La dictature des marchés dénoncée par de grands dirigeants européens

Par Propos recueillis par Yann-Antony Noghès, à Bruxelles et à Budapest  |   |  1206  mots
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Coup sur coup, la ministre hongroise des affaires européennes et le Premier ministre belge ont accordé des interviews exclusives à la Tribune. Très remontés, ils dénoncent tous deux la pression des marchés financiers dans le cadre de la crise des dettes souveraines en Europe.

LE COUP DE GUEULE BELGE

La dette belge, proche des 100 % du PIB, et l'absence de nouveau gouvernement 214 jours après les élections législatives placent le Royaume dans le collimateur des marchés. L'écart de ses taux avec les emprunts d'État similaires allemands (spread) vient d'atteindre un plus haut historique. Pourtant, le déficit public a été meilleur que prévu en 2010, retombant à 4,6 % du PIB contre 6,8 % l'année précédente. Le Premier ministre « en affaires courantes », Yves Leterme s'est engagé à ramener le déficit budgétaire sous la barre des 4 % en 2011 afin de rassurer les marchés.

La Tribune - Monsieur le Premier ministre, le fonds de stabilisation européen (FESF) doit-il être élargi dans son enveloppe et son champ d'action ?

Yves Leterme - La Belgique est toujours disponible à suivre le consensus au niveau européen. Nous sommes capables et prêts, dans un effort de solidarité, à mettre l'argent qu'il faudra. Ce qui est important, c'est que tous les dirigeants européens soient prêts à démontrer la solidarité qu'il faut pour convaincre les marchés. On ne laissera pas perdurer les attaques sur l'euro et on défendra l'euro quoi qu'il faille faire. Si demain il faut doubler les moyens du fonds, on répondra présent.

La Belgique pourrait-elle y avoir recours?

Non, je ne crois pas. En tous cas, ce serait sur une base irrationnelle. Mais la question ne se pose pas et je ne souhaite pas répondre à des questions hypothétiques.

Votre pays est mis sous pression par les marchés financiers. Certains analystes vous assimilent même aux PIGS. La Belgique est-elle en danger ?

Non, pas du tout. Rien ne justifie cette croissance du spread. Notre croissance et notre politique budgétaire sont de loin supérieurs à la moyenne européenne. Nous sommes un pays qui prête de l'argent à l'étranger. Collectivement, la Belgique est un pays riche qui se trouve à l'opposé d'autres pays qui doivent emprunter massivement de l'argent à l'étranger. Aujourd'hui, nous avons la plus petite croissance d'endettement de la zone euro, faisant mieux que les objectifs promis aux instances européennes. Il n'y a donc aucune raison pour que la Belgique soit perçue comme elle est perçue par certains acteurs de marché. Quoi qu'il en soit, j'ai des soucis... et je suis la situation de très près, on me fait un rapport toutes les 3 heures sur les spreads. Mais fondamentalement, la capacité de l'Etat belge à faire face à ses engagements est intacte.

Qu'est-ce qui justifie, selon vous, cette défiance?

Il y a une grande part d'irrationnel sur les marchés. Ils se focalisent sur les difficultés politiques sans percevoir les résultats positifs de notre politique budgétaire. C'est la méconnaissance du système belge qui est en cause et nous payons le prix de la longue durée des négociations gouvernementales. Les gens doivent savoir qu'un gouvernement en affaires courantes n'est pas un gouvernement qui ne fait rien. Par ailleurs, des secteurs vitaux, tels que la politique économique, l'aménagement du territoire, l'enseignement, l'éducation ou la culture sont exercés aux niveaux communautaire et régional.

La Belgique se place tout de même à la 16e place mondiale des pays risquant le plus la faillite dans un classement établi par des analystes de marchés...

J'ai d'abord rigolé en lisant cela. C'est totalement exagéré. À la différence des pays tels que la Grèce et autres, nous sommes un pays créancier sur l'étranger avec un surplus sur la balance des paiements.

Est-ce qu'un gouvernement d'affaires courantes, aux pouvoirs budgétaires limités, constitue en soi une politique de rigueur ?

Effectivement, parce qu'on fonctionne avec un douzième du budget précédent, sans donc?engager de grandes dépenses supplémentaires. Il y a également une sous-utilisation des crédits qui mène à une grande épargne. Par le passé, le gouvernement de Guy Verhofstadt a fonctionné 15 mois sur ces douzièmes provisoires. C'est un système d'assainissement des finances publiques. Mais pour la suite, le concept d'affaires courantes est évolutif. En ce qui concerne la politique budgétaire on peut aller très loin car c'est le parlement qui a le dernier mot.

Mais en même temps, Standard & Poor's (S&P) menace de dégrader votre note si vous n'avez pas de nouveau gouvernement dans les six prochains mois...

S&P constate que nonobstant les affaires courantes nous atteignons nos objectifs et faisons même mieux, c'est ce qui compte. Ces gens doivent surtout se concentrer sur les chiffres: ceux de la Belgique sont bons et en finance, les chiffres sont importants.

LA COLERE HONGROISE

Enikö Györi est la ministre des Affaires européennes de Hongrie. Alors qu'elle préside l'Union européenne jusqu'en juin prochain, la Hongrie est sur la sellette en Europe pour sa nouvelle taxe sur l'énergie, les télécoms, la distribution et les banques qui provoque la colère de grands groupes étrangers comme Axa, EDF, GDF Suez, Vinci, Auchan, E.ON ou Deutsche Telekom.

La Tribune  - Comment justifiez-vous cet « impôt de crise » ?

Enikö Györi - Nous n'avions pas le choix. Le précédent gouvernement a menti sur les chiffres en promettant à la Commission européenne un déficit de 3,8 % en 2010 alors qu'il était en réalité de 7 %. Nous avons donc dû prendre ces mesures extraordinaires, certes lourdes mais en aucun cas discriminatoires. Les marchés pourraient nous tuer mais lorsqu'un pays parvient à réduire ses déficits, c'est toujours très bien reçu. Lorsque nous avons émis des emprunts d'État hongrois, ils ont été achetés. Voilà pourquoi nous n'avons plus besoin de l'aide du FMI. La réduction de notre dette, qui est actuellement de 80 % du PIB, est la première priorité du gouvernement Orban. Pour la ramener à 73 % d'ici à 2014, nous avons déjà, dès 2010, retiré un mois de salaire aux fonctionnaires et un mois de pension aux retraités, la TVA a augmenté de 20 % à 25 %, l'âge du départ en retraite est passé de 62 à 65 ans. Comme vous le voyez, nous ne faisons pas que surtaxer les entreprises étrangères...

- Bruxelles a néanmoins ouvert une enquête pour déterminer si cette taxe est discriminatoire. Ne craignez-vous pas d'effrayer les investisseurs étrangers ?

- Si nous avions souhaité viser spécifiquement les entreprises étrangères, nous aurions taxé le secteur automobile qui, lui, est à 100 % étranger. L'objectif du Premier ministre n'est pas de surtaxer l'industrie manufacturière mais plutôt les services. Les banques, par exemple, ont toujours été très profitables en Hongrie, plus qu'en Europe de l'Ouest. Malheureusement, du fait de notre lourd passé, nos consommateurs manquent de confiance et sont encore trop tolérants. Voilà pourquoi les frais bancaires sont plus élevés chez nous et les banques font de forts profits et continuent à en dégager, malgré ces taxes élevées. Dans cette période difficile, nous demandons à ces secteurs une plus grande contribution, à titre provisoire. J'espère sincèrement que cela ne découragera pas les investisseurs. Après tout, ce que veulent les firmes, c'est la sécurité de leurs investissements. C'est ce à quoi nous travaillons.