Colbertiste, dissuasif... le "décret Alstom" vu par la presse étrangère

Par MT  |   |  840  mots
Arnaud Montebourg a défendu son décret comme un signe de la fin du "laisser-faire". (Photo Reuters)
Le décret promulgué le 15 mai visant à protéger les intérêts français en imposant l'aval du gouvernement en cas de tentative d'acquisition d'une entreprise jugée stratégique par des investisseurs étrangers est analysé en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis comme un moyen de peser sur les négociations entre Alstom et les groupes qui convoitent son activité dans l'énergie (General Electric et Siemens).

Un même constat partagé quasiment partout. Le décret français promulgué le 15 mai par Paris est un moyen d'entrer de force dans les négociations sur l'achat de la branche énergie d'Alstom convoité par l'américain General Electric et l'allemand Siemens.

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Les médias américains retiennent bien sûr la comparaison dressée par Arnaud Montebourg entre cette décision et les pouvoirs du Comité sur les investissements étrangers qui conseillent le Bureau Ovale sur des transactions entre des compagnies américaines jugées stratégiques et des investisseurs étrangers. Tandis qu'outre-Manche, ce cas fait écho au grand sujet de débat national du moment: le projet d'acquisition du laboratoire AstraZeneca par l'américain Pfizer. Outre-Rhin, les "milieux d'affaires" seraient ravis. Revue de presse. 

  • Wall Street Journal : "jeu d'échecs entre les dirigeants de GE et Alstom"

Le journal financier décrit Arnaud Montebourg comme un "défenseur du nationalisme économique français coincé dans un jeu d'échecs entre les dirigeants de GE et Alstom". Il ajoute que la "position de Paris réveille les inquiétudes concernant le fait que le protectionnisme montre à nouveau le bout de son nez en Europe", en citant le cas d'AstraZeneca et Pfizer en Grande-Bretagne. 

Dans son édition hebdomadaire (Businessweek), l'agence de presse dépeint de son côté Arnaud Montebourg comme un admirateur du ministre des Finances de Louis XIV, Jean-Baptiste Colbert. Avec ce décret, il poursuivrait une longue tradition d'intervention étatique dans les affaires des entreprises. 

Bloomberg cite une analyste de Berenberg qui écrit dans une note:

"Avec cette nouvelle législation, le risque que GE reconsidère sa position s'accroît, puisque des concessions supplémentaires seront recherchées". 

L'agence s'est en outre procurée un document interne chez Siemens, qui commente le décret comme ayant pour "but évident de calmer le zèle de GE par rapport à Alstom". 

Le quotidien new-yorkais cite un analyste d'Eurasia Group selon lequel le décret français a pour but d'accroître la pression sur General Electric "afin d'améliorer son offre et de suggérer une solution viable pour Alstom après l'accord". Ce nouveau droit de veto pourrait être brandi comme une menace mais risquerait peu d'être utilisé, sur le principe d'une arme de dissuasion.  

  • The Guardian: accéder aux négociations

Le quotidien britannique, citant une source proche du ministre de l'Economie français, indique que le droit de veto n'a pas forcément vocation à être utilisé, mais qu'il sert plutôt à permettre au gouvernement d'accéder à la table des négociations. 

Le quotidien financier d'outre-Manche s'est surtout attardé sur la réaction du gouvernement britannique face à cette mesure de protection des intérêts stratégiques français. En plein débat sur le projet de cession du champion national de la pharmacie AstraZeneca au numéro un mondial américain Pfizer, le ministre de l'Economie britannique Vince Cable a critiqué la décision française. "Ce n'est pas une proposition sérieuse de la part de Monsieur Montebourg", a-t-il dit, pointant le fait que les règles européennes s'appliquaient aussi bien à Paris qu'à Londres. 

Le "FT" qualifie ce décret "d'arme nucléaire", reprenant les termes d'un représentant français dont le nom n'est pas indiqué. , 

Souvent critique à l'égard de la France et en particulier de son gouvernement, le magazine britannique s'arrête sur le cas d'Alstom, en rappelant que le groupe a été sauvé par l'Etat au début des années 2000, "après une série de mauvaises décisions". 

Plus largement, l'article consacré à la décision du gouvernement français pousse plus loin l'analyse:

"Le nouveau décret reflète le malaise grandissant ressenti par de nombreuses personnes parmi la classe politique et dans la rue: la France, qui a produit des entreprises d'envergure mondiale au cours des décennies d'après-guerre, est rapidement en train de perdre le contrôle sur son destin économique". 

Et de pointer parallèlement la chute brutale des investissements étrangers dans l'Hexagone l'an dernier chiffrée par l'Onu ainsi que le PIB au point mort au premier trimestre 2014. 

  • Allemagne: un bon accueil dans les milieux industriels

Outre-Rhin, la plupart des médias se contentaient de divulguer l'information, sans commentaire particulier. Certains font exception comme l'hebdomadaire Focus, pour lequel le décret français représente un "point" dans le camp de Siemens. Du moins, c'est ainsi que le considéreraient les "milieux industriels" du pays. Même analyse pour Die Welt, qui évoque également les réticences du patron du syndicat de la métallurgie IG Metall, Ralf Claessen, qui craint pour les emplois en cas d'échange d'activité entre ferroviaire et énergie avec Siemens.