Matthieu Pigasse dénonce "le triomphe de la France des ronds points"

Par latribune.fr  |   |  598  mots
"Souvenons-nous de la gauche au pouvoir il y a trente ans. La France s'était alors engagée dans une politique de désinflation compétitive," se souvient Matthieu Pigasse avec nostalgie dans un texte au vitriol à l'adresse de François Hollande. (¨Photo : Reuters)
Le banquier d'affaires et actionnaire du Monde, réputé à gauche, dénonce dans un texte au vitriol l'incapacité de François Hollande à réformer la France. Pour lui, il en va pourtant de la sauvegarde de notre système démocratique.

Le moins que l'on puisse dire, c'est que Matthieu Pigasse en veut au président de la République. Dans "Éloge de l'anormalité" (Plon), le banquier de gauche à la tête de la banque Lazard et coactionnaire du Monde démonte d'une plume acérée l'(in)action de François Hollande. En voici quelques extraits publiés par les Echos.

"La normalité est devenue le déguisement de la passivité. Quand on est normal, on ne fait pas grand-chose parce qu'on ne peut pas grand-chose. On ne va pas déplacer des montagnes, ni soulever des océans, ni remuer ciel et terre. Impossible ! On est normal", s'indigne Matthieu Pigasse, qui déplore l'absence de cap fixé par le président de la République. Pourtant, "'le courage est la première de toutes les vertus politique', disait Hannah Arendt", rappelle-t-il.

Absence de projet économique

Son premier sujet d'agacement est sans surprise l'économie: "quels sont nos objectifs et les moyens mis en œuvre pour les atteindre?" s'interroge-t-il. "Cherchez, vous ne trouverez pas," tranche-t-il. Nostalgique de la gauche des années 1980, Matthieu Pigasse prend en exemple le tournant de la rigueur auquel s'était astreint François Mitterrand en 1983.

"Souvenons-nous de la gauche au pouvoir il y a trente ans. La France s'était alors engagée dans une politique de désinflation compétitive. Deux mots, un slogan, assumés par un gouvernement de gauche, et une mise en œuvre déterminée. Les oppositions étaient violentes, les critiques féroces, les procureurs nombreux, mais les hommes de gauche qui étaient aux commandes ont tenu le cap".

Le banquier critique le "triomphe de la France des ronds points, celle qui tourne en rond". "Six milliards d'euros engloutis chaque année dans les ronds points", s'indigne-t-il encore, dont "deux sont consacrés à la seule décoration".

Pas de potentiel de croissance

"Quel dirigeant politique osera le dire ? Notre potentiel de croissance est durablement nul. Aucune des composantes de la croissance n'est aujourd'hui présente ni disponible. Notre modèle de croissance est en réalité cassé depuis les années 1980, mais nous nous le sommes caché à nous-mêmes pendant vingt ans."

Le message à l'adresse de François Hollande est sans équivoque: la France aurait confondu dette et pouvoir d'achat pour se voiler la face. La fin de l'illusion devrait permettre, selon lui, de s'intéresser au vrai problème: la productivité.

Non seulement notre population ne croît plus, mais elle ne parvient plus à produire mieux et plus efficacement. Ce n'est plus la division du travail qui peut apporter des gains de productivité, mais d'autres facteurs: la durée du travail, le niveau de formation de la population, l'effort d'innovation. Ces trois facteurs jouent cependant aujourd'hui négativement.

Pour lui, "le contraste entre la réalité et les discours est frappant".

La démocratie n'est pas garantie

"Ce qui est en cause aujourd'hui, c'est l'existence même de notre système démocratique," affirme Matthieu Pigasse. La faute à "l'incapacité à faire face à la crise, à lutter contre la pauvreté et le chômage, la croissance explosive des inégalités, la dégradation continue des grandes infrastructures, la recherche du profit immédiat, la médiocrité des dirigeants, leur manque de souffle, de vision, d'ambition, les scandales à répétition (et à) l'absence de grand dessein collectif".

Enfin, le patron de la banque Lazard conclut :

"Nous vivons des temps de crise, exceptionnels de gravité. 'Notre monde n'a pas besoin d'âmes tièdes, il a besoin de cœurs brûlants (Camus)'. Chassons la normalité, renouons avec l'exceptionnel."