Le Grand Paris, une métropole de techniciens sans vision politique

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  1125  mots
"On ne sait pas quelle métropole on veut, la question n'a toujours pas été tranchée", observe Frédéric Gilli.
Une métropole frileuse, technicienne et sans vision politique. Frédéric Gilli, économiste et chercheur sur le Grand Paris, mène des enquêtes avec l’agence Campana Eleb Sablic où il est directeur. Pour lui la nouvelle loi sur le Grand Paris étouffe tout espace politique pour débattre d’un projet métropolitain et reste à des encablures des fortes attentes des habitants et des enjeux de la transformation des territoires

La Tribune. Le gouvernement vient de produire un amendement actuellement en débat au Sénat qui définit la manière dont il souhaite organiser la métropole du Grand Paris. Les 25 pages de ce texte vous paraissent-elles répondre enfin aux enjeux ?

Frédéric Gilli : Cet amendement atteint un tel degré de complexité que, même si je suis plutôt armé intellectuellement sur le sujet, je n'arrive pas à comprendre les effets qu'il pourrait avoir. En matière de redistribution notamment. Cette loi, pour être à la hauteur, devrait répondre aux besoins de redistribution entre les territoires et aux besoins de péréquation entre les services publics. Je suis tout à fait conscient que cela ne peut pas se faire rapidement et facilement tant les disparités fiscales sont énormes. Mais on pourrait au moins fixer un objectif de réduction des écarts de taxations sur une dizaine d'années. Il n'y a rien dans le texte. Qu'on ne s'intéresse pas aux considérables inégalités acquises peut éventuellement se comprendre. Mais pour l'avenir ? La convergence fiscale, la vitesse de convergence, l'objectif même de convergence, je ne les vois pas. Pas plus qu'un objectif sur les services publics. Même l'exposé des motifs n'en parle pas. Au nom de quelles valeurs construit-on alors cette métropole?  Personne ne peut comprendre que le législateur et les élus locaux cherchent avec cette loi.

Pour vous, il n'exprime aucune vision politique de la métropole ?

On ne sait pas quelle métropole on veut, la question n'a toujours pas été tranchée. Logiquement une loi devrait mettre en place un cadre métropolitain dans lequel les politiques pourront ensuite se déployer. On pose les fondations et après on voit comment on vit dans la maison. Et dans ce cadre, aux élus de mener campagne en 2020 sur leur vision de la métropole. Savoir si l'on souhaite une métropole libérale ou une métropole solidaire c'est de la politique, cela ne relève pas de l'institution. Mais avec le cadre actuellement proposé par la loi, je n'arrive pas à comprendre comment on va pouvoir faire de la politique. On est arrivé à un niveau de détails techniques tel qu'en 2020, il n'y aura aucune place pour un débat politique métropolitain, aucun débat de projets. On ne voit pas naître cet espace politique et démocratique où pourra se poser la question du projet métropolitain, alors que cela devrait l'enjeu de la loi.

Mais cette métropole est-elle vraiment un enjeu pour les citoyens ?

Bien évidemment. Ce sont les élus qui disent que la métropole n'intéresse pas les gens. Ce n'est pas vrai. Les élus n'en parlent simplement pas à leurs électeurs. Toutes nos enquêtes montrent que le Grand Paris fait débat chez les citoyens. Les habitants viennent systématiquement sur cette question de la métropole, car ils ont parfaitement conscience de la dynamique qu'elle va engendrer. Certes ils ne sont jamais très précis, ils parlent de ce qu'ils lisent ou entendent dans les médias. Mais ils ont parfaitement compris que leur territoire avait complètement muté, que sa croissance venait de plus en plus des ecosystèmes qui se créaient autour de Paris, qu'il était de moins en moins administré centralement par l'Etat et qu'il fonctionnait de manière de plus en plus horizontale. Nos enquêtes le montrent : les habitants savent que le développement du territoire vient de l'émergence de multiples polarités économiques ailleurs qu'à Paris. C'est à la marge de Paris, c'est en banlieue que se trouvent les territoires qui se transforment le plus vite et le plus radicalement. En plus on assiste une émergence d'une nouvelle génération d'élus et d'entrepreneurs avec une mentalité différente : la métropole est en train de s'horizontaliser complétement et elle est confrontée à la transformation de ses modes de gouvernement politiques et économiques. Les citoyens le voient parfaitement comme ils voient que les lieux changent

Le législateur est-il capable de comprendre ce changement?

Aujourd'hui c'est un peu une revanche de la banlieue. Mais ce n'est pas une revanche contre Paris. Or cette question du rapport Paris banlieue n'est jamais traitée, elle est taboue. Je rencontre constamment cette nouvelle génération d'élus et d'entrepreneurs qui ne sont plus dans la vieille logique de soumission à Paris. Ils ont grandi dans le Grand Paris et n'ont pas, chevillé au corps, 20 ans de vie politique dominés par la ville de Paris. Ce changement dans les rapports Paris-banlieue est aussi dans la tête des populations mais pas dans celle du législateur, pas dans les rapports politiques traditionnels entre territoires. Et cela complique tout. A tel point que l'on peut légitimement se demander si nous ne sommes pas en train de produire des cadres institutionnels imprégnés de méfiance alors qu'il faut justement la surmonter. Et qu'elle est déjà surmontée par beaucoup. La métropole doit être un espace où les gens se font confiance.

Les élus locaux sont-ils un frein au développement de cette métropole moins frileuse, plus ouverte et intégratrice ?

Pas seulement eux. Il est frappant de voir à quel point ce qu'il s'est passé depuis 2007 est symbolique de la crise institutionnelle politique en France. Toutes les institutions qui ont touché au Grand Paris se sont décrédibilisées. En 2007 cela a d'abord été le Président de la République qui dit vouloir révolutionner le Grand Paris .... et cela se termine par un métro. Un très beau discours mais in fine, un métro. En 2012 le Président suivant, ayant compris que la capacité pour le locataire de l'Elysée de transformer les choses était faible,  donne le bébé aux élus locaux et leur demande un livre blanc. Les élus locaux s'en révèlent incapables. Faillite également. Le gouvernement reprend la main mais son texte est refusé par le Sénat. Le gouvernement fait preuve de son incapacité à transformer les choses, et le Sénat tout autant, puisqu'il renvoie une page blanche. Les députés proposent alors un nouveau texte et le votent. Ce texte c'est précisément celui qu'aujourd'hui on est en train de déconstruire méthodiquement. Sur ce seul dossier en quelques années on a épuisé la légitimité à porter une politique de transformation du Président de la République, du gouvernement, du Parlement et des élus locaux. Est-ce que la classe politique est encore capable de transformer durablement l'organisation publique ? Toute seule, elle n'y arrive pas. Peut-être va-t-elle devoir songer à mettre les habitants dans la boucle ....