"Le CV anonyme permet d'éviter la googlisation des candidats par l'employeur"

Par Propos recueillis par Romain Renier  |   |  732  mots
"Certains candidats se font discriminer avant même le premier contact après avoir fait l'objet d'une recherche sur Google. Le CV anonyme enlève le premier filtre," explique Vincent Chauvet, aujourd'hui adjoint au maire Modem d'Autun, Conseiller communautaire de la Communauté de Communes du Grand Autunois-Morvan et Directeur de programme académique à HEC Paris.
Le Conseil d'Etat a demandé à l'exécutif d'appliquer la loi sur le CV anonyme, tombée dans l'oubli depuis 2006. Pourtant, beaucoup doutent désormais de son efficacité. Ce n'est pas le cas de Vincent Chauvet, qui avait réclamé son application en 2006. Entretien.

La loi sur l'égalité des chances datant de 2006 prévoyait la mise en œuvre du curriculum vitae (CV) anonyme pour les candidatures à un emploi dans les entreprises de cinquante salariés et plus. Mais faute de décret d'application, la mesure n'est jamais entrée en vigueur. Dans une décision rendue publique ce mercredi, le Conseil d'État presse donc le gouvernement de rectifier le tir. Une décision qui fait suite à un recours déposé il y a trois ans par un jeune particulier et quelques associations.

Sauf qu'entre le vote de la loi et la décision du Conseil d'État, de l'eau à coulé sous les ponts. Tellement que certains de ses défenseurs de l'époque, comme Yazid Sabeg, le commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances, sont allés jusqu'à émettre des réserves sur son efficacité. La faute au résultat d'une étude de 2011 réalisée par Pôle emploi et le Centre de recherche en économie et statistiques (CREST), selon laquelle le processus pénalise en fait les demandeurs d'emplois issus de l'immigration. Malgré tout, Vincent Chauvet, aujourd'hui adjoint au maire Modem d'Autun, Conseiller communautaire de la Communauté de Communes du Grand Autunois-Morvan et Directeur de programme académique à HEC Paris, est convaincu que le CV anonyme est toujours une nécessité. Explications.

Vous étiez président d'une des associations qui ont réclamé l'application de la loi de 2006 il y a trois ans. Depuis est sortie une étude qui contredit son efficacité. Celle-ci vous a-t-elle aussi fait changer d'avis ? 

On invoque très souvent cette étude, mais il faut savoir qu'elle concerne 600 entreprises volontaires. Des propositions de participation à l'expérience ont été envoyées aux entreprises, avec un taux de refus de 50%. En fait, celles qui ont accepté sont celles qui étaient déjà engagées dans une démarche de diversité. Le CV anonyme les a empêchées de poursuivre cette démarche volontaire.

En revanche, la Belgique a réalisé une étude comparée très intéressante sur le sujet. Ils se sont rendu compte que le CV anonyme est efficace dans certains secteurs et dans certaines situations. Mais, évidemment, ce n'est pas la panacée.

En somme, vous critiquez la manière dont les choses ont été faites...

Dans une démocratie moderne, on aurait d'abord mené des expérimentations dans différentes régions, dans diverses branches. On aurait ensuite examiné les résultats. Et, enfin, on en aurait discuté avec les partenaires sociaux.

Ce que l'on a fait à la place, c'est voter une loi dans l'urgence, sur un mode clientéliste et en faisant beaucoup de bruit dans les médias pour répondre aux émeutes dans les banlieues. Mais on n'a jamais cherché à l'appliquer.

Sur le fond, les entreprises n'avaient pas l'air très enthousiastes non plus. La CGPME dit que c'est une surcharge pour les PME...

Oui, c'est vrai. C'est pour cela que la loi ne concerne pas les entreprises de moins de 50 salariés. Le but de cette loi est d'empêcher la discrimination à l'embauche dans les grandes entreprises qui lancent des grands plans d'embauche. 

Les entreprises de plus de 50 salariés, c'est 1% des entreprises. La vérité c'est que dans ces dernières, il y a des cadres qui n'ont pas envie de changer leur manière de travailler. Une des raisons pour lesquelles le CV anonyme n'a jamais été appliqué est que ces personnes réunies au sein de groupes d'intérêts ont fait pression pour que ce ne soit pas le cas.

Mais si personne n'en veut, pourquoi faudrait-il tout de même mettre en place ce CV anonyme ? 

D'abord, c'est une loi votée. Le droit constitutionnel exige que les mesures d'application d'une loi votée soient prises dans un délai raisonnable.

Ensuite, parce que les discriminations concernent tout le monde. Elles ne reposent pas uniquement sur les origines mais aussi sur le handicap, l'âge, le sexe, l'opinion politique, l'orientation sexuelle... En fait, le CV anonyme permet d'empêcher la googlisation abusive des candidats par les employeurs. Le recruteur n'a pas besoin de savoir que le candidat est fan de heavy metal par exemple. Or aujourd'hui, certains sont victimes de discrimination avant même le premier contact, après avoir fait l'objet d'une recherche sur Google. Le CV anonyme enlève ce premier filtre.