Croissance : l'optimisme de Michel Sapin est-il justifié ?

Par Fabien Piliu  |   |  1179  mots
Michel Sapin entrevoit "des signaux encourageants"
Le PIB français a timidement augmenté de 0,1% au quatrième trimestre et de 0,4% sur l'ensemble de l'année. Michel Sapin, le ministre des Finances entrevoit des signes "encourageants" pour l'exercice en cours. Son optimisme est-il justifié ?

Dans la fable d'Esope traduite en français, un petit garçon un peu espiègle crie tant de fois au loup que plus personne ne le croie lorsqu'il en aperçoit réellement un. Michel Sapin, le ministre de Finances pourrait avoir le même problème de communication avec les Français. Le risque est grand que ses déclarations ne soient plus prises au sérieux.

Commentant la performance économique de la France en 2014, année au cours de laquelle le PIB a progressé de 0,4% - il a quasi stagné au quatrième trimestre (+0,1%) -, le ministre de Finances s'est montré optimiste pour l'exercice en cours.

"Les derniers signaux économiques sont encourageants et confortent notre prévision de croissance de 1% en 2015", a-t-il ajouté.

Beaucoup de signaux encourageants ?

Quels sont-ils ? Michel Sapin n'a véritablement précisé sa pensée. Est-ce que parce que ces signaux se comptent sur les doigts d'une main ? Faisons un point sur la situation économique française et sur ses perspectives.

Le ministre des Finances a cité l'investissement des entreprises, soulignant que les chefs d'entreprises dans l'industrie manufacturière avaient revu récemment à la hausse leurs projets d'investissement pour l'année. C'est exact. En octobre, les industriels anticipaient une baisse de 3% de l'investissement en 2015. Publiée en janvier, la dernière enquête de conjoncture indique que les chefs d'entreprises comptent désormais les augmenter de 3% cette année.

Ces anticipations peuvent-elles se réaliser ? Ce serait formidable. On peut espérer que la montée en puissance du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et l'entrée en vigueur des allégements de cotisations patronales prévus par le Pacte de responsabilité stimulent l'investissement. A moins qu'ils ne permettent aux entreprises, et en particulier aux PME - qui sont les entreprises qui créent le plus d'emplois - de redresser leur trésorerie et de redresser leurs marges.

L'investissement peut-il repartir ?

Mais parce que cette enquête n'est qu'une photographie à un instant T de la confiance des entrepreneurs, ses résultats sont régulièrement remis en cause. Depuis le début de la crise, à l'automne 2008, ces prévisions sont quasiment systématiquement révisées à la baisse à chaque enquête. En citant ces anticipations d'investissement, Michel Sapin est donc plutôt imprudent. Les 315 milliards d'euros du plan Juncker peuvent-il accélérer la reprise de l'investissement ? Peut-être, mais pas en 2015 puisque les premiers lancements de projets n'interviendront pas avant 2016, voire 2017.

Par ailleurs, une reprise de l'activité n'est possible que si la demande progresse. Est-ce le cas ? Pas vraiment. Les dernières enquêtes de conjoncture de l'Insee et du cabinet Markit indiquent que l'activité en France continue de reculer, réduisant à peu de chagrin les carnets de commande des entreprises. A 76,2% au troisième trimestre, le taux d'utilisation des capacités de production est proche de son plancher historique. Par ailleurs, tant que la peur du chômage sera forte, les ménages joueront plus les fourmis que les cigales. En 2014, les investissements immobiliers des ménages ont chuté de 5,8%, faisant plonger un peu plus un secteur de la construction en pleine crise. Leur taux d'épargne a augmenté.

Omis par le ministre de Finances, quels sont les autres signaux positifs ?

Des facteurs positifs exogènes

Outre le CICE et le Pacte de responsabilité, l'économiste Philippe Crevel cite « la poursuite de la baisse de l'euro, la diminution du prix du pétrole, le pacte de responsabilité », qui devrait permettre « une reprise de l'activité qui devrait être plus rapide que prévue ». Pour les entreprises, notamment dans l'industrie et le transport, la réduction de la facture énergétique est bien évidemment une bonne nouvelle, même si la dépréciation de l'euro face au dollar en atténue les effets positifs. Toutes les entreprises sont-elles gagnantes ? L'institut COE-Rexecode nuance le propos.

« Les gagnants ultimes seront les secteurs qui pourront conserver dans leurs marges l'essentiel de la baisse des coûts. Il est bien trop tôt pour identifier quel secteur sera le principal gagnant de ces évolutions des prix relatifs. Les "perdants" sont les secteurs qui exportent vers les pays producteurs de pétrole. Lors du précédent contre-choc pétrolier de 1985-86, les importations de l'Arabie Saoudite avaient reculé de 39%, celles du Nigéria de 60%. Pour l'ensemble de la zone euro, les exportations à destination des seuls pays de l'OPEP et de la Russie représentent un montant de 198 milliards d'euros en 2014. Une chute des importations de l'ordre de 20% occasionnerait un choc équivalent à 0,4 point de PIB, très dommageable pour les exportateurs orientés vers ces zones »

Une compétitivité renforcée ?

Quant à la dépréciation de l'euro face au dollar, elle vient renforcer la compétitivité prix des entreprises qui exportent hors de la zone euro. C'est le cas des entreprises françaises mais également de leurs concurrentes des pays membres de la zone euro. C'est tout particulièrement vrai pour les entreprises allemandes. Non contentes d'afficher une compétitivité hors-prix supérieurs à celles des leurs concurrentes françaises et italiennes qui sont leurs seules véritables rivales sur les marchés étrangers, les entreprises d'outre-Rhin voient avec ce recul de l'euro leur compétitivité-prix renforcée.

Dans ce contexte, la prévision de croissance de 1% est-elle atteignable ? La plupart des économistes ne remettent pas en cause cet objectif de croissance. Philippe Waechter chez Natixis Asset Management explique :

« Je crois à une rupture à la hausse en 2015. Mais elle passera par les effets forts et durables de la baisse de l'euro, du prix du pétrole et des taux d'intérêt. Ces facteurs devraient dynamiser la demande et permettre d'avoir un profil plus soutenu que celui des quatre dernières années. Si cette hausse de l'activité est commune à l'ensemble de la zone euro, car les sources d'impulsion seront les même, alors le cycle pourra être encore plus porteur en 2016 et 2017 »

Mais extrêmement rares sont ceux qui tablent sur une augmentation supérieure à 1% du PIB. L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) envisage une hausse de 1,1% du PIB cette année, « grâce à l'atténuation des facteurs négatifs qui l'ont étouffée depuis 2010, les conditions de crédit et la politique de consolidation budgétaire ».

En revanche, les économistes pariant sur une prévision de croissance inférieure à 1% sont plus nombreux. Chez Barclays, on vise plutôt une croissance de 0,8%.

Michel Sapin est d'un naturel optimiste

Ce n'est pas la première fois que Michel Sapin table sur la méthode Coué pour rétablir la confiance des Français. Lors de son passage au ministère du Travail - entre mai 2012 et août 2014 -, il avait martelé que la courbe du chômage s'inverserait quoi qu'il en coite avant la fin 2013. Non seulement la courbe du chômage ne s'est pas aplatie mais elle a continué à progresser malgré la montée en flèche des contrats d'avenir. Aujourd'hui, on attend toujours que ces anticipations se réalisent enfin. Sinon, elles resteront à l'état d'incantations.