Depuis quand la France doit-elle engager des réformes structurelles ?

Par Fabien Piliu  |   |  2600  mots
Georges Pompidou évoquait déjà la nécessité de lancer des réformes structurelles
Pas une semaine ne se passe sans que la nécessité pour la France d'engager des réformes structurelles ne soit évoquée par l'exécutif ou réclamée par les économistes et les institutions internationales. Cette "urgence" n'est pas nouvelle.

Et si la loi pour "la croissance, l'activité, l'égalité des chances économiques" actuellement en débat à l'Assemblée nationale donnait le coup d'envoi des réformes structurelles que l'exécutif promet, que les économistes et les institutions internationales réclament régulièrement ?

L'urgence à lancer ces réformes dans les domaines économique et social est-elle récente? Pas vraiment. Il suffit de se replonger dans les discours de quelques présidents de la République et de leurs Premiers ministres pour se rendre compte que cette urgence est bien relative.

En voici quelques extraits.

Des réformes en profondeur !

Georges Pompidou, « Exposé sur le plan de stabilisation », le 16 septembre 1964.

"Voilà, mesdames et messieurs, l'essentiel de ce que je voulais dire. Je ne voudrais pas que vous en concluiez que je trouve que tout va bien. Assurément, il demeure des points noirs, des difficultés de tous ordres, des injustices à réparer. Assurément, des réformes en profondeur, qu'il s'agisse de la fiscalité des entreprises, des finances locales, des circuits de distribution, devront être entreprises ou poursuivies. Nous ne sommes pas au bout de nos peines. Mais nous ne sommes pas non plus au bout de notre action. À ceux en tout cas qui désireraient y mettre fin et qui prétendraient faire mieux, je demanderai simplement qu'ils veuillent bien se rappeler la situation qu'ils nous ont laissée."

Maurice Couve de Murville, déclaration de politique générale sur le climat politique issu des élections législatives des 23 et 30 juin 1968, la politique économique et budgétaire, les réformes de l'université et du Sénat et l'exercice du droit syndical dans les entreprises, à l'Assemblée nationale le 17 juillet 1968.

"J'ai tenu, Mesdames, Messieurs, à parler d'abord de la politique économique et financière, car, au même titre que le maintien de l'ordre, elle commande tout, et d'abord les grandes réformes que le pays attend. Aucune de celles-ci ne serait réalisable dans un climat où les finances publiques iraient à l'abandon et où, dans les villes comme dans les campagnes, la vie de chacun ne serait pas assurée. Ceci acquis, et je ne doute pas qu'il puisse l'être, rien ne sera encore réglé si les conséquences totales ne sont pas tirées de la crise que nous avons vécue et qui, en réalité, a fait éclater au grand jour le besoin des grandes transformations - pour ne pas dire des révolutions - qui s'imposent pour adapter la France au monde moderne.

"La révolution était déjà en cours dans notre économie. Industrie, agriculture, commerce soumis aux impératifs de la concurrence internationale, ont, depuis quelques années, non sans douleur parfois, mais avec un succès qui s'affirme, entrepris le processus de la modernisation. Il faut -avec, si besoin est, les aménagements indispensables - le poursuivre jusqu'au bout.

"Dans d'autres domaines, en revanche, rien n'est réglé encore, si l'essentiel ne reste pas à faire. Tel est le cas de notre éducation nationale, tel est celui de notre organisation politique et administrative, notamment pour les rapports entre le centre et la province, tel est celui enfin des rapports sociaux à l'intérieur des entreprises. Voilà la tâche qui nous attend et pour la réalisation de laquelle une grande règle s'impose partout, que définit le terme de participation, autrement dit le concours de tous les intéressés."

Sur le rôle de l'Etat

Raymond Barre, discours à l'Assemblée nationale, le 5 octobre 1976.

"Le Gouvernement sera ensuite conduit à présenter d'importantes réformes qui définiront mieux les compétences respectives de l'Etat et des collectivités et les moyens financiers et humains nécessaires à l'exercice d'attributions renforcées."

Sur l'emploi des jeunes

Valery Giscard d'Estaing, allocution à Carpentras, le vendredi 8 juillet 1977

"Il faut qu'ils [les Français] sachent que le redressement va se poursuivre. Dans le même temps, un effort exceptionnel a été décidé en faveur de l'emploi des jeunes, tout l'été, sans relâche, le gouvernement veillera à sa mise en place sur le terrain et partout. L'objectif est qu'à la rentrée, au couple : emploi ou chômage, soit substitué le couple : emploi ou formation. Notre société doit adopter mes mesures nécessaires pour que tout jeune soi assuré d'être, soit au travail, soit en formation. La consommation rapide, à l'heure actuelle, des crédits à l'investissement, l'augmentation récente des prestations sociales, viendront soutenir l'activité. Le budget de 1978 s'inscrira dans la lignée de cette politique de soutien équilibré à l'économie. Ainsi, à la fin de cette année, la France sortira à la fois de la crise et de l'inflation, sans drame, sans affrontement, par ses propres forces et en ayant garde à tout moment la maîtrise de son sort."

Sur la formation professionnelle

François Mitterrand, allocution sur l'immigration et notamment le problème des réfugiés politiques, et sur la nécessité d'adapter les formations à l'emploi notamment en renforçant les liens entre l'école et l'entreprise, Issoudun, le 21 juin 1991.

"Alors, je dois vous dire, moi, les directions. Alors, quelles directions pour ce travail ?

- La première relève de la responsabilité des entreprises, des branches professionnelles : elles doivent définir clairement les qualifications dont elles ont besoin, elles doivent être capables de les prévoir, il faut anticiper. Le ministre du travail les aidera, croyez-moi.

- La deuxième consiste, au vu de ce recensement des besoins, à définir le contenu des formations, formations à adapter ou à créer de toutes pièces. Que de métiers inconnus de nous aujourd'hui seront pratiqués en l'An 2000, et même avant. Alors, là, c'est le travail conjoint de l'Education nationale, des partenaires sociaux, des représentants des employeurs et des élus.

- Troisièmement, il faut que l'entreprise puisse devenir, plus souvent qu'elle ne l'est, un lieu de formation. Je sais que beaucoup de grandes entreprises le font, elles en ont le moyen ; beaucoup de petites et moyennes entreprises ne le font pas, elles n'en ont pas souvent le moyen. Il faut donc que la collaboration soit étroite entre la puissance publique et les entreprises pour que partout où travaillent des ouvriers, des employés, des cadres de toutes sortes, existe un lieu de formation.

- Quatrième direction, il faut que les entreprises détachent, pour une durée limitée, avec un financement approprié, certains de leurs cadres dans le système de formation initiale ou continue, afin de prendre part au travail des enseignants et des formateurs. On lutterait ainsi contre le phénomène de vieillissement des connaissances.

- Cinquième direction, il convient de développer la fonction essentielle de tuteur. Qu'est-ce que cela veut dire ? Eh bien, il faut que les jeunes appelés à faire un stage dans l'entreprise soient encadrés, il faut que le lien soit assuré avec l'établissement de formation. C'est une véritable fonction à créer, qui doit faire l'objet d'une reconnaissance sociale. Cette idée sera proposée d'une façon tout à fait pratique par Mme le ministre du Travail et de l'Emploi. Beaucoup de jeunes souffrent du fait qu'ils n'ont pas, à leur côté, un travailleur plus âgé et mieux formé, qui leur dit : 'Eh bien voilà comment il faut faire', sans être obligé de passer par un enseignement qui serait exagérément abstrait. Celui qui apprend, aime et admire toujours celui qui enseigne, parce qu'apprendre, c'est aussi connaître, autant qu'on le peut, les secrets de la vie.

Alors, je conclurai en proposant que les entreprises puissent libérer du temps pour certains de leurs salariés, afin d'aider ces jeunes qui sont à la recherche d'une qualification, ou qui cherchent une deuxième chance par le crédit formation. Il faut guider sur le chemin de l'insertion sociale et professionnelle tous les jeunes qui ont un besoin. Après tout quelle est la tâche de l'entreprise ? On l'a trop souvent oublié. C'est de produire. On ne crée l'emploi que par la production. On ne créera la richesse que par la production, par la qualité de la production pour l'intérieur et pour l'extérieur."

Sur le dialogue social

Dominique de Villepin, discours lors de sa 4ème conférence de presse mensuelle, Paris, le 29 septembre 2005.

"La croissance sociale suppose aussi de réconcilier l'État, les entreprises et les salariés. Sortons de l'opposition trop stérile entre libéral et social pour conjuguer nos forces et trouver un nouvel équilibre. Répondons aux questions qui se posent à nous lorsqu'une entreprise délocalise ou annonce des bénéfices importants qui ne se traduisent par aucun emploi supplémentaire."

Sur la réforme de la Sécurité sociale

François Mitterrand, allocution lors des vœux aux "Forces vives" de la Nation, notamment sur la situation économique et les acquis sociaux, Paris, le 5 janvier 1993.

"Il ne s'agit pas d'appeler conquêtes sociales 'acquis sociaux' la situation, à un moment donné, d'une catégorie donnée. Il s'agit des lois fondamentales. Exemple : la sécurité sociale, faut-il la jeter par-dessus bord, soit dans un grand mouvement de débarras, soit plus insidieusement ? Je vous dis non. On peut débattre de beaucoup de choses, mais il y a quelques principes qui ont été dictés dès le point de départ et qui étaient justes, parce qu'ils étaient le résultat d'un siècle de lutte. Alors, on avait eu le temps d'y réfléchir. La répartition, c'est un principe, si l'on en change, si l'on rétablit l'inégalité dont on a eu tant de peine à se défaire après des siècles et des siècles de lutte, alors c'est un recul. Moi, je demande des avancées et en tout cas je demande que l'on préserve toutes les conquêtes sociales. Dans la durée du travail, il y a d'autres conquêtes à faire | Au moins que celles qui ont été acquises restent et fassent partie du bagage de la Nation."

Sur les finances publiques

Jacques Chirac, discours devant le Chicago council on foreign relations et l'Economic club of Chicago, le 2 février 1996.

"Rien ne se fera, c'est une exigence, sans la remise en ordre de nos finances publiques. Les déficits publics nourrissent les prélèvements et tirent toute l'économie vers le bas. Laisser filer la dépense publique, c'est en réalité accroître le chômage.
En 1995, l'effort entrepris par le Gouvernement français a permis de réduire de plus de 1 % du PIB les déficits publics. Cet effort sera poursuivi en 1996, et les prélèvements obligatoires seront réduits dès la fin de 1997. Je m'y suis engagé personnellement.
Mais la France a aussi besoin de réformes structurelles. C'est la voie que j'ai choisie.
Bien sûr, il y a toujours des résistances au changement. Il n'est pas dans la nature de la nation française de vivre les réformes dans la passivité. Les perturbations sociales que nous avons vécues au début de l'hiver en ont témoigné. Mais la France d'aujourd'hui est capable de se réformer, dans le dialogue et la concertation.
Tous les grands pays sont confrontés au problème de la protection sociale. Vous avez, vous aussi ce débat. La maîtrise des dépenses de santé, la pérennité des retraites, le devenir et l'équilibre financier de la protection sociale sont des exigences autant que des enjeux. Mon gouvernement, dès son installation, en a pris toute la mesure et a engagé les réformes nécessaires pour renforcer la cohésion sociale.
En ce début d'année, la croissance a donné des signes de fléchissement. La plupart des économistes pensent que ce ralentissement sera temporaire. Je partage cette analyse : il y a en effet en France, comme chez nos partenaires, des réserves de croissance, des besoins d'investissement et de consommation à satisfaire. Les conditions sont réunies pour cela ; l'assainissement de nos finances publiques a permis d'engager une baisse rapide et continue des taux d'intérêt. L'épargne est abondante et la situation financière des entreprises est bonne."

Nicolas Sarkozy, déclaration sur les grandes priorités de sa présidence, notamment la revalorisation du travail, l'augmentation du pouvoir d'achat, les réformes fiscales, de l'Etat et de la protection sociale, les efforts en faveur de la santé et de l'université, Paris, le 20 juin 2007.

"Je me fixais pour objectif sur 5 ans d'atteindre l'équilibre budgétaire et de ramener le poids de la dette à 60% du produit intérieur. Mais je le dis clairement : pour y parvenir je ne mettrai pas en œœuvre une politique qui puisse avoir pour effet de ralentir la croissance ou de rendre impossibles les grandes réformes structurelles qui s'imposent. L'assainissement durable de nos finances publiques ne peut aller de pair qu'avec non seulement l'assainissement durable de la gestion de l'Etat, mais aussi l'assainissement durable de notre situation économique. Il faut réduire les dépenses chaque fois que c'est nécessaire, mais il faut créer les conditions de la croissance aussi. L'urgence c'est la réforme. Non la réforme pour souffrir mais la réforme pour la croissance. Et d'ailleurs, pour que les choses soient bien entendues en Europe, je prendrai mes responsabilités."

Sur le rôle de la fiscalité des ménages

Michel Rocard, déclaration de politique générale sur le programme du gouvernement, à l'Assemblée nationale le 29 juin 1988.

"Il faut ici lever toute équivoque: l'impôt sur la fortune est une contribution de solidarité, pas une revanche contre les riches.

C'est pourquoi, selon nous, le principal problème posé, mais il est très épineux, concerne non pas le principe de l'impôt, mais la définition du meilleur équilibre entre la solidarité nécessaire et la pertinence économique.

C'est une simple question de bon sens: une imposition trop forte, à l'heure où s'ouvrent les frontières, inciterait à la fuite des capitaux, conduirait à ce que le potentiel d'investissement aille irriguer les entreprises de nos concurrents de préférence aux nôtres, en même temps que cela pourrait décourager les activités qu'il nous faut stimuler .

En sens inverse, une taxation symbolique -qui, elle, serait purement idéologique- ne produirait pas les sommes nécessaires à la solidarité voulue par tous.

C'est dans cet esprit résolu mais lucide que le Gouvernement travaille."

Sur l'esprit d'entreprise

Raymond Barre, discours à l'Assemblée nationale, le 5 octobre 1976.

"Dans une société industrielle moderne, l'entreprise ne saurait vivre dans un état de dépendance à l'égard de l'Etat. L'esprit d'entreprise, c'est précisément celui qui conduit à l'émancipation et non pas à l'assistance. Il est indispensable à notre pays. C'est lui qui doit, notamment, permettre le renforcement de la capacité de notre économie à offrir des emplois stables et nombreux, mais il est clair que l'esprit d'entreprise ne peut se déployer si la liberté de décision des chefs d'entreprise est par trop limitée et si les résultats financiers des entreprises sont insuffisants.
Il nous faut réviser à ce sujet, et je le dis en toute objectivité, une conception du profit qui prévaut trop fréquemment dans notre pays. Celui-ci ne saurait être le produit de rentes de situation, de privilèges ou de subventions de l'Etat, mais le fruit des efforts de productivité et d'innovation. Utilement réemployé, il est la condition pour que les entreprises développent leur contribution au progrès économique et social."

Tout a été dit, non ?