Commerce extérieur : la France s'enlise !

Par Fabien Piliu  |   |  1306  mots
Près de 60% des exportations françaises prennent la direction des pays de l'Union europenne où la croissance est atone
Certes, le déficit de la balance commerciale a nettement reculé entre 2013 et 2014 pour s'élever à 53,8 milliards d'euros. Mais cette amélioration ne s'explique que par une baisse des prix du cours du brut. Le made in France ne se vendra pas davantage à l'étranger. Les pays du Grand Large continuent d'effrayer un trop faible nombre d'entreprises exportatrices. François Hollande annonce la création d'une banque de l'exportation pour les grands contrats.

Il n'y a vraiment pas de quoi fanfaronner. Entre 2013 et 2014, le déficit de la balance commerciale a certes reculé - il s'est élevé à 53,8 milliards d'euros selon les Douanes, soit 7 milliards de moins que l'année dernière. C'est une bonne nouvelle. Mais au-delà des chiffres, la situation du commerce extérieur reste... désespérante. En effet, cette amélioration qui s'est traduite par une augmentation de 0,1% des exportations n'a qu'une explication conjoncturelle. Elle trouve son origine dans le repli des cours du brut qui a permis à la France de réduire de 10,9 milliards d'euros sa facture énergétique. Hors énergie, le déficit commercial a même progressé, passant de 16,8 à 18,8 milliards d'euros entre 2013 et 2014. En dépit d'une augmentation des ventes des constructeurs, le secteur automobile affiche un déficit en hausse de 400 millions d'euros par rapport à 2013, 4,7 milliards d'euros. C'est le résultat logique de la délocalisation intensive des chaînes de production, délocalisations que la course à la compétitivité-prix a rendu bien souvent impératives.

Dans ce contexte, que fait l'Etat ? Bien sûr, il faudra du temps pour que la diplomatie économique mise en place au printemps par Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangère produise ses effets. En attendant, il faut bien admettre que l'intégration du secrétariat d'Etat au Commerce extérieur au Quai d'Orsay est un coup d'épée dans l'eau. Toutes les équipes basées à l'étranger ont-elles pris conscience de l'urgence à « vendre » le made in France ?

Le rôle des ambassades

Il fallait être présent le 12 janvier au colloque organisé à Bercy par la Direction générale du Trésor sur le thème " La France se réforme " pour en douter. Bruno Bézard, le directeur général du Trésor avait recadré sèchement les membres de son réseau à l'étranger.

" Il faut que vous soyez le fer de lance de la célébration de la France. Il faut que vous incarniez l'ambition économique pour redresser l'image de notre pays à travers le monde ", a-t-il déclaré, dénonçant le " french bashing " très couru depuis quelques années chez " nos ennemis traditionnels mais également chez nos meilleurs amis ". Et de poursuivre :

" Il faut arrêter la dispersion, fédérer les villages gaulois pour améliorer notre - votre - efficacité et notre réactivité. Il faut que vous souteniez la politique du gouvernement et que chaque journée soit utile ! ".

Utile....Mais les ambassadeurs et leurs services ne sont pas les seuls responsables. L'efficacité de l'action d'Ubifrance, l'agence de développement international doit-elle être remise en cause ? On pourrait. Mais, à sa décharge, il faut rappeler que l'année 2014 a été une nouvelle fois une année de grand changement pour Ubifrance, fusionnée autoritairement avec l'Agence française des investissements internationaux (AFII) dans une nouvelle structure, Business France.

Un mille-feuille opaque

Quant à l'efficacité des centaines de structures locales, régionales nationales et internationales - comme les chambres de commerce implantées à l'étranger - de soutien public à l'export, elle peut également être remise en question. Selon un rapport remis en juin 2013 à Nicole Bricq, alors ministre du Commerce extérieur, l'illisibilité est la règle.

Réalisé en 2013 par l'IFOP pour les opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI), un sondage indiquait que seuls 39% des dirigeants d'entreprises considéraient le système comme efficace, un tiers seulement le jugeait clair, compréhensible et adapté au contexte économique actuel. Résultat, 78% des chefs d'entreprise se chargeaient eux même de la commercialisation de leurs produits à l'exportation. Au regard des statistiques communiquées ce vendredi par les Douanes, il serait étonnant que ce pourcentage ait diminué.

Pourtant, qui mieux que les Chambres de commerce et d'industrie peut détecter et soutenir les exportateurs dont le savoir-faire peut potentiellement être exporté ? Là encore, la question est sans réponse.

François Hollande lance une banque de l'exportation

Fait exprès, lors d'un forum franco-africain à Paris, François Hollande a annoncé ce vendredi la création prochaine d'"une banque de l'exportation" destinée à faciliter la conclusion de grands contrats internationaux, notamment en Afrique.

"L'un des freins à l'exportation que nous pouvons rencontrer tient moins aux conditions de compétitivité même si ça peut exister, ou au savoir-faire, à la qualité, à la technologie des entreprises françaises qu'au financement. Beaucoup de pays assurent des financements bien plus avantageux que la France pour réussir à promouvoir leurs exportations et donc nous avons décidé, avec le ministre des Finances de mettre en place une banque de l'exportation d'ici la fin du mois de mars"

"Ce dispositif concernera tous les pays, tous les secteurs économiques sans restriction et chaque fois qu'il y aura un contrat qui dépasse un certain volume, 100 ou 200 millions d'euros ", a poursuivi le chef de l'Etat, estimant que cette initiative permettra de réduire de 10% les coûts de financements. C'est la Société de financement local, la SFIL, qui est également la banque des collectivités, qui refinancera les crédits exports de gros montants octroyés par les banques permettant ainsi de baisser le coût de ces crédits pour les clients des entreprises exportatrices.

Peu d'entreprises exportent

Le secteur public ne peut pas tout. On l'a vu. On l'admet. Les chefs d'entreprises ont également leur part de responsabilité. Empêtré dans leurs difficultés de trésorerie, les tracas administratifs, les exportateurs potentiels n'ont pas tous le temps - ou la formation nécessaire ? - de mettre en place une véritable stratégie de développement à l'international. En 2014, seules 121.000 entreprises, dont 95% de micro-entreprises et de PME, ont exporté. Un nombre en hausse de... 0,2%. Sachant que la valeur de leur exportations ne représente que 14% du montant total des exportations françaises, on comprend pourquoi la banque de l'exportation concentrera son action sur les grands contrats des grands groupes...

Sachant que le nombre d'entreprises ayant décidé de se lancer à l'export - proche de 30.000 - est comparable à celui des entreprises ayant cessé leur activité à l'international, on peut donc en déduire qu'une entreprise sur deux ayant exporté en 2013 a continué à le faire en 2014. En termes de fidélisation de client, les entreprises françaises semblent donc avoir des marges de manœuvre.

Au total, la France comptant 3 millions d'entreprises environ, on peut estimer à 4% la proportion des entreprises se projetant à l'international. A titre de comparaison, l'Italie et l'Allemagne recensent 210.000 et 310.000 entreprises exportatrices.

Le faible poids de l'industrie

Symbole de la désindustrialisation de l'économie française, l'industrie ne représente que 25,7 % du total des firmes exportatrices, contre 43,5 % pour le commerce et 15,5 % pour les services.

" Au niveau des produits échangés, la hausse du nombre d'exportateurs dans l'agroalimentaire compense les baisses relevées dans le matériel de transport et la métallurgie ", observent les Douanes.

Les industriels français ne semblent pas avoir profité du gain de compétitivité-prix procuré par la dépréciation de l'euro face au dollar. C'est assez logique, les exportations françaises se concentrant pour près de 60% d'entre elles dans les pays de l'Union européenne.

" Pourtant, la qualité du made in France est appréciée par les importateurs étrangers. « Les produits français sont presque toujours placés derrière les produits allemands, mais devant les produits espagnols ou italiens sur les critères hors prix, Par exemple, en termes de qualité, les biens d'équipement du logement, les produits agroalimentaires et les produits d'hygiène-beauté sont 2ème sur 10, juste derrière l'Allemagne ", constate COE-Rexecode dans sa récente enquête sur la compétitivité.

Dans ce contexte, que faut-il espérer ? Que les cours du brut se maintiennent à un niveau très bas ? Que la dépréciation de l'euro face au dollar se poursuive ? Ce serait déjà ça.