Hollande a enfin trouvé une stratégie pour que la France rebondisse… en 2025

Par Philippe Mabille  |   |  1989  mots
Publié chez Fayard, remis officiellement ce mercredi à l’occasion d’un séminaire gouvernemental, le rapport « quelle France dans dix ans ? Les chantiers de la décennie » fait un diagnostic sévère et lucide et des propositions ambitieuses mais réalistes. Il appelle à un utile, voire salutaire, exercice d’appropriation des défis qui nous attendent et de réflexion sur nos choix collectifs pour donner un ciment au vivre ensemble. François Hollande saura-t-il ne pas l’enterrer dans un pays dont la culture politique reste marqué par la préférence pour le présent ?

Le premier Plan, celui de 1947, élaboré sous la direction de Jean Monnet avait bien posé le débat : « modernisation ou décadence » et fut l'une des briques du redressement qui conduisit (avec l'aide du plan Marshall puis de la construction européenne) aux "30 glorieuses". Ce précédent donnera-t-il les mêmes lettres de noblesse au rapport remis ce mercredi par France Stratégie, le lointain successeur de feu le Commissariat au Plan, à François Hollande ?

Jean Pisani-Ferry, le nouveau patron de France Stratégie (ex commissariat général à la stratégie et à la prospective, ex Conseil d'Analyse stratégique) veut le croire. Bien que nommé par François Hollande, cet économiste influent -c'est lui a soufflé le nom de Laurence Boone à l'Elysée pour devenir conseillère économique-, réputé pour son indépendance d'esprit -il a fondé après son passage au cabinet de Dominique Strauss-Kahn entre 1997 et 2000 le think tank pro-européen Bruegel-, ne mâche pas ses mots pour assurer le SAV de cet exercice commandé à l'été 2013 sous le gouvernement Ayrault. « Si on ne fait rien, le destin de la France, ce sera l'Italie », prévient-il, c'est-à-dire le déclin inexorable et un pays qui sera de plus en plus divisé. Sauf que chez nous, la partition n'est pas Nord-Sud, ou Est-Ouest, comme chez certains de nos voisins, mais la fracture est entre les centres, les métropoles dynamiques, et les périphéries, à l'abandon.

Des choix clairs

C'est ce danger bien identifié d'une France fracturée, dont le résultat des dernières élections régionales et européennes a donné une photographie inquiétante, qui résume d'ailleurs le mieux l'intérêt de ce rapport. « Il ne s'agit pas d'un exercice de futurologie », précise d'emblée Jean Pisani-Ferry, mais plutôt un guide pour éclairer une démarche qui doit aider la société française à s'accorder sur des choix clairs, fondés sur des objectifs peu nombreux, ambitieux mais réalistes. Une sorte "d'anti rapport Attali" sur la croissance française, remis en 2008 et 2010 (en deux parties) à Nicolas Sarkozy, qui proposait un plan d'ensemble en 316 décisions à prendre absolument comme un tout et qui n'a été appliqué que pour une toute petite partie.

La méthode change donc, mais l'intention est la même : provoquer un choc de conscience sur l'état réel du pays et les enjeux qui se proposent à lui à un horizon de dix ans. Pour la petite histoire, selon Laurent Fabius, l'idée aurait été soufflée par le Qatar qui a construit une "Vision stratégique 2030". Ce petit pays du Golfe riche en ressources énergétiques mais coincé entre de trop puissants voisins aurait donc inspiré lui-aussi François Hollande, après avoir beaucoup influencé son prédécesseur... En réalité, avoir un exercice de projection stratégique à dix ou quinze ans est une démarche qui a été appliquée par tous les pays lorsqu'une crise économique les a convaincus qu'il était utile de redessiner des choix collectifs qui ne soient pas prisonniers du présent ou des aléas électoraux. Le Canada, la Suède, le Danemark, l'Allemagne de Schroeder avec son agenda 2010, beaucoup s'y sont prêtés avec plutôt du succès.

Un sentiment d'urgence

Rien d'étonnant donc à ce que le rapport de France Stratégie ait été mis à l'honneur dans le cadre d'un séminaire gouvernemental destiné à dire quoi en faire. Car, c'est bien là toute la question : face à l'immense bibliothèque des rapports enterrés, pourquoi celui-ci connaîtrait-il un autre sort ? Peut-être parce que cette fois c'est différent. L'urgence commande à François Hollande, au point d'impopularité où il en est, de mettre de l'ordre et de la méthode dans son action, de tracer un cap et de tenter de partager une vision avec les Français allant au-delà des plus proches échéances électorales.

Même s'il exprime une vision, qui apparaîtra plutôt libérale, pro-européenne, pro-mondialisation et pro-entreprise, le rapport présenté par France Stratégie a au moins ce mérite d'être issu d'une réflexion participative, interactive, avec la société civile et les institutions sociales et politiques du pays. C'est le retour du Plan à sa mission première : débats publics thématiques, à Paris et en région, nombreuses contributions des partenaires sociaux, des assemblées, consultation d'experts de tous horizons, et même la parole aux jeunes qui ont fait mille propositions... Si France Stratégie, sous la conduite de Jean Pisani-Ferry, a apporté sa propre analyse, tous ces travaux se sont nourris. Ils ont même conduit « à nous faire évoluer sur certains points, en particulier la question de la qualité de la croissance », reconnaît-il.

La France a décroché

Pour établir un diagnostic le plus objectif possible, le rapport prend aussi en compte l'évolution de la situation de la France sur les 25 dernières années, relativement à des pays aux performances comparables, à l'époque (en 1988). Le résultat est sans surprise : quelques bons points sur des critères sociaux (pauvreté, redistribution), mais aussi le constat implacable d'un grave décrochage sur l'économie (-6 points en terme de PIB par habitant par rapport à la moyenne de l'échantillon), l'emploi, les performances scolaires et même la R&D. Notre modèle social, auquel nous sommes si attachés fait que nous dépensons plus que les autres pour des performances qui ne sont pas meilleures. Se pose donc la question de la soutenabilité de ces évolutions avec une croissance en panne (0,3% en moyenne depuis 2008) et une dette qui explose.

La France a pourtant de nombreux atouts : une démographie dynamique (l'âge médian des Français sera de 43 ans dans 20 ans contre la cinquantaine chez la plupart de nos voisins), un territoire homogène avec de bonnes infrastructures, une population de mieux en mieux formée, de grandes entreprises mondiales (31 sur les 500 premières mondiales), l'attractivité d'une métropole mondiale... Alors qu'est ce qui ne va pas ? L'originalité de la démarche de France 2025, qui porte essentiellement sur l'économie, est de chercher des réponses politiques, institutionnelles mêmes, plutôt qu'un catalogue de réformes forcément vues comme la réforme de plus et de trop.

Changer d'abord les institutions

La réponse aux maux du pays doit ainsi d'abord être cherchée à sa tête, en rompant avec la professionnalisation de la vie politique, le cumul des mandats, la dyarchie à la tête de l'exécutif. Pour un peu Jean Pisani-Ferry proposerait la VIème République. Sans aller jusque là, il souligne que l'exemplarité des décideurs publics et le partage des efforts réclamés à tous est un point de blocage essentiel à lever dans un pays qui doute de ses élites. Surtout, "il faudrait que les élus ressemblent plus aux électeurs", pour que le vivre ensemble ait plus de consistance.

Sur les réformes aussi, le rapport apporte une réflexion nouvelle. A force de réformer à petits pas, on a fini par tuer la réforme, puisque chacun attendant la prochaine, forcément pire que la précédente, se met en mode Défense plutôt que de voir dans une cohérence d'ensemble un mieux. Le calendrier politique et le degré d'acceptabilité sociale explique certes cette situation, mais après 5 réformes des retraites et 3 réformes de la formation professionnelle en dix ans, le résultat est que le chantier est toujours là. Il propose donc de changer de méthode et que la réforme soit présentée plus dans le cadre d'un « reingeniering » global de notre modèle plutôt qu'au coup par coup ou au cas par cas.

 Réinvestir

Ceux qui attendront donc un catalogue de mesures à la Prévert seront donc déçus. Ce rapport de 230 pages en contient pourtant, mais sous forme d'objectifs, assortis de 33 indicateurs chiffrés. Le message, c'est qu'il « nous faut aujourd'hui changer d'attitude, accepter de nous remettre en cause et surtout réinvestir -institutionnellement, économiquement et socialement. Dix ans, c'est le temps qu'il faut pour inverser la tendance et commencer d'en voir les résultats ». L'horizon de temps, François Hollande est prévenu, n'est pas 2017, mais 2025. Il lui faut pourtant agir, mais en n'étant pas sûr de pouvoir en tirer les fruits quitte à les laisser à ses successeurs.

Si Jean Pisani-Ferry invite donc à hiérarchiser les priorités, son rapport contient pourtant, à bien le lire, quelques idées explosives. Ainsi, pour sauver le modèle social, dans son acception la plus large, le rapport évoque à demi-mot une remise en cause de l'universalisme de la protection sociale, afin de la cibler vers les populations qui en sont les principales destinataires, à savoir les plus modestes. Quitte à accepter « de réviser à la marge le partage entre public et privé dans la fourniture de certains services ou l'assurance de certains risques » (chapitre 5, page 69). Denis Kessler ne dirait pas mieux. Même chose sur le logement, où le rapport est très sévère sur l'efficacité des aides et de la gestion du parc HLM, "qui n'est pas fait pour les cadres supérieurs", alors que ceux-ci en occupent près de 20%. Le logement est d'ailleurs cité comme l'une des plaies françaises et pour recréer un modèle social "lisible et inclusif", le rapport fixe un objectif choc : réduire de 30% en euros constants le prix des logements. Pas sûr que la loi Duflot même corrigée et le mini plan gouvernemental pour l'habitat y parvienne...

 Une économie du mouvement

Tous les grands sujets sont abordés, de l'école à la formation professionnelle en passant par le fonctionnement du marché du travail. Le rapport invite François Hollande à avoir en matière de réforme un "esprit de système" et à mettre en cohérence les leviers à sa disposition. S'agissant du CICE, par exemple, le pacte de responsabilité est validé dans la démarche, mais il ne peut pas tout pour restaurer la compétitivité. Surtout, le rapport demande qu'il soit pérennisé en inscrivant la baisse des charges sociales dans le barème des cotisations patronales. Même sur les 50 milliards d'euros d'économies, qui ne sont pas encore là et butent sur l'opposition des frondeurs au sein du parti socialiste, le rapport France 2025 est très clair. Ce n'est qu'un début, et "il faudra poursuivre les efforts" au-delà de 2017 pour réduire la dépense publique et la dette.

Tout cela pour quoi ? Pour construire  « une économie du mouvement », ouverte et insérée dans la mondialisation, fondée sur le savoir et l'innovation. Pour inverser le déclin, le rapport fixe des objectifs ambitieux mais raisonnables. La France au message universaliste doit pour rebondir prendre la bonne mesure de ses chances, mais sans se surestimer, ce qui est souvent une maladie nationale. En 2025, elle représentera avec 68 millions d'habitants 0,8% de la population mondiale qui atteindra alors 8 milliards. Ce qu'elle peut espérer : rester dans les dix premières économies par la taille du PIB, certes, mais surtout progresser dans la qualité de la croissance. Le rapport propose ainsi que la France remonte en 2025 dans le top 10 du classement OCDE du bien-être, où elle figure à la 18ème place sur 36 (les trois premiers sont la Suède, le Canada et l'Australie). Sur l'emploi, même réalisme : si déjà la France pouvait rejoindre le premier tiers des pays européens pour l'emploi, cela serait bien. A titre illustratif, cela aurait supposé 600.000 emplois de plus en 2013 pour un taux de chômage de 6,8% au lieu de 9%. De quoi mesurer le chemin à parcourir...

>>> Le Web-documentaire de France Stratégie : Le "making of "des chantiers de la décénnie