Pourquoi les hôpitaux sont-ils dans une situation financière critique ?

Par Fabien Piliu  |   |  1059  mots
L'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) est endettée à hauteur de 2,3 milliards d’euros,
Un rapport de la Cour des comptes s’alarme du niveau d’endettement des hôpitaux publics, jugé critique. Leur dette a triplé au cours des dix dernières années.

Moderniser, moderniser, il en restera toujours quelques chose. De la mauvaise dette, aurait pu prolonger la Cour des comptes qui, dans un rapport des Sages de la rue Cambon s'émeut du triplement de la dette à moyen et long terme des établissements publics de santé (EPS).

Celle-ci atteignait 29,3 milliards d'euros à la fin 2012, soit 1,4 % du produit intérieur brut (PIB) de la France, contre 9,8 milliards d'euros en 2003. "Cette évolution s'est répercutée dans la dette publique notifiée à la Commission européenne, dont la dette hospitalière constitue l'une des composantes ", explique la Cour.  En intégrant les 3 milliards des établissements de santé privés d'intérêt collectif (Espic), la dette hospitalière globale grimpe à 32,4 milliards d'euros à la fin 2012, soit 1,6 % du PIB.

Un niveau d'endettement jugé critique

" Elle représentait 17 % de celle des administrations publiques locales au sens de l'Insee en 2012, contre 9 % en 2012 ", souligne la Cour des comptes. Plus que le stock, c'est le flux qui inquiète l'institution. Pour la Cour des comptes, le niveau d'endettement des hôpitaux est devenu « critique », malgré la baisse des taux d'intérêt et l'allongement de la durée des crédits qui ont en partie atténué l'effet de la hausse de l'encours de dette sur les charges d'exploitation des hôpitaux.

Comment en est-on arrivé là ?

Cette dégradation brutale de la situation financière des hôpitaux trouve son origine dans la mise en place des deux plans nationaux de soutien à l'investissement hospitalier, Hôpital 2007 et Hôpital 2012 qui ont privilégié le recours à l'emprunt par rapport aux aides en capital dans des proportions qui se sont accrues au fur et à mesure que le nombre et le montant des opérations retenues dépassaient les objectifs initiaux.

Ainsi, précise la cour, le recours à l'endettement a représenté près du tiers des moyens mobilisés par les établissements pour financer leurs investissements sur la période 2003-12.

A cette défaillance de la tutelle s'est ajoutée de la part des gestionnaires hospitaliers, "une vision exagérément optimiste de l'accroissement d'activité des établissements et de sa traduction en termes de recettes dans le système de la tarification à l'activité, ce qui a faussé les perspectives de financement." Le plan " Hôpital 2007 " prévoyait notamment de "moderniser les structures hospitalières en accordant davantage de confiance à la capacité de décision de leurs responsables"… Quant au plan " Hôpital 2012 ", il prévoyait un programme d'investissement privilégiant l'efficience hospitalière et des modalités de financement adaptées.

Les comptes de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), dans le rouge foncé

Une vingtaine d'établissement affichent des comptes particulièrement dégradés. Selon la Cour, qui se base sur les données de l'Agence technique de l'information sur l'hospitalisation (Atih), l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), endettée à hauteur de 2,3 milliards d'euros, les Hospices civils de Lyon (HCL, 891 millions), et l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille (AP-HM, 884 millions) sont les établissements les plus endettés de France. Parmi les centres hospitaliers universitaires (CHU) ou centres hospitaliers régionaux (CHR) reliés aux universités, les taux d'endettement les plus élevés ont été relevés au CHU d'Amiens, au CHR de Metz-Thionville, et le CHU de Dijon.

Les banques se méfient

Malgré les interventions de la Caisse des dépôts, la Banque européenne d'investissement et de l'Agence française de développement qui ont pris le relais de Dexia, qui était le partenaire financier privilégié des hôpitaux. "Certains établissements de santé sont proches de la rupture de trésorerie", relève la Cour car, fragilisées par la crise financière, les banques rechignent à leur accorder ou à renouveler de nouvelles lignes de crédit de court terme. Quand elles n'ont pas baissé les plafonds d'emprunt.

La crise des subrprime n'est pas achevée

Dans les pires de cas, les établissements doivent composer avec les des emprunts dits toxiques, ou risqués, qui représentaient fin 2012 2,5 milliard d'euros, soit 9 % de l'encours total de dette. Certains hôpitaux se retrouvent coincés avec des contrats qui prévoient des majorations de taux d'intérêt. Tentant de se sortir de l'ornière, plusieurs établissements ont d'ailleurs attaqué leurs banques en justice.

Pour trouver une solution à ce problème, Frédéric Valletoux, le président de la Fédération hospitalière de France, qui devait rencontrer Bernard Cazeneuve, le ministre du Budget, juste avant que le ministère de l'Intérieur lui soit confié, espère être reçu à Bercy. Dans un courrier adressé à Bernard Cazeneuve, Frédéric Valletoux rappelait que " ces emprunts représentent près d'un quart de la dette des hôpitaux ". " Cette situation a été générée par les différents plans de relance de l'investissement hospitalier encouragés, alors, par les autorités de tutelle, peu vigilantes sur les risques que pouvaient représenter ce type de financement. Compte-tenu de cette situation, la FHF estime que les sommes en cause et les risques pris par les établissements devant la carence des pouvoirs publics vont très rapidement hypothéquer les ressources à consacrer aux soins et par voie de conséquence leur qualité. Nous ne pouvons l'accepter. (…) Les sommes en cause sont importantes puisqu'il s'agit d'environ 1 milliard d'euros dont les « coûts de sortie » sont évalués à plus de 3 milliards d'euros », poursuivait-il.

Les recommandations de la Cour 

Pour stabiliser la dette hospitalière à l'horizon 2015, la Cour des comptes estime que les « principes décidés au niveau national doivent être appliqués avec une rigueur absolue. » Elle propose notamment des mesures d'encadrement du recours à l'emprunt et la révision des modalités de soutien aux hôpitaux en privilégiant les aides en capital par rapport aux aides à l'endettement à la fixation d'un taux de marge brute d'exploitation aux établissements souhaitant mener à bien un projet d'investissement.

La cour propose aussi d'étendre à l'ensemble des établissements publics de santé l'obligation de construire un plan prévisionnel de trésorerie sur six mois glissants et de permettre l'expérimentation par les trois plus grands centres hospitaliers régionaux (CHU, AP-HP, HCL et AP-HM) de l'émission de billets de trésorerie.

Elle également de réserver le financement des investissements par l'emprunt exclusivement aux projets permettant aux établissements publics de santé d'atteindre un taux de marge d'au moins 8 %.