Le patronat déclenche une blitzkrieg contre le gouvernement... au nom de l'emploi

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1316  mots
Le ministre du Travail François Rebsamen est soumis à une vaste offensive patronale pour réformer le Code du Travail.
Medef et CGPME ont engagé une vaste offensive contre le gouvernement pour obtenir davantage que les mesures prévues dans le pacte de responsabilité. Dans le collimateur: les seuils sociaux, le temps partiel, la fiscalité des entreprises, etc.

Sabre au clair ! Au nom de l'emploi, le patronat a déclenché une grande offensive contre le gouvernement. Medef et CGPME font flèche de tout bois pour obtenir des concessions sur le code du Travail, les allègements fiscaux supplémentaires, la dérèglementation en tout genre. Manifestement, les mesures prévues par le pacte de responsabilité, qui commenceront à être présentées dans quelques jours avec l'examen en Conseil des ministres des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociales rectificatives, ne suffisent pas.

Toujours plus ! Il faut reconnaitre que, à force de se concentrer sur la courbe mensuelle du chômage et de promettre son inversion qui ne vient pas, les ministres du Travail successifs et le président de la République ne sont plus audibles. Surtout après les déroutes des élections municipales et européennes. Et peu importe si le Bureau International du travail (BIT) est venu confirmer que le taux de chômage (9,7%) en France s'était stabilisé au premier trimestre. Ce n'est pas du tout le ressenti dans le pays et cette relative bonne nouvelle « ne passe pas ».

Les stratèges patronaux ne veulent donc pas rater l'occasion et ils cherchent à pousser leurs pions face à un gouvernement affaibli, sous la surveillance de la Commission européenne, et désespérément à la recherche de points supplémentaires de croissance.

Le Medef veut déjà aller plus loin que le pacte de responsabilité

C'est le vice président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a soudainement mis sur le devant la scène cette offensive, jusqu'ici larvée, via un entretien pour le quotidien Le Figaro. Le dirigeant du Medef y explique qu'en 2015, malgré le pacte de responsabilité, la fiscalité pesant sur les entreprises ne baissera pas, bien au contraire. Immédiatement les ministres des Finances et du Travail, Michel Sapin et François Rebsamen, lui ont donné la réplique . Le premier en lui demandant de refaire ses comptes et de « cesser de jouer à ce petit jeu ». Le second en le priant « d'arrêter de geindre », alors que le gouvernement fournit un effort sans précédent en faveur des entreprises.

Ce 5 juin, c'est Pierre Gattaz, le Président du Medef lui-même, qui est monté au créneau pour défendre son vice-président : 

«Soyons clair avant qu'on nous accuse de n'être jamais contents. Pour recréer une dynamique massive de création d'emplois, le pacte de responsabilité ne suffira pas. Il faudra aussi accepter d'ôter les verrous qui existent dans notre pays et trouver des solutions opérationnelles. Il faudra de toutes les façons y arriver. Autant l'assumer dès à présent».

Les seuils sociaux, dans le collimateur...

C'est très clair. Pierre Gattaz se situe déjà dans l'après Pacte de responsabilité. Pour lui, l'effort de 30 milliards prévu par le pacte pour baisser la fiscalité des entreprises et le coût du travail ne suffit pas. A plusieurs reprises, il estimé que les mesures devraient atteindre 50, voire 60 milliards d'euros. Le Code du Travail est aussi dans le collimateur du Medef. Et, là aussi, le ministre du Travail, François Rebsamen, a peut-être prêté le flanc en annonçant, au grand dam du Parti Socialiste, être d'accord pour expérimenter un gel pendant trois ans des seuils sociaux, cette vieille antienne patronale.

Concrètement, le ministre du Travail suggère que durant trois ans, les entreprises qui franchiraient, par exemple, le cap des 10 salariés ne soient pas obligées d'instituer des délégués du personnel et celles qui passeraient le cap des 50 salariés n'aient plus l'obligation de faire élire un comité d'entreprise.

... tout comme le travail à temps partiel...

Pain béni pour les organisations patronales qui se sont engouffrées dans la brèche pour demander encore plus. Par exemple, la CGPME est passée à la vitesse supérieure pour obtenir du gouvernement le renoncement à imposer une durée minimale de 24 heures hebdomadaires pour les contrats à temps partiel… Une mesure pourtant prévue par l'Accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi - devenu la loi du 14 juin 2013 - signé le 11 janvier 2013 par… la CGPME et le Medef.

Certes, mais les organisations patronales n'en veulent plus. A l'époque, il avait été décidé que tout nouveau contrat de travail inférieur à 24 heures par semaine serait interdit à compter du 1er janvier 2014. Mais des dérogations étaient prévues : pour les employés à domicile de particuliers, pour les salariés « volontaires » exprimant par écrit leur choix de travailler moins de 24 heures et pour les branches où des accords dérogatoires auraient été conclus.

Les négociations de tels accords ayant débuté tardivement, à la plus grande joie de la CGPME très rétive face à cette disposition, le gouvernement a déjà accordé un délai supplémentaire de négociation jusqu'au 30 juin. C'est donc finalement à compter du 1er juillet prochain que la disposition doit s'appliquer pour les nouveaux contrats signés, faute d'accord dérogatoire (pour les salariés en place le délai court jusqu'en 2016). Mais, pour l'instant, une quinzaine d'accords seulement ont été conclus, les syndicats ne se précipitant pas pour négocier des accords dérogatoires.

Résultat : de nombreuses fédérations patronales sont furieuses. Pis, la CGPME a mis en place un « compteur » à la disposition des entreprises. Avec ce « compteur », les entreprises peuvent signifier le nombre d'emplois qu'elles ne créeront pas du fait de cette nouvelle durée minimale. Et selon le président de la CGPME, Jean-François Roubaud, « 8.000 emplois auraient déjà été détruits en 24 heures ». Une mesure anxiogène destinée à faire « plier » François Rebsamen pour qu'il reporte sine die cette réforme….

... et le compte pénibilité

La même tactique patronale est menée, pour l'instant avec un certain succès, sur l'instauration du « compte pénibilité » qui doit, normalement, intervenir, le 1er janvier 2015. Prévu par la dernière loi portant réforme des retraites, ce compte individuel pénibilité sera obligatoire dans toutes les entreprises. Il permettra de mesurer pour chaque salarié s'il est confronté à une situation de pénibilité et pendant combien de temps. Si c'est le cas, des actions compensatoires devront être accordées : mesure de formation, voire départ anticipé à la retraite.

Les organisations patronales sont arcboutées contre ce dispositif « trop contraignant ». Un rapport sur la question a été confié à Michel De Virville, membre honoraire de la Cour des comptes, qui est attendu normalement pour la semaine prochaine. Mais, grâce à la pression des organisations patronales, il est déjà quasi acté que les différentes cotisations patronales qui devaient permettre de financer les actions accordées aux salariés en contrepartie de l'exposition à la pénibilité ne seront pas redevables en 2015… mais au mieux en 2017, en tout cas à leur taux plein. Le patronat ne veut pas rester sur cette demi-victoire. Il veut pousser encore son avantage est parvenir a vider de sa substance le dispositif « compte pénibilité ».

Et on pourrait encore multiplier les exemples. Ainsi la réforme de l'inspection du travail dont les organisations patronales ne veulent pas. Opportunément, le projet de loi portant cette réforme s'est perdu dans les méandres du Parlement, grâce au bon vouloir de François Rebsamen, soucieux de ne pas faire trop de vagues.

Et bientôt le Smic et le temps de travail?

Autant des gestes d'apaisement de la part du gouvernement...  mais plutôt perçus comme des faiblesses par le patronat. L'offensive va donc continuer ou s'amplifier. Gageons que les prochains combats porteront sur l'instauration d'un Smic jeune, l'indemnisation des demandeurs d'emploi, la réforme de la Sécurité sociale… Sans parler de la persistante question de la durée du travail. Tout ça au nom de… L'emploi, bien sûr.