syndicats, les citoyens et le patronat sont derrière moi quand il s'agit de défendre les savoir-faire de l'industrie française. Je n'aurais pas au contraire bonne presse chez les financiers et les banquiers ? Cela vaut à mes yeux toutes les Légions d'Honneur !

Louis Gallois a été très dur sur les règles de concurrence appliquées à Bruxelles. Ce combat est-il le vôtre ?

Oui, la commission doit réviser sa doctrine intégriste sur les aides d'Etat. Ces règles sont aujourd'hui obsolètes. Elles ont eu leur utilité lorsqu'il s'agissait de faire converger les pays européens entre eux. Mais elles sont contre-productives dans un monde où la concurrence se joue désormais à l'extérieur de nos frontières.

Si à chaque fois qu'on propose une aide à l'innovation, la commission l'interdit parce que c'est une aide d'Etat, l'Europe se désarme elle-même un peu plus dans une compétition mondiale où des géants comme les Etats-Unis, la Chine ou l'Inde n'ont ni ces règles stupides ni ces états d'âme. Il faut inventer de nouvelles règles adaptées à une Europe plus offensive et moins naïve à l'extérieur de ses frontières. La proposition de Louis Gallois consistant à donner au conseil des chef d'Etat et de gouvernement et non pas à la commission le pouvoir de décision me paraît être de simple bon sens. Ce sont des décisions de nature politique qui doivent être traitées au niveau politique.

La commission européenne a accumulé trop de pouvoirs. Elle doit laisser plus de place à la politique et permettre à l'Europe de mener une vraie stratégie de reconquête industrielle, seul moyen pour elle de peser à nouveau sur le monde, de construire l'avenir des générations futures et de se réconcilier avec les peuples.

Les entreprises réclament une pause fiscale. Que leur répondez-vous ?

Que les entreprises n'ont pas à se plaindre de ce gouvernement. Avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi [CICE], 20 milliards ont été mis sur la table pour alléger leur masse salariale. Il n'y a aucune conditionnalite quant à l'usage de ces sommes autre que d'en discuter l'usage avec les partenaires sociaux. Quelle marque de confiance ! Par ailleurs, le gouvernement s'est engagé à ne pas modifier pendant la durée du quinquennat cinq dispositifs importants, comme l'ISF PME, le crédit impôt recherche ou le statut de jeune entreprise innovante.

Le débat fiscal actuel porte sur la performance de notre économie. Il est difficile parce que l'Europe nous adresse des injonctions contradictoires : baisser les déficits à marche forcée et résoudre en même temps les problèmes de compétitivité. La France s'efforce de trouver le bon équilibre en menant une fiscalité pour la compétitivité et l'innovation. Mais on ne peut pas demander aux ménages de supporter tous les efforts de désendettement, au risque de casser la demande intérieure et donc les espoirs de reprise sur laquelle comptent les entreprises pour investir et créer des emplois.

Avez-vous parfois regretté les propos que vous avez tenu sur la famille Peugeot ou le groupe Mittal, qui ont pu choquer les investisseurs étrangers ?

Qu'ai je donc dit de si dérangeant ? J'ai dit qu'il y a une responsabilité de l'actionnaire dans les difficultés actuelles de PSA qui emploie 100.000 salariés en France et que ce sont quand même les contribuables français qui sont appelés à la rescousse quand l'Etat apporte sa garantie à PSA Finance à hauteur de 7 milliards d'euros. L'Etat doit donc payer et n'aurait que le droit que de se taire ? Ce sont nos impôts qui sont en jeu pour aider des actionnaires privés.

S'agissant de Mittal, je voudrais juste rappeler quelques faits. Lakshmi Mittal a racheté, via une OPA hostile, Arcelor, une entreprise déjà renflouée plusieurs fois par les contribuables français, belge et luxembourgeois. Pour cela, il s'est endetté dans le cadre d'un LBO concocté par Goldman Sachs. Et pour rembourser une dette excessive, Mittal serait libre de fermer ses usines en Europe ? Même la commission européenne a été très dure avec ce groupe. L'Algérie a nationalisé ses installations et la Belgique s'est refusée à ses solutions. Aujourd'hui, que constate-t-on ? Le cycle de l'acier est en train de se retourner avec la reprise de la croissance. Mittal, qui a justifié ses restructurations par l'existence de surcapacités dans l'acier européen, se félicite aujourd'hui de voir que les prix sont en train de remonter. Peut-être va-t-on finir par se rendre compte que le ministère du redressement productif a eu raison de hausser le ton et de s'opposer à la fermeture de Florange.

L'acier européen a-t-il encore un avenir ?

C'est le cœur de notre industrie. Comment faire des avions, des immeubles des voitures sans acier ? Je ne vois pas pourquoi nous devrions nous soumettre aux prix et à la qualité des aciers non européens. Notre industrie sidérurgique n'est pas en cause pour sa qualité mais au contraire parce qu'un groupe comme Mittal délaisse les outils industriels qu'il a racheté. Je ne regrette donc rien sauf de ne pas avoir convaincu de nationaliser Florange. Ce sujet demeure d'ailleurs posé, si Mr Mittal ne respecte pas ses engagements. Quand on a nationalisé les banques dans toute l'Europe, tout le monde a été d'accord, mais que la France ait envisagé de nationaliser une aciérie, cela a fait scandale.

Dans le monde actuel, la nationalisation une arme banale. Le Japon vient de le faire pour une usine de semi-conducteurs valant 1 milliard. Les Etats-Unis n'ont pas hésité à nationaliser temporairement General Motors. Ce ne sont pourtant pas des pays bolcheviks…

Sur l'austérité, le discours a commencé à changer en Europe…

Oui et la France n'y est pas pour rien. Cela fait des années que des prix Nobel d'Economie comme Joseph Stiglitz jusqu'aux experts du FMI ou de l'OCDE, tous les esprits lucides expliquent que l'austérité aveugle ne marche pas. On est à un tournant. La commission européenne vient de se réveiller en ouvrant une procédure sur les excédents allemands qui, par habitant, sont plus élevés que les excédents chinois. L'accord de coalition entre la CDU-CSU et le SPD pour créer le salaire minimum en Allemagne est aussi une bonne nouvelle pour les travailleurs allemands et pour les partenaires de l'Allemagne alors que ce pays a mené en Europe une concurrence déloyale.

Vous vous êtres insurgés contre le racket au CICE. Le phénomène s'est-il apaisé ?

Je n'ai pas l'impression. Dans tous les secteurs, et quelle que soit la taille de l'entreprise, des comportements déviants me sont encore signalés. Certains dirigeants, notamment de grands groupes, devront venir me donner ici, au ministère, des explications. Mais je ne veux pas céder à la tentation du « name dropping »…

Une enquête de la médiation inter-entreprises indique que les délais de paiement continuent d'augmenter.

Cette absence manifeste de solidarité entre les grandes et les petites entreprises est inadmissible. Si la situation ne change pas, le gouvernement devra légiférer. Et je suis aussi inquiet du manque de patriotisme des grands groupes dans leur politique d'achat : en Allemagne, ou au Japon, les PME bénéficient très largement des achats des grands groupes, quand les achats du CAC 40 ne représentent que 16% des contrats passés aux PME. C'est inadmissible alors que les consommateurs et les petits producteurs jouent le jeu du made in France.

Comment faire en sorte que les 200 milliards d'euros de la commande publique profitent plus aux TPE et aux PME ?

Je demande aux acheteurs publics de réécrire leur cahier des charges et de modifier leurs comportements. Il est inconcevable que la commande publique ne soit pas un levier de développement pour nos entreprises. J'ai convoqué le directeur de l'Union des groupements d'achats publics (UGAP). Il devra m'expliquer les raisons de cette défaillance.


Retrouvez notre dossier complet sur la réindustrialisation de la France demain dans La Tribune Hebdo.

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