"Sarko s'est tuer", non ce livre ne raconte pas que le déjeuner Jouyet/Fillon

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1253  mots
Dans "Sarko s'est tuer" les auteurs expliquent la "méthode" Sarkozy, basée sur la transgression et l'interventionnisme.
Du livre "Sarko s'est tuer", rédigé par deux journalistes du "Monde", on ne retient que "l'affaire" du déjeuner entre François Fillon et Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l'Elysée. Pourtant, l'ouvrage contient de très nombreuses autres informations sur les "affaires" qui planent sur Nicolas Sarkozy et sur sa personnalité... toujours aussi interventionniste.

Depuis le 6 novembre, date de parution de « Sarko s'est tuer », le dernier ouvrage des deux journalistes grands reporters au « Monde », Gérard Davet et Fabrice Lhomme *, les médias ne parlent que de l'un des passages du livre : le fameux déjeuner du 24 juin 2014 entre François Fillon, ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy et Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l'Elysée et proche de François Hollande. Lors de cette rencontre, François Fillon aurait souhaité savoir si l'Elysée allait tenter de faire accélérer le cours judiciaire des affaires visant Nicolas Sarkozy pour l'empêcher de revenir en politique. "Mais tapez vite, tapez vite", aurait dit François Fillon à son interlocuteur. Depuis, c'est la polémique, Jean-Pierre Jouyet admet que le sujet a été discuté entre les deux hommes alors que François Fillon dément.

Les onze "affaires" qui planent sur Nicolas Sarkozy

Mais il est un peu court de limiter l'intérêt du livre des deux journalistes du Monde à cette seule rencontre. Leur ouvrage mérite bien mieux pour ceux qui s'intéressent aux mœurs de la politique française en général et à celles de Nicolas Sarkozy en particulier. Car, en réalité, ce livre c'est un peu « les onze affaires Sarkozy expliquées aux nuls » : « affaire » Bettancourt, « affaire » du trafic d'influence à la Cour de cassation, « affaire » Tapie où comment l'homme d'affaires a bénéficié d'un arbitrage ultra favorable dans le litige qui l'opposait au Crédit Lyonnais, « affaire » des pénalités pour dépassement de frais de campagne présidentielle pris en charge par l'UMP, « affaire » Bygmalion, « affaire » Pérol, du nom de l'ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée nommé à la tête de la BPCE (Banques populaires Caisse d'épargne), « affaire » libyenne du possible financement de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 par Kadhafi. Et d'autres encore puisqu'il y en a onze qui menacent l'ex-président.
Des « affaires » tordues, parfois compliquées à suivre en raison de nombreux « tiroirs ». Le premier mérite de Davet et Lhomme est de rendre compréhensible le cours de ces différentes histoires, d'en rappeler la chronologie, les protagonistes, les enjeux. Ainsi, par exemple, on comprend enfin quelque chose a l'affaire « Air cocaïne » survenue en 2013. Non, l'ancien président n'a aucun rapport avec cet avion bourré de drogue intercepté en République dominicaine, avec quatre Français à bord. Seulement, à l'occasion de la perquisition dans les locaux de la société qui avait affrété l'avion, les policiers ont découvert que Nicolas Sarkozy utilisait pour ses déplacements l'avion de la société Lov Group Holding, appartenant à l'homme d'affaire Stéphane Courbit. Un fait éventuellement constitutif d'un abus de biens sociaux.

Le décryptage de la personnalité de Nicolas Sarkozy constitue le deuxième intérêt du livre. Davet et Lhomme - détestés par l'ancien président et son entourage car accusés de ne produire que des articles « à charge » - ne se prononcent jamais sur la culpabilité de l'ancien président dans chacune des affaires. D'ailleurs, à ce stade, Nicolas Sarkozy n'est pour l'instant mis en examen que dans une seule, celle du possible trafic d'influence à l'endroit d'un juge de la Cour de cassation. Nicolas Sarkozy, avec la complicité de son avocat et ami Thierry Herzog, aurait promis d'interférer en la faveur du magistrat Gilbert Azibert pour qu'il obtienne un haut poste en principauté de Monaco. En échange, Gilbert Azibert tenait au courant l'ex-président et son avocat sur l'état d'avancement du dossier Bettancourt.

"Éthique de responsabilité"

Ce que détaillent très bien les deux auteurs c'est la propension de Nicolas Sarkozy à se mettre dans « de mauvais draps ». Il n'est pas forcément pénalement coupable, mais il flirte en permanence avec la ligne jaune. Comme le disent les auteurs :

« L'issue de ces multiples procédures importe peu, finalement. C'est d'abord sur un plan moral et éthique qu'il faut se situer. Dans la droite ligne du sociologue allemand Max Weber qui a, le premier, fait état d'une éthique de responsabilité ». Et les auteurs d'asséner : « dans de nombreuses démocraties matures, un homme politique empêtré dans tant de scandales, dont les plus fidèles collaborateurs ou soutiens politiques sont aux prises avec la justice dans des proportions là encore sans doute jamais atteintes, ne pourrait pas prétendre exercer à nouveau la fonction suprême. A défaut de l'être pénalement, Nicolas Sarkozy s'est en quelque sorte rendu moralement inéligible ». Lourde charge !


Ce que dénoncent les deux journalistes, c'est l'absence totale de scrupule de l'ex-président, son art permanent de la transgression, son hyper-interventionnisme, ses multiples tentatives d'intimidation. A cet égard, Davet et Lhomme racontent un épisode stupéfiant, absolument représentatif de la personnalité de l'ancien président.

Le lundi 24 juin 2013 à 18h40 exactement, Nicolas Sarkozy, qui n'est plus à l'Elysée depuis plus d'un an, décroche son téléphone et appelle Patrick Calvar, le patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), devenue par la suite la Direction générale de la sécurité intérieure, qui n'est pas, loin de là, un de ses proches. Nicolas Sarkozy, d'après les auteurs, cherche à avoir des renseignements sur les avancées de l'affaire libyenne (possible financement à hauteur de 50 millions d'euros de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 par Khadafi). Au passage, il se montre intimidant avec Patrick Calvar. En outre, comme tout est « classifié » à la DCRI , « la moindre divulgation d'information est un délit qui peut conduire en correctionnelle. L'ancien président le pousse à commettre un faux pas » relatent les auteurs.
D'autres exemples de ce genre fourmillent dans le livre. L'ancien président et sa garde rapprochée - 3 anciens directeurs de la police nationale ! - se montrent toujours aussi interventionnistes et persuasifs. Nombreux ainsi seraient les magistrats à craindre son retour aux affaires...

La dernière des qualités de l'ouvrage est de révéler aux lecteurs des documents inédits, telles les retranscriptions des écoutes téléphoniques dont faisait l'objet Nicolas Sarkozy. On les appréciera sur le fond (la teneur des propos) comme sur la forme (les formules utilisées). En annexe, les auteurs ont également joint le compte-rendu des échanges entre la police judiciaire et Nicolas Sarkozy durant la garde à vue de 9 heures de ce dernier le 1er juillet 2014 dans le cadre de « l'affaire Azibert ». Un condensé de la personnalité de l'ancien président, où il alterne le rôle de la victime avec celui de l'accusateur menaçant. Instructif.

"Affaire" du scooter de François Hollande,  Sarkozy savait deux mois avant

Enfin, Davet et Lhomme relatent aussi l'unique entretien qu'ils ont eu avec l'ancien président le 18 novembre 2013. Après leur avoir passé un savon sur leurs écrits toujours à charge contre lui, Nicolas Sarkozy s'étonne de leur bienveillance vis-à-vis de François Hollande et leur lance : « Et lui, Hollande, qui sort trois fois par semaine de l'Élysée en scooter pour aller voir sa bonne amie. Que font les journalistes ? Rien, bien sûr ». Le tout près de deux mois avant (le 10 janvier 2014) que ne sortent dans le magazine Closer  les fameuses photos du président casqué en scooter se rendant à un rendez-vous avec l'actrice Julie Gayet.... Nicolas Sarkozy, lui, connaissait déjà tout ça. Les réseaux. Toujours.
On le voit, l'ouvrage ne s'arrête pas à une simple histoire de déjeuner.

* ( chez Stock, 310 pages ; prix : 19 euros)