Une inflexion du chômage, oui, une baisse significative, non !

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1026  mots
L'inflexion du chômage risque d'être légère, faute de créations d'emplois suffisantes dans le secteur marchand (Crédits : © 2009 Thomson Reuters)
A peine la baisse de 0,6% du chômage en octobre connue, l’Élysée a parlé du début d'inversement de la courbe du chômage. Mais les réserves de productivité des entreprises, les faibles créations d'emplois attendues dans le secteur marchand et la croissance molle nous disent que la partie est loin d'être gagnée.

"L'inversion de la courbe du chômage est désormais amorcée"… Jeudi 28 novembre, quelques minutes après la publication des données sur le nombre des demandeurs d'emploi au mois d'octobre, François Hollande faisait publier ce communiqué criant victoire. Est-ce bien prudent,? Le palais de l'Elysée n'a t-il pas confondu vitesse et précipitation, au risque de se prendre un effet boomerang si jamais la courbe repartait à la hausse ?

Alors, certes, François Hollande se devait de corriger rapidement le flou de sa communication du matin. Certes, également, le Président a raison : le nombre des demandeurs d'emploi inscrits en catégorie " A " a diminué de 20.500 (- 0,6%) sur un mois. Mais d'ici à dire que l'inflexion de la courbe a commencé, il y a sans doute un pas à ne pas franchir trop vite. Et ce pour de multiples raisons.

La baisse du chômage concerne essentiellement les jeunes

D'abord, la diminution du chômage concerne essentiellement les jeunes de moins de 25 ans (-2,3% sur un mois et -4,5% depuis six mois, soit 25.100 personnes). On ne peut que s'en réjouir. C'est le résultat de la politique massive des contrats aidés. Mais c'est un peut court. Le noyau dur des chômeurs - la tranche d'âge 25/49 ans - est, lui, à peine affecté par ce reflux, avec une faible baisse de 0,5% ce mois ci. Et que dire alors du dramatique niveau de chômage des "seniors" de plus de cinquante ans, encore en progression de 0,3 % en octobre et de… 11,3% sur un an.

Quant à l'ancienneté dans le chômage, elle continue aussi de s'aggraver, avec plus de deux millions de demandeurs d'emploi inscrits depuis plus d'un an, en hausse de 14,6% en un an. Des données pas franchement roses qui montrent que le combat vers l'emploi va encore être long, très long.

Et ce d'autant plus que les perspectives macroéconomiques ne sont pas franchement favorables à une diminution drastique du chômage.

Les entreprises ont des réserves de productivité

Selon plusieurs économistes, malgré la flopée de plans sociaux, les entreprises auraient pu avoir la main encore plus lourde en matière de licenciements. L'OFCE estime ainsi que ce sont 250.000 emplois supplémentaires qui auraient pu être détruits depuis cinq ans. Et, régulièrement, dans les enquêtes de conjoncture réalisées par l'Insee auprès des entreprises, celles-ci répondent en masse qu'elles pourraient produire plus sans recruter, possédant de grosses réserves de productivité.

Concrètement, cela signifie qu'en cas d'accélération de la croissance - pour l'instant celle-ci est estimée aux alentours de 1% pour 2014 - les entreprises pourront faire face… sans recruter, quitte à recourir aux heures supplémentaires. Se produirait alors le  fameux scénario redouté de la croissance sans emploi.

Le coup de frein à l'enrichissement de la croissance en emplois

Par ailleurs, le gouvernement risque d'être confronté à une autre difficulté : la nette décrue de ce que l'on appelait "l'enrichissement de la croissance en emplois". Un expression qui signifiait il y a encore une dizaine d'années que l'économie réussissait à créer des emplois malgré un taux de croissance relativement faible.

Ainsi, dans les années 1990, on estimait encore qu'il fallait 2% de croissance pour créer des emplois. Puis ce taux nécessaire est progressivement descendu vers 1,2% dans les années 2000. Pourquoi ? En premier lieu en raison de la tertiarisation galopante de l'économie où la productivité est moindre et qui nécessite donc de la main d'œuvre. Ensuite, les mécanismes de réduction du temps de travail, assortis à des dispositifs d'allègements des cotisations sociales, ont incité les entreprises à recruter.

Enfin, le développement du temps partiel a aussi joué son rôle. Mais cet effet "enrichissement en emplois " est limité dans le temps. Il semble inconcevable maintenant d'imaginer que des emplois seront créés en masse dans le secteur marchand avec une croissance ne dépassant pas 1%, même si le fameux "coût du travail" est abaissé et même en comptant sur les bienfaits du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE). Les entreprises risquent de vouloir avant tout privilégier leurs gains de productivité.

La population active devrait croitre de 110.000 personnes en 2014

En 2013, selon l'Insee ce sont environ 100.000 emplois qui auront été perdus dans le secteur manufacturier. Où en serons nous l'année prochaine ? On ne sait pas encore vraiment, même si l'Insee table sur une reprise des créations d'emplois dès la fin 2013. Certes, mais la population active devrait "naturellement" progresser d'au moins 110.000 nouvelles personnes qui vont arriver sur le marché du travail.  Il faudra autant de créations d'emplois pour absorber cet afflux. Ce n'est pas gagné !

Sauf à développer à outrance des emplois à temps partiel très réduit. On assistera alors à l'explosion des " working poors " (travailleurs pauvres) - il y a déjà des prémices - rencontrés dans les pays anglo-saxons.

Lire aussi: "Les contrats aidés facilitent l'insertion"

380.000 contrats aidés budgétés

C'est là où la politique du gouvernement en faveur des contrats aidés prend tout son sens pour pallier le manque de créations de postes spontanées. Dans son budget pour 2014, le ministère du Travail a prévu le financement d'environ 380.000 contrats aidés. Il faut aussi ajouter 50.000 nouveaux emplois d'avenir. Au total, si on les additionne avec ceux créés en 2013, il y aura 150.000 emplois d'avenir d'une durée de trois ans. Ce sont ainsi 3 milliards d'euros qui sont mobilisés pour financer ces contrats.

Le jeu en vaut la chandelle. Cette manne devrait en effet permettre de contenir le chômage, voire de le faire légèrement reculer de façon durable. Ce qui permettra à François Hollande de pouvoir affirmer qu'il a tenu son objectif. Mais, sur le moyen terme, tant que l'on aura pas retrouvé un taux de croissance suffisant, il ne faut se faire aucune illusion : il n'y aura pas une inversion drastique de la courbe du chômage. Juste une légère inflexion… En attendant des jours meilleurs, sans doute en 2015, sauf accident, si l'on en croit le FMI.