Travail du dimanche à Paris : Anne Hidalgo tente de marquer son territoire

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1091  mots
Qui doit donner l'autorisation aux grands magasins de Paris d'ouvrir le dimanche: le ministre ou la maire? C'est le véritable enjeu.
La version non définitive d'un rapport commandé par la maire de Paris exprime des réticences sur l'ouverture dominicale des grands magasins parisiens du boulevard Haussmann. Derrière cette polémique se cache la question de savoir qui d'un ministre ou d'un maire peut décider d'une telle ouverture.

La France s'offre encore une fois une de ces petites polémiques dont elle a le secret. Cette fois, c'est l'ouverture dominicale des commerces à Paris qui fait débat. Les thuriféraires du travail du dimanche  - à gauche, comme à droite - reprochent à la maire de Paris Anne Hidalgo de ne pas vouloir faire suffisamment bouger les curseurs en refusant une dérèglementation à tout va.

Pourtant, en analysant bien le rapport - non définitif - de la mission d'information et d'évaluation (MIE) sur le travail du dimanche, publié ce mercredi 3 décembre par le quotidien L'Opinion et  commandé en juin dernier par Anne Hidalgo, on constate que ce n'est pas l'exacte vérité. Ce rapport pose davantage la question du pouvoir de décision. En d'autres termes, qui d'un ministre ou d'un maire est habilité à décider de l'extension de l'ouverture dominicale ? Explication.

A peine élue, Anne Hidalgo, de longue date sensibilisée à ce problème, avait confié à Bernard Gaudillère, ancien adjoint aux finances de Bertrand Delanoë, le soin de présider une commission:  la fameuse MIE, sur « le travail dominical et nocturne à Paris ». Cette commission est composée de 15 élus (9 de gauche et 6 de droite) représentant, à la proportionnelle, le poids de chaque parti politique présent au conseil municipal. Le rapport définitif de la MIE doit être remis le 16 décembre à la maire et il sera en débat au conseil de Paris le 9 février. C'est donc à ce moment là que l'on pourra réellement juger de son contenu...

A ce stade, le « pré-rapport » s'oppose t-il tant que ça aux futures préconisations qui seront inscrites dans le projet de loi Macron  présenté le 10 décembre en conseil des ministres ? Bien que les élus écologistes et du PCF n'y soient pas vraiment favorables, le rapport ne s'oppose pas ouvertement au projet de porter de 5 à 12 le nombre de dimanches ouvrables (dont 5 à la discrétion du commerçant et 7 autorisés par le maire). Seulement, la MIE réclame que Paris soit réellement traité comme les autres communes de France : il doit revenir au  maire de gérer les 7 dimanches à sa disposition... et non au préfet comme ce fût longtemps le cas pour la seule capitale. Il est également favorable à l'ouverture des commerces présents dans les gares et aux alentours... Une autre préconisation portée par Emmanuel Macron.

La vraie question:  qui est compétent pour décider de l'ouverture dominicale?

En revanche, il est exact qu'il est plus réticent à l'extension géographique de certaines zones touristiques déjà autorisées à ouvrir le dimanche. Actuellement, il y a 7 zones touristiques dans la capitale. Cette extension peut se faire, précise le rapport,  « sous réserve d'études d'impact et d'un fort consensus local ». Surtout, la MIE réclame que « tous les salariés aient les mêmes droits quelle que soit la taille de la société qui les emploie ».

A ce stade, le projet de loi « Croissance » d'Emmanuel Macron ne prévoit formellement des compensation salariales que pour les commerces employant plus de 20 salariés. Pour les établissements plus petits, c'est encore la grande inconnue, même si le ministre de l'Economie à précisé qu'il devait aussi y avoir pour eux une compensation.

Le seul vrai point de désaccord porte sur les « zones touristiques internationales » que compte créer Emmanuel Macron. Ces zones seraient entièrement libres d'ouvrir le dimanche pour séduire la clientèle internationale, une forte demande de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères... et du Tourisme. Or, à ce stade, il est prévu que ces zones seraient créées par « arrêté ministériel » et non décidées par les maires. La Mairie de Paris y voit là une « régression » alors que l'époque est à la décentralisation et à la prise de décision la plus proche possible du terrain.


La question du boulevard Haussmann

Oui, mais le ministre de l'Econopmie, anticipant un blocage de Anne Hidalgo sur la question des grands magasins du boulevard Haussmann (Galerie Lafayette, Printemps, etc.), a donc pris les devants. Pour Laurent Fabius et Emmanuel Macron, il n'y a plus a tergiverser. Les grands magasins du boulevard Haussmann doivent être ouverts le dimanche pour capter la clientèle internationale qui, sinon, ira faire ses emplettes à Londres ou à Berlin.

On sait la maire de Paris très réticente. Le rapport de la MIE étaye ses doutes. Selon lui, il est faux de dire que la fermeture dominicale des grands magasins de ce boulevard empêche les touristes étrangers d'y faire des achats : « la durée moyenne du séjour d'un touriste étranger européen est de 4 jours, et celle d'un touriste extra-européen (Etats-Unis, Japon, etc.) de 6 jours. Contrairement à une idée reçue, les touristes étrangers ne sont donc en rien gênées dans leurs achats par la fermeture dominicale ».

En outre, Anne Hidalgo a toujours plaidé que l'ouverture dominicale du boulevard Haussmann aurait un coût pour la municipalité, voire pour la Région Ile-de-France. En effet, il faudra augmenter la fréquence des transports - traditionnellement au ralenti le dimanche - pour acheminer les salariés et les clients ; il conviendra d'organiser les services de la voirie pour nettoyer la chaussée le dimanche soir ; assurer la sécurité des personnes et des biens, etc.

En fait la maire de Paris, on peut le comprendre, veut être maitre chez elle. Elle ne veut pas se faire imposer une décision « venue d'en haut ». Elle veut discuter et organiser les choses avant que le couperet ne tombe.

En réalité, c'est davantage cette question des compétences et de la prise de décision que le rapport de la MIE pointe du doigt, davantage que l'extension de l'ouverture dominicale elle même.

Par ailleurs, la rédaction du rapport a posé une autre difficulté. Il convenait de trouver un compromis au sein même de la majorité de gauche qui « soutient » Anne Hidalgo (PS, PRG, Ecologistes et PCF). Or, tous les membres de cette majorité ne sont pas d'accord entre eux sur la question du travail dominical. Pis, même les conseillers PS ne sont pas tous sur la même ligne. Le rapport tente donc de préserver de savants équilibres. Il est vrai qu'une autre piste aurait pu être retenue, beaucoup plus simple, voire simpliste : permettre à tous les commerces parisiens une ouverture 7 jours sur 7... Une idée défendue par Nathalie Kosciusko Morizet, la chef de file UMP à Paris...