"En offrant des congés illimités, je prends un risque"

Par Giulietta Gamberini  |   |  588  mots
Les congés illimités peuvent être mis en place dans une entreprise de taille importante "à condition de les appliquer dans le cadre de plus petites unités", selon Philippe Laval.
Philippe Laval, Pdg d'une PME innovante, a fait le choix d'appliquer le modèle proposé par certaines entreprises américaines comme Netflix ou Virgin. Il explique à La Tribune comment il procède. Bilan d'étape.

Le modèle des congés illimités, proposés outre-Atlantique par des entreprises telles que Netflix et Virgin, se heurte en France à des difficultés d'ordre juridique voire culturel. Cependant, certains employeurs, notamment à la tête de PME innovantes, tentent de mettre en place ce modèle au sein de leur société. C'est le cas de Philippe Laval, PDG d'Evercontact, société d'une dizaine de salariés située en Île-de France, qui développe un système de mise à jour automatique des carnets d'adresses. Il a expliqué à La Tribune sa méthode.

La Tribune: Concrètement, comment procédez-vous pour appliquer votre système de congés illimités?

Philippe Laval: "Les congés illimités sont issus d'un accord purement  verbal, conclu au niveau de l'entreprise. Les contrats de travail des salariés prévoient en effet l'application du régime légal. L'accord informel est traduit en pratique par le biais d'un mécanisme comptable décorrélé de la réalité. Ainsi, chaque mois, les deux jours et demi auxquels, légalement, les salariés ont droit sont comptabilisés comme pris dans leurs fiches de paie. En revanche, quand les employés prennent réellement leurs congés, les jours pris ne sont pas enregistrés."

Cette décorrélation entre règle et réalité ne vous fait-elle pas courir un risque en tant qu'employeur?

"En appliquant ce modèle, je prends en effet un risque juridique. En vertu du mécanisme comptable auquel nous avons recours, lorsqu'un salarié quitte la société, on considère que celui-ci a pris tous ses congés payés. Il n'a donc droit à aucune indemnité à ce titre. Si en réalité il n'a pas encore bénéficié de tous les congés que la loi et son contrat lui accordent sur l'année, il est donc inévitablement perdant. En cas de séparation conflictuelle, il pourrait avoir envie d'ouvrir un contentieux, et de tenter de prouver par  des moyens autres que ses fiches de paie (par ses mails, son agenda) que son solde de congés est positif."

Qu'est-ce qui permet à ce modèle de fonctionner?

"La structure de mon entreprise est particulièrement favorable à ce modèle. Nous sommes une dizaine. Tous les employés sont des cadres-autonomes, rémunérés selon le régime du forfait-jour, et les profils individuels composant nos équipes sont variés: si, par exemple, nous n'employions que des parents, des difficultés lors des vacances scolaires seraient inévitables.

Le fonctionnement de la société est par ailleurs fondé sur le partage des objectifs et sur la transparence: chaque mois tous les chiffres sont publiés. Ainsi responsabilisés, les salariés font un usage très raisonnable de leur liberté et la coordination fonctionne bien. Il nous est d'ailleurs déjà arrivé de nous séparer de salariés après la mise en place des congés illimités, mais aucun contentieux n'a jamais été ouvert. Si le système n'abuse pas de vous, vous n'êtes pas tenté d'abuser de lui."

Les congés illimités, seraient-ils applicables dans une entreprise plus grande?

"Oui, à condition de les appliquer dans le cadre de plus petites unités. Mais il faut garder à l'esprit que le modèle des congés illimités ne peut pas tenir uniquement du politiquement correct: il fonctionne seulement si tous les salariés estiment que leur travail a un sens et sont fiers de ce qu'ils accomplissent."