Les inégalités territoriales ne sont plus celles qu’on croit

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  745  mots
Pour Laurent Davezies, la question territoriale est incompréhensible si on l'apprécie à la seule aune du PIB ou de la désindustrialisation
Une nouvelle géographie économique est en train de se mettre en place. La Fondation Terra Nova montre que cette donne implique une réforme territoriale beaucoup moins technocratique et beaucoup plus proche des flux économiques que celle actuelle

Est-il possible de réformer l'organisation territoriale française en fonction des équilibres ou déséquilibres économiques et sociaux? Est-on même conscient que les inégalités de revenu entre les territoires - entre les territoires et les métropoles plus précisément - ne se réduisent plus aujourd'hui comme elles le faisaient au milieu du siècle précédent ? A-t-on enfin vu qu'en asphyxiant fiscalement les territoires à fort développement, on massacrait leur croissance et que la redistribution vers les territoires les moins productifs en était la seconde victime ? Le géographe et économiste Laurent Davezies ne cesse de poser ces questions. Il en a fait, avec Thierry Pech, une note pour la fondation Terra Nova « La nouvelle question territoriale »

La force des analyses tient à la manière dont Laurent Davezies raisonne sur les flux économiques et la façon dont les budgets centraux sont redistribués en province. Ce travail n'est jamais fait par l'INSEE, mais il permet de comprendre les mécanismes de redistribution salariale et de revenus indirects sur les territoires. C'est cela qui lui permet par exemple de montrer que dans les onze régions les moins développées de France, le montant du revenu des ménages est supérieur à ce qu'il serait s'il était proportionnel au montant du PIB de la région : la Picardie et le Limousin battent des records avec des revenus moyens supérieurs de près de 17% à ce qu'ils devraient être. Les régions les moins développées tirent le plus grand profit de la redistribution. Dans un pays ou les revenus non marchands sont supérieurs aux revenus salariaux, c'est un phénomène majeur.

Le développement n'est pas confisqué par les métropoles

Tous les pays industriels en sont peu ou prou victimes, mais en France une économie double est en train d'apparaitre. L'une est concentrée dans les métropoles : et encore pas partout dans certains quartiers de quelques unes de ces métropoles comme Toulouse, Bordeaux, Lyon, Nantes ou Montpellier, sans forcément d'ailleurs rejaillir sur le territoire départemental de ces villes. L'autre est une économie plus résidentielle : l'exode des retraités riches vers les territoires où il fait bon vivre se combine souvent avec l'économie du tourisme. Apparait une économie résidentielle qui dépend certes totalement de l'économie productive, mais qui a une légitimité tout aussi grande.

En fait explique Laurent Davezies la question territoriale est incompréhensible si on l'apprécie à la seule aune du PIB ou de la désindustrialisation. Il y a des territoires qui ont connu des records de désindustrialisation et qui sont très riches ( les Hauts de Seine), d'autres qui sont très pauvres (le Tarn) et on s'aperçoit que les territoires les plus dynamiques sont ceux constitués d'une ère urbaine qui envoie le plus gros de ses flux résidentiels vers son hinterland proche ( c'est le cas de Nantes)

 Le plus important est que :

 « L' effet-marronnier » souvent invoqué dans les régions françaises, qui ferait que le développement territorial serait confisqué par les métropoles, n'apparaît pas. Inversement, les métropoles ne sont pas nécessairement dans un rapport de solidarité univoque vis-à-vis de leur périphérie. »

Et Laurent Davezies va plus loin :

« La fracture qui se dessine n'est donc pas entre les métropoles et le reste du pays mais plutôt entre les systèmes productivo-résidentiels» (SPR) dans lesquels villes et hinterlands sont mariées pour le meilleur ou pour le pire. Ces nouveaux périmètres de SPR ne sont pas ceux des aires urbaines, des départements ou des régions, et ils ne font l'objet aujourd'hui d'aucune stratégie intégrée. Ce sont pourtant eux qui sont en train de constituer la nouvelle maille de la question de l'inégalité de développement entre nos grands territoires. »

Cela permet de comprendre que les approches actuelles de réforme, en termes de réduction des dépenses publiques et de suppression d'une couche de millefeuilles, ne répondent absolument à la nouvelle question territoriale. La question est celle de la division du travail entre territoires (et pas celle de l'égalité)  et de la création de acteurs publics qui soient capables de comprendre la logique des flux économiques et sociaux entre territoires et de s'y adapter